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"Raven" : la nouvelle série de pirates signée Mathieu Lauffray

Par Charles-Louis Detournay le 4 juin 2020                      Lien  
Avec "Long John Silver", Dorison & Lauffray avaient dépoussiéré avec brio le récit de flibustiers en 2007. Mathieu Lauffray revient cette fois seul à la barre, avec une trilogie axée sur l'aventure et les rebondissements.

Certaines séries marquent les mémoires, restant dans l’esprit des lecteurs longtemps même après leur conclusion. Long John Silver en fait certainement partie : une habile suite de L’Île au Trésor réalisée entre 2006 et 2013 par deux auteurs aussi complices que talentueux : Xavier Dorison et Mathieu Lauffray. Baroque, riche, flamboyant, puissant et magistral : les qualificatifs ont été nombreux pour évoquer cette réussite, tant la dramaturgie du récit, l’épaisseur des personnages et les rebondissements étaient en adéquation avec la mise en page spectaculaire et le graphisme enlevé.

On comprend dès lors l’engouement généré par une nouvelle série de pirates réalisée également par Mathieu Lauffray et qui paraît ce 5 juin. Après L’Homme qui tua Chris Kyle de Nury & Brüno, Raven est donc le second coup asséné par Dargaud pour bien démontrer qu’il faudra compter sur la maison d’édition française dans ce déconfinement. En effet, la parution de cette nouvelle série était initialement prévue pour le 4 avril dernier. Mais Coronavirus oblige, l’éditeur a choisi de le décaler au début de la reprise, une semaine après le docu-BD précité.

"Raven" : la nouvelle série de pirates signée Mathieu Lauffray

Raven : le pirate… poissard ?!

Bien malin qui tentera de comparer cette nouvelle série, Raven, au précédent Long John Silver. Certes, les deux récits évoquent le monde des pirates, mais à des périodes très espacées et des ambiances rigoureusement différentes… voire opposées !

Alors que la tétralogie co-réalisée avec Dorison débutait dans la pluvieuse Albion, en 1785 en plein déclin de la piraterie, Lauffray change radicalement d’axe en posant son nouveau récit plus d’un siècle plus tôt, en 1666, en pleine période faste pour les flibustiers et boucaniers des Caraïbes. Et le récit débute à Tortuga, la fameuse Île de la Tortue, bastion mythique des malandrins.

Mais qui est alors Raven, le héros de cette nouvelle trilogie ? C’est un jeune et impétueux pirate, qui cumule les déboires ces derniers temps : après une campagne se soldant une fois encore sur un échec, il revient de nouveau seul à Tortuga, recueillant les quolibets des autres pirates, certains que Raven attire le mauvais œil. Mais ce dernier décide de se refaire, seul s’il le faut, en mettant la main sur un prétendu trésor convoité par rien que moins que l’infâme gouverneur de l’île. Celui-ci a fait appel à Darksee, une redoutable capitaine-pirate, pour cette périlleuse mission. Mais Raven, qui assiste à leur tractation, décide de les devancer en dérobant la carte au trésor.

Un trésor qui attise toutes les convoitises : rien moins que les richesses des derniers Mayas qui devaient être convoyées vers l’Espagne et qui auraient disparu en mer au XVIe siècle, lesquelles auraient en réalité été cachées dans une île volcanique, perdue des Caraïbes et peuplée par une tribu cannibale... Et c’est précisément sur celle-ci que le nouveau gouverneur de Tortuga et sa famille, venus de France, ont échoué après un long voyage.

Raven d’un côté, Darksee et ses pirates de l’autre, sans oublier le nouveau gouverneur entouré de sa famille et ses hommes, ainsi que les cannibales : cela fait beaucoup de monde pour une seule île… et son trésor !

L’alter-ego du cow-boy, la méchanceté en plus...

« J’ai déjà abordé le thème des pirates, grâce à Xavier Dorison, dans "Long John Silver", nous rappelle Mathieu Lauffray. Je me suis rendu compte que ce genre m’allait très bien : des personnages forts, hors du système, qui tentent de trouver leur propre voie. J’aime bien les gens qui assument leurs faiblesses. »

Et de continuer : « Les pirates sont des en colère et revanchards, ce qui donne des personnalités intéressantes plongées dans des situations dramatiques. Le pirate est l’alter-ego du cow-boy, la méchanceté en plus. C’est un homme libre dans un monde organisé qui a un profond désir de tout plaquer et d’y aller. Le pirate et sa bande, c’est la horde sauvage. Ils sont vingt, les autres deux cents… tant pis, ils y vont ! »

Un personnage inspiré par… Conan

Le lecteur disposait déjà d’une idée assez claire de l’un des personnages principaux de Long John Silver, vu celui-ci n’était autre que le sombre pirate à la jambe de bois qui a fait trembler des générations de lecteurs de L’Île au Trésor, écrit par Stevenson. Pour Raven, Mathieu Lauffray explique s’être également librement inspiré de Vulméa, le pirate noir. Cette nouvelle a été écrite par le non-moins célèbre Robert E. Howard, reconnu entre autres pour son personnage de Conan.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, le récit de Vulméa, la source de cette nouvelle trilogie, provient également du monde de Conan. Howard écrivit en 1933 une longue histoire mettant en scène le Cimmérien et intitulée The Black Stranger. Mais le rédacteur en chef de Weird Tales qui publiait les nouvelles de Conan la refusa : selon lui, l’histoire était trop longue (30.000 mots) et l’intrigue pas assez soutenue. [1] Qu’importe, Howard également fan de récit de pirates, transpose ce récit dans l’univers des flibustiers, en réduisant considérablement la voilure (5.000 mots).

