Quoi de mieux que le crayonné pastel et doux de Cati Baur pour célébrer l’arrivée du printemps et des beaux jours ? Sorti en avril 2023, cette nouvelle BD de l’autrice des Quatre Sœurs se penche sur l’histoire d’un groupe de jeunes femmes bien ancrées dans leur époque qui, lors d’une soirée un peu trop arrosée, ont l’idée a priori délirante d’ouvrir un bar associatif qu’elles appelleraient "Pisse mémé".
Un joli album qui redonne le sourire et remonte le moral
Certes, il y a quelques éléments scénaristiques assez peu crédibles qui facilitent grandement la mise en place de ce fameux bar au nom très... suggestif : la tante qui meurt et lègue une coquette somme à chacune de ses nièces qu’elle n’a pourtant jamais vues ou encore les jumelles Marthe et Camille issues d’une famille aisée qui peuvent faire jouer les relations de leur mère afin de compléter la cagnotte participative qui boucle le financement du bar.
Mais ces détails disparaissent rapidement devant le talent de l’autrice à rendre attachants ses personnages et à construire une intrigue qui tient la route. Que ce soit Marthe, Camille, Nora ou Marie, elles ont toutes des qualités et des défauts qui les rendent crédibles et permettent de facilement s’identifier à elles. Elles ne plaquent pas tout non plus du jour au lendemain pour se lancer à l’aveuglette dans leur projet né au cours d’une soirée arrosée. Elles sont au contraire plutôt réfléchies, ont des doutes et les expriment, même si ce côté aurait pu être davantage souligné.
L’histoire est aussi ponctuée de moments franchement très drôles qui désacralisent au passage quelques tabous et font du bien au moral.
Il ne faut toutefois pas se laisser abuser par l’aspect visuel très "girly" et le résumé léger de cette BD plus engagée qu’il n’y paraît de prime abord. Elle évoque en effet sans fard des phénomènes sociaux contemporains comme le burn out, la charge mentale, les injonctions sociales (faire des enfants, être en couple), le poids du qu’en dira-t-on et bien d’autres encore. L’autrice réussit le tour de force de les mettre en lumière sans emphase, sans les dénaturer mais aussi sans les solutionner complètement, comme dans la vraie vie où les femmes doivent encore et toujours composer avec.
Constamment présent, ce sous-texte devient ainsi une ode discrète mais tenace au féminisme, d’autant que toutes les héroïnes ont un caractère bien trempé, à commencer par les jumelles Camille et Marthe, qui n’hésitent pas à rabrouer ironiquement leur mère, bonne représentante de la bourgeoisie catholique discrète et fortunée, lorsque celle-ci remet en cause la fiabilité de leur projet de bar. Leur tante Aimée, celle-là même par qui tout arrive, est aussi un sacré bout de femme en avance sur son temps. Nora, cadre sup et mère de famille en burn out, finit par réaliser qu’elle s’épanouit à faire ce qu’elle avait précisément choisi de fuir par les études quand elle était jeune : la cuisine. Enfin la trop discrète Marie, mère célibataire peinant à joindre les deux bouts mais bien en accord avec ses valeurs, arrive à s’affirmer petit à petit et à reprendre confiance en elle.
Fortes, résilientes, drôles, humaines, ces quadra un peu déjantées ont tout pour plaire et pour surmonter la fin douce-amère que leur a réservée l’autrice. Une jolie pépite à découvrir d’urgence au soleil !
(par Gaëlle BEDIS)
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