Sanji’s Food Wars - par Yuto Tsukuda & Shuen Saeki - Ed. Glénat

Être cuisinier n’est, de base, pas de tout repos. Mais alors être un chef cuistot dans un monde peuplé de pirates, ça l’est encore moins !

Sanji, le prodigieux sous-chef du Baratie devenu lieutenant du futur roi des pirates, ne vit que pour son amour des fourneaux, et est prêt à tout pour offrir à ses invités l’expérience culinaire la plus exceptionnelle de leur vie.

Qu’il s’agisse de préparer des saumons explosifs, de trancher finement la chair d’un mouton géant ou de satisfaire les exigences d’une gastronome intransigeante, aucun challenge n’est hors de sa portée !

SHOKUGEKI NO SANJI © 2018 by Yuto Tsukuda, Shun Saeki, Eiichiro Oda / SHUEISHA Inc.

Fast Food

Le concept du spin-off n’est pas encore un élément parfaitement incorporé à la culture manga. À l’inverse du comics où il est courant de voir des personnages secondaires ou tertiaires gratifiés de leur propre série dès qu’ils atteignent certains paliers de popularité, le manga a plutôt tendance à cloisonner ses licences et à les garder sous la plume de leur auteur.

Comme souvent néanmoins, One Piece est un peu l’exception qui confirme la règle : le roi du manga a déjà vu son univers étendu sous la houlette d’autres artistes que le maître Oda, le plus marquant à date étant bien sûr One Piece Episode A, le sublime spin-off dédié à Ace et signé par le génial Boichi (le tome deux arrive bientôt chez Glénat d’ailleurs).

Ici, c’est Sanji, l’un des Mugiwaras les plus populaires de l’équipage, qui a droit à son album en solo. Enfin plus ou moins, car si "l’intrigue" est centrée sur lui (vous comprendrez les guillemets plus tard), on retrouve au fil des pages bon nombre de caméos et d’invités parmi les plus célèbres de l’univers One Piece.

SHOKUGEKI NO SANJI © 2018 by Yuto Tsukuda, Shun Saeki, Eiichiro Oda / SHUEISHA Inc.

Sanji’s Food Wars ne raconte pas une histoire à proprement parler, mais va plutôt nous présenter dans chaque chapitre une situation particulière vécue par Sanji dans laquelle ses talents de cuisinier sont mis à rude épreuve.

Évidemment, l’ensemble est raconté avec le style caractéristique de Food Wars : réactions hyperboliques lors de la dégustation des plats, séquences de cuisine épiques, dramatisation à l’extrême des enjeux... Et au final, ce ton très premier degré s’accorde plutôt bien à l’univers déjanté de One Piece, on comprend un peu mieux pourquoi le projet a été pensé et validé ainsi.

Reste qu’une fois le livre refermé, on se demande un peu à quoi tout ça a bien pu servir. Certes la lecture est globalement divertissante, mais on n’en a pas appris plus sur le passé ou le caractère de Sanji (comme ça pouvait être le cas dans One Piece A), aucun mystère ou sous-intrigue de la série-mère n’est exploré, la fin n’appelle à aucune suite...

L’argument principal derrière ce one-shot semble bien être purement marketing : fusionner deux des séries les plus populaires du Jump, et se reposer sur leur hype respective pour faire du chiffre.

SHOKUGEKI NO SANJI © 2018 by Yuto Tsukuda, Shun Saeki, Eiichiro Oda / SHUEISHA Inc.

Un peu trop de fan-service

Dans la même veine que Food Wars, l’histoire est teintée d’une ambiance vaguement érotique voire perverse sur certaines séquences bien précises, comme la dégustation des plats.

Cette dimension est relativement appropriée au personnage de Sanji, qui est souvent à la limite du harcèlement sexuel dans la série originale. Mais là où Oda prend ce trait de caractère avec une dérision et un humour évident (visible dans sa façon de dessiner les personnages lors de ces séquences), le fan-service est beaucoup plus frontal ici, presque graveleux parfois.

Pas au point de faire sauter la pastille verte "shonen" (comprendre "tout public") de l’édition, mais un parent qui tomberait sur la mauvaise page en le feuilletant dans un rayon de la Fnac risque d’avoir une sale surprise. Et ces moments tombent un peu comme des cheveux sur la soupe, tant le lecteur ne s’attend pas (ne souhaite pas oserai-je dire ?) en voir dans l’univers One Piece.

Niveau dessin, le standard de qualité "Shonen Jump" est respecté. C’est impeccable, vivant, précis, et les chara-designs d’Oda sont un poil plus détaillés que dans One Piece grâce au trait plus généreux de Shun Saeki.

Au final, Sanji’s Food Wars ne fait de mal à personne et ne risque pas d’entacher l’aura quasi-biblique de One Piece. Et nul doute que dans la foule d’inconditionnels de la série, un certain nombre trouvera Sanji’s Food Wars à leur goût (vous l’avez ?). Une fois acheté (pas trop cher, heureusement), c’est vite lu, vite rangé, et tout aussi vite oublié.

Gare à ce que ce genre d’ovni ne devienne pas trop récurrent : on comprend qu’aux yeux de la Shueisha, la poule aux oeufs d’or qu’est One Piece doit pondre au maximum et dans tous les râteliers. Mais parfois, s’abstenir est tout aussi bien.