Pas de doute : si l’année 2011 devait saluer un seul éditeur, c’est Delcourt qui emporterait la palme, grâce à sa prise de contrôle des éditions Soleil, à sa diversification et ) la bonne tenue générale de son catalogue, nous y reviendrons. Concentrons-nous pour l’instant autour de deux événements annoncées comme "marquants" en début d’année : le retour d’Aquablue et d’Horologiom.
Aquablue ; une nouvelle équipe aux commandes
On connait l’histoire de Guy Delcourt qui, après s’être fait débarquer de chez Dargaud, impulsa il y a vingt-cinq ans un nouveau souffle à l’édition de la bande dessinée en France.
Aquablue est emblématique de cette ascencion, avec son scénario résolument écologique et la consécration d’un dessinateur qui va inspirer une génération d’auteurs : Olivier Vatine. Remettre donc la série sur les rails est un fait marquant pour un éditeur qui s"inscrit désormais dans l’histoire.
Cinq ans après le tome 11, qui terminait un diptyque intéressant sans être inoubliable, Thierry Cailleteau et Siro laissaient donc la place à un nouveau duo, chargé de dépoussiérer cette série culte.
Le scénario s’inscrit néanmoins dans une continuité : la fondation de Nao vient de faire la découverte que certaines espèces terriennes pourraient descendre d’Aquablue. De retour après une longue absence, Nao annonce à son peuple adoptif son souhait de poursuivre les recherches sur Aquablue. Mais le précédent passage des Terriens n’a pas laissé un très bon souvenir au peuple d’Aquablue et les humains semblent d’ailleurs très désireux de revenir en masse pour investir la planète bleue.
D’emblée, l’implication de Régis Hautière apporte du crédit à cette relance car ce scénariste s’est progressivement imposé avec, entre autres, Le Dernier Envol, Vents contraires et plus récemment le splendide De Briques et de sang. Il choisit de recentrer la série sur ses bases originelles, la planète Aquablue et ses personnages marquants (bons et mauvais), prolongeant le thème la jalousie suscitée par la scientifique Chiara. Reprenant le thème écologique d’origine et la question de la différence au cœur des premiers tomes de la série, cette reprise se laisse lire avec plaisir et même un petit goût de nostalgie. Après une mise en place certes bien construite, mais plutôt lente, on attend le prochain tome pour s’emballer vraiment pour ces nouvelles aventures.
L’innovation vient du dessin de Reno. Delcourt annonçait avoir été très content par travail réalisé par ce dessinateur sur Valamon , mais déçu de ne pas avoir pu prolonger l’aventure avec ce jeune auteur de Strasbourg. Le dessinateur explique son apport à Aquablue : « J’ai tâché de reproduire le ‘métissage’ que j’avais ressenti en lisant les premiers tomes il y a vingt ans, mais en le réactualisant : une base franco-belge, une bonne mise en scène cinématographique, un traité inspiré des techniques de l’animation et une pointe d’influence asiatique pour le design. »
Effectivement, il semblait impossible de refaire du Vatine et l’innovation était de mise. Passé le premier choc, il faut reconnaître que certaines planches sont vraiment réussies tandis que d’autres souffrent de cadrages par trop acrobatiques, ou d’une trop grande présence de l’outil informatique dans la réalisation des personnages humains. Ce pari osé est pourtant réussi car, après la phase d’acclimatation, on entre progressivement dans l’univers avec l’envie de prolonger sa lecture.
Comme d’autres de ses albums couronnant le 25e anniversaire de l’éditeur, ce tome 12 d’Aquablue est disponible en grand format.
Nouvelle mouture pour Horologiom
Outre Neopolis, la collection Terres de Légendes fut un autre grand pôle du catalogue des éditions Delcourt avec La Nef des fous, mais également Horologiom. Inspiré notamment du Roi et l’oiseau, Fabrice Lebeault avait développé un splendide univers robotisé et bureaucratisé à outrance que l’arrivée d’un jeune humain extérieur allait conduire progressivement à sa perte.
Plus de dix ans après la conclusion de ce beau récit, Lebeault revient sur la série qui l’a fait connaître en proposant un premier one-shot se situant antérieurement au premier cycle : il nous décrit en détails le Service des Violences Privées, qui s’occupait des déviances criminelles qui n’étaient pas liées à la religion ou à la politique. Mais on sombre dans le mystère lorsqu’un propre membre de ce service se fait décapiter. C’est ce que le major Meursy devra élucider en entrant aux plus profonds des arcanes du système qui gère la ville.
Si le nouvel Aquablue revient aux sources, Fabrice Lebeault ne pouvait encore amener une personne extérieure sans clef, comme cela avait été le cas dans le premier cycle. C’est donc un policier zélé qui remonte le fil rouge pour pénétrer encore plus profondément dans les secrets d’Horologiom. Alors que le premier cycle était une longue course-poursuite avec de nouveaux amis rencontrés au fil des pages, cette nouveauté est véritablement un one-shot policier qu’on suit avec intensité.
Bien entendu, certains adeptes de la verve poétique des premiers tomes regretteront cette enquête plus dense, exempte des cavalcades sur les toits ou dans les bas-fonds de la ville, mais l’auteur est parvenu à réaliser le tour de force de prolonger son univers et de conserver l’attrait de la nouveauté en modifiant l’angle d’entrée.
Les couleurs jouent également un rôle important car, après les tons chauds de Florence Breton, les couleurs informatiques donnent une atmosphère légèrement austère, bien en lien avec l’univers bureaucratique décrit, mais en rupture avec les tomes précédents.
Mais après tout, qu’importe ! On prend toujours autant de plaisir à se plonger dans cette ville fantasque à laquelle nos mégapoles tendent à ressembler de plus en plus, et les automates de Fabrice Lebeault sont toujours aussi inventifs. La première édition reprend un cahier graphique qui décrit des études de personnages, l’élaboration du scénario et des pages de story-boards. On profite également d’un résumé de l’univers d’Horologiom dans les pages de garde du récit : un bijou ! Alors que les cinq premiers tomes d’Horologiom sont ressortis pour l’occasion, un septième volume devrait prolonger ce tournant de la série, prévu pour 2013.
D’autres surprises ?!?
Les deux albums de Donjon dessinés respectivement par Sfar et Trondheim et annoncés début 2011 n’ont finalement pas vu le jour. Même si les scénarios de ces 46 pages sont bouclés, on dirait que chacun des deux auteurs phares de la nouvelle génération attend que son collègue commence l’album pour s’y mettre.
Si vous cultivez néanmoins l’âme nostalgique de ces séries mythiques qui ont fait vibrer le monde de la bande dessinée pendant ces dernières années, Delcourt a ressorti quelques immanquables albums dans une version anniversaire. L’occasion de découvrir (ou faire découvrir) quelques albums marquants de ce catalogue : From Hell, L’Origine, Pourquoi j’ai tué Pierre, Chroniques Birmanes, Happy Sex, Trois Ombres, Ile Bourbon, 7 Missionnaires, …
Joli palmarès !
(par Charles-Louis Detournay)
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