Rebis - Par Irene Marchesini & Carlotta Dicataldo - Ed. Le Lombard

Alors que sont brûlées deux sorcières en place publique (eh oui, on savait s’amuser et chasser le démon, surtout de sexe féminin, à l’époque moyenageuse...) naît Martino, adorable bébé-garçon à un ou deux détails près, dont l’un est immédiatement visible : il est albinos.

Spectacle en place publique

Pleine page. Purification du péché (sorcières homosexuelles) par le feu. Remarquable expressivité des visages : la peur / la colère.

À la joie initiale de Girolamo d’avoir un deuxième fils, succède les soupçons : une vache qui ne donne plus de lait depuis un mois, les champs qui gèlent hors saison, un renard qui attaque le poulailler, … Le mauvais oeil serait-il sur le village ? Et ne serait-ce pas cet enfant différent, non seulement du fait de la couleur de sa peau mais aussi par son attrait bizarre pour les larves d’insectes dans la forêt qui en serait la cause ? Le conditionnel ne tient pas longtemps face à la peur des voisins et villageois adultes et au rejet moqueur des autres enfants.

Puisque Martino est maudit de naissance, son père décide de le confier à un oncle qui a le mérite d’habiter loin du village. Martino choisit alors de s’enfuir, laissant ses frère et soeurs pour rejoindre une femme rencontrée dans la forêt. Cette dernière vit cachée, en autosuffisance et son visage porte des tâches comme des coulées de larmes .

Le récit plonge le lecteur dans l’action dès le début de la BD et le fait de façon habile. En effet, les premières cases donnent une impression de calme, renforcée par les dialogues qui suivent : « - Êtes-vous prêts ? Ça va être un beau spectacle ».

C’est à la quatrième planche (pleine page) que l’on comprend ce qui se passe. Beldie et Viviana participent bien malgré elles à ce « spectacle ».

Cet album de plus de 170 pages et qui pourrait se lire au premier degré voire comme une histoire jeunesse ou en tout cas « tout public », présente donc différents niveaux de lecture.

Couverture de l’édition initiale (italienne)

Un enfant vêtu de blanc : double symbole de pureté pour cette édition initiale en Italie. On pourrait croire qu’il s’agit d’une BD jeunesse.

Initialement publié en Italie, confirmant la place des auteurs italiens, confirmés et nouveaux venus, dans le 9e art, Rebis aborde les sujets de la différence, de l’intolérance religieuse, de la manipulation de la foule par la peur, de l’acceptation de soi, de la soif de vengeance qui n’a rien à voir avec la justice, de l’entraide, de l’envie de mourir, d’une vie respectueuse de la nature et des forces que l’on a en soi, de la résilience.

La crainte, la colère : « - Encore toi, maudit albinos ! Je t’avais interdit de passer devant mon église. » (Page 48)

L’exclusion, le patriarcat, la recherche des boucs émissaires : « - Aux yeux des hommes, nous ne sommes que des erreurs de la nature. » (Page 113)

La tentation suicidaire quant le rejet, intériorisé, est devenu auto-dénigrement et, à l’opposé, la main tendue, la résilience : « - Je ne peux pas réparer ce que tu crois avoir brisé. Et je ne peux pas non plus souffrir à ta place. » (Page 165) ; « - Mais je suis là pour toi, pour t’aider, pour te soutenir. Ensemble, on peut y arriver. » (Page 166)

L’animal et la sorcière

Cinq cases muettes. L’animal qui redonne le souffle de la vie ?

Il est également possible de faire de cet album, une lecture « de la diversité » plus que féministe (quoique) : Rebis (titre de l’album et prénom que se choisit le personnage principal), du latin signifiant « chose double », symbolise, selon l’Encyclopédie Universalis, l’oeuvre hermaphrodite pour les alchimistes médiévaux. Ladite oeuvre s’accomplit en trois étapes : phase de séparation, passe d’unification, phase d’union.

Martino devenu Rebis porte des robes et une longue chevelure : 1) pour ne pas être reconnu des villageois ou/et 2) pour affirmer une identité sexuelle qui n’est pas celle de sa naissance.

Ce que confirme les propos des autrices (Irene Marchesini (scénario) et Carlotta Dicataldo (dessins et couleurs), dans le dossier de presse, en cinq mots clé : sonorité, Rebis, sorcières, croyances et exclusion. Elles indiquent : «  Le personnage principal ne se définit jamais comme étant un petit garçon, c’est plutôt les lecteurs qui le définissent comme tel » ou encore : « Nous avions envie de raconter une histoire dans laquelle les rôles principaux sont joués par des femmes car il existe déjà de nombreux récits qui mettent en avant des héros masculins. »
Notons aussi que la traduction a été assurée par Claudia Migliaccio.

Chaque degré de lecture est pertinent.

La lecture est très fluide : peu de personnages secondaires, une intrigue principale uniquement. Si le récit présente quelques éléments fantastiques tels le cerf mort qui parle à Rebis ou la disparition dans des volutes de fumée de Viviana, les autrices ont cependant choisi le "réalisme".

Le traitement graphique s’avère impressionnant notamment avec les scènes du bûcher, de l’église en flamme ou encore, de la tentative de noyade.

Le personnage principal évolue progressivement et cela constitue l’un des points forts de la BD : de la candeur enfantine au désir de vengeance puis, si ce n’est au pardon du moins au refus de la haine.

Cette BD présente une complexité intéressante et bien que le scénario aurait pu être plus approfondi et la fin de l’album un peu moins rapidement amenée et plus achevée, elle permet une réflexion sur de grandes questions des plus actuelles.