Au-delà de l’intrigue elle-même, l’esprit de Raven se rapproche plus de la série de film des Pirates des Caraïbes. « Raven est un individualiste, explique Mathieu Lauffray. Un pirate chez les pirates. Il est libre. Il pousse cette façon de vivre tellement loin qu’il devient ingérable malgré un talent réel. On l’aime tout de suite, mais il est infréquentable. [La première case de l’album] représente son existence : entre flamboyance et échecs retentissants. »

La première case de l'album présente un héros bien mal embarqué !

Cette empathie vaut également pour une bonne part des nombreux personnages qui figurent dans ce premier tome. Mathieu Lauffray a pris le risque d’en installer beaucoup. Mais grâce à des situations judicieusement choisies et pleines d’actions, le caractère de chacun des protagonistes ressort très vite, de sorte que l’’on en profite pleinement, surtout dans les altercations générées par leurs diverses rencontres.

Reste Darksee qui campe une mystérieuse femme-capitaine encore très typée. Même dans son dessin, Lauffray reste énigmatique, en proposant des visages dotés d’expression plutôt identiques. Certes revêche, il faudra encore lever un coin du voile pour que celle-ci puisse espérer ravir la place occupée par Lady Vivian Hastings [2] dans le cœur des lecteurs. « Elle va prendre de plus en plus d’importance dans la série. », dévoile l’auteur.

Darksee recèle des secrets inavoués, d’après Mathieu Lauffray

À moins que le public ne lui préfère Anne de Montignac, une jeune noble au caractère tout aussi trempé ? Cette confrontation au féminin pourrait se régler à l’épée !

Un récit en cinémascope

Si ce premier tome sans temps mort livre son content d’attraits et de rebondissements, histoire de planter le décor, on attendait bien entendu Mathieu Lauffray dans de splendides mise en page où il pourrait livrer tout son talent graphique. Et le résultat dépasse largement nos attentes ! Tout en s’assurant de la lisibilité des dialogues, l’auteur se réserve de grands espaces d’ambiance : un grand vaisseau sortant des brumes, pavillon noir claquant au vent, un îlot perdu où un camp retranché a été établi sur la grève, le village de cabanons de Tortuga où les Pirates mêlent bataille et ripaille, etc.

Mathieu Lauffray : « Mon copain Fabien Nury m’a dit un jour : "Elles sont belles, tes bandes dessinées, mais ce n’est pas facile d’y faire du vélo." Il avait raison : je faisais peu de plans dans lesquels on pouvait se balader. J’étais d’avantage dans l’impact du dessin. J’ai donc pris un peu plus de temps. Ce que faisait Giraud dans Blueberry, par exemple. Je pose les lieux, les personnages, je dessine les détails. Je me force à être dans l’anecdote, moi qui suis beaucoup dans l’émotion. »

L’auteur joue également avec ses double-pages pour composer de véritables tableaux, en particulier dans l’ouverture d’une nouvelle séquence : pleine-page de gauche avec des récitatifs, tandis que quelques cases à droite s’insèrent dans le tableau global pour amorcer le début des dialogues entre personnages. Cette composition permet de découvrir de superbes planches, véritables tableaux permettant au lecteur d’entrer dans le récit, tout en apportant les éléments nécessaires pour passer de l’évocation à l’action. D’une redoutable efficacité !

« L’œil voit tout de suite où on est, il appréhende l’action globale. J’imagine alors un kaléidoscope d’images iconiques qui résument les points forts. Ça m’évite de faire vingt-cinq pages : j’aimerais bien, mais je n’ai pas la place. Donc je reste dans la sensation, dans l’émotion. Une manière d’être économe en mettant le spectacle au cœur de l’action. Je me surprends quand je dessine de telles planches : j’ai une idée, mais je ne sais pas vraiment quel sera le résultat final. »

Le tirage limité N&B sort ce 10 juillet.

Moins psychologique que Barracuda, moins littéraire et théâtral que Long John Silver, Raven propose un excellent moment de divertissement, très cinématographique grâce à une mise en page graphique et rythmée et des personnages attachants, même si certains devraient gagner en épaisseur dans les tomes à venir.

Cela se confirmera rapidement, car on attend le tome 2 « Les Contrées infernales » déjà pour le mois d’octobre prochain, tandis le troisième et dernier tome paraîtra dans moins d’un an, au premier semestre 2021. De plus, une version limitée du tome 1 noir et blanc complété d’un cahier graphique sortira également en juillet prochain.

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782205079869

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Lire notre dernière interview de Mathieu Lauffray : "Prophet est une série bien plus singulière qu’il n’y paraît"

Concernant Long John Silver sur ActuaBD :
- une interview de Mathieu Lauffray : « Long John Silver est le reflet de ma vision fantasmatique et incarnée de la piraterie ! »
- Une autre interview de Dorison & Lauffray : Pour Long John Silver, nous avons opté pour un style baroque et déroutant (avec Xavier Dorison, juin 2007)
- Les chroniques d’albums : Tome 2, Tome 3 et le tome 4 : Lauffray et Dorison sur les traces de Stevenson,
- L’art-book Axis Mundi
- Zoo 47 : Mathieu Lauffray à l’affiche
- L’intégrale de Long John Silver

[1Pour les passionnés d’Howard, le récit initial de The Black Stranger fut redécouvert 15 ans après le suicide de l’écrivain, et intégré dans la saga de Conan sous le titre du Trésor de Tranicos.

[2Lady Vivian Hastings est l’héroïne de la précédente série Long John Silver.

 
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