Nous sommes en 1918, aux États-Unis. Six femmes travaillent côte à côte dans une usine dont les produits remportent un énorme succès commercial. Ce sont des montres dont les chiffres sont visibles dans le noir. Leur boulot est simple : peindre ces cadrans de montres, leurs chiffres, avec une peinture miraculeuse. Avec trois gestes successifs, toujours les mêmes : Lip (lécher le pinceau), Dip (prendre de la peinture), Paint (peindre).
Seulement, cette peinture extraordinaire est issue de recherches scientifiques d’une certaine Madame Curie, de l‘autre côté de l’Atlantique. C’est une peinture à base de radium. Et si le surnom qu’on donne à ces six collègues, ces six amies les font rire (Ghost Girls – les filles fantômes), parce qu’elles sont lumineuses dans le soir, ces rires vont, au fil du temps s’étrangler. Elles seront alors les Radium Girls, six femmes sachant que la mort les attend et attaquant en justice la firme qui les a condamnées en connaissance de cause.
C’est ce combat que nous raconte, en partie, ce livre.
Un combat de femmes contre un pouvoir d’hommes, dans une société dominée par un machisme évident. Cela dit, ce combat de femmes est aussi celui des faibles, des laissés pour compte, des trahis. À ce titre, ce livre a un discours plus universel que simplement anecdotique. Mais cela n’empêche nullement cet album de porter résolument un message féministe.
Mais la force de l’auteure de ce livre est de n’être à aucun moment sectaire, de refuser dans sa narration le simple fil biographique de cette affaire qui, dans les années 1920, a remué les États-Unis, y permettant le vote de lois défendant les droits des ouvriers, entre autres.
L’intelligence de Cy., dessinatrice et scénariste, c’est également d’éviter le mélo, et de centrer son récit sur ces six femmes, sur leur amitié, sur la vie qu’en groupe elles ont vécues, dans et en dehors de leur boulot.
Aucune existence n’est uniquement héroïque. Aucun combat ne se suffit à lui-même. Tout acte humain d’importance a besoin de prendre vie et source dans les gestes et les habitudes de tous les jours.
Et là aussi, Cy. a l’intelligence et le talent de nous montrer des femmes de chair, des êtres qui vivent dans une époque bien précise, dans une Amérique qui mesure les maillots de bain féminins pour éviter qu’elles soient impudiques dans un pays qui n’accorde le droit de vote aux femmes que du bout des lèvres.
La honte est bien plus tenace que la mort, est-il dit dans ce livre.
J’ai envie de dire que le combat qui nous est raconté ici, dans ce récit qui redonne vie à six femmes victimes du progrès vénal, du capitalisme débridé, de la lâcheté aussi, du silence de l’argent, ce combat n’a rien de honteux, que du contraire. Il démontre qu’aujourd’hui comme hier il faut oser ne pas se plier à des réalités qui sont, humainement et philosophiquement, inacceptables. Ce livre historique se révèle ainsi être aussi porteur d’un message contemporain.
Six femmes décident de se battre. Six femmes décident de prendre la Justice comme ultime remède à leur combat, six femmes regardent la mort en face, leur mort.
Le sujet est lourd, son traitement ne l’est pas du tout.
Grâce au scénario, bien évidemment, qui reste de bout en bout à résonnance humaine.
Grâce aussi au dessin, lumineux, passant de la transparence à l’oppression de la nuit avec un sens du rythme étonnant. C’est du crayon de couleur, pour un graphisme à l’aspect simple, presque enfantin, dans le bon sens du terme, avec quelques dessins en pleine planche qui ouvrent des chapitres dans une histoire qui nous touche, profondément.
Lire est et restera toujours la meilleure manière de garder prise sur le réel, sur le quotidien, sur notre façon d’appréhender et de comprendre, donc d’analyser, le monde qui est le nôtre.
Et pour cela, des livres comme ce « Radium Girls » sont importants… Un album à commander, donc, chez votre libraire préféré qui a bien besoin, ces temps-ci, de votre soutien !
(par Jacques Schraûwen)
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Radium Girls - par Cy. - Glénat - 136 pages - 22 €
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