On ne présente plus Ana Miralles qui s’est fait connaître par la série Djinn scénarisée par Jean Dufaux, mais on ignore souvent son travail réalisé auparavant avec son époux, Emilio Ruiz, notamment celui le plus marquant (rien à voir avec Tintin) : À la recherche de la licorne.
Opérant une petite pause avec Djinn, Miralles est repartie sur des chemins plus personnels, sans pour autant changer d’univers, car la série de quatre tomes lancée chez 12bis prend place dans un harem moghol.
Le zenana, le harem où les femmes sont libres
Muraqqa’ retrace la vie d’une femme artiste à la cour du roi Ahangir au début du XVIIe siècle. Priti a 20 ans, elle aime vivre au grand air, croquer des animaux et questionner le monde qui l’entoure. Elle fait partie de la communauté Jaïn et voudrait pouvoir n’être vêtue que par le ciel, comme ces moines Digambara, bien que cela ne soit pas autorisé aux femmes.
Mais la reine Nur a depuis quelque temps le projet de faire mettre en images la vie des femmes du palais sur un Muraqqa’, un album pouvant réunir des miniatures, des dessins et des calligraphies, composé à l’intention d’un personnage de haut rang, et elle l’a faite donc venir au sein du zenana (le harem). Cette jeune femme pure se retrouve ainsi à la cour d’un souverain musulman, spectatrice de la vie du sérail et de son époque...
C’est le scénario de Jean Dufaux qui a poussé les deux auteurs à s’intéresser de plus près à ce qui pouvait se passer dans ces harems plus libres qu’on ne pourrait le croire. Ana Miralles & Emillio Ruiz nous donnent beaucoup d’explications dans l’interview qu’il nous ont accordée, et il est vrai qu’on apprend beaucoup sur cette vie qu’on aurait pu croire beaucoup plus morne.
Une grande richesse graphique pour une intrigue parfois décousue
Les auteurs ont pris un risque en présentant un premier tome d’introduction qui explique bien leur univers. Si on est portés par les superbes dessins et les couleurs d’Ana Miralles, ainsi que par l’intéressante description de ce cadre particulier, on est loin d’être captivés par le récit dont l’intrigue se borne à une succession de tableaux et une présentation souvent confuse des personnages.
La seule scène “d’action” ne suffit pas à dynamiser l’ensemble et, la lecture finie, on reste intéressé par la série, tout en espérant que la suite offrira plus de rebondissements.
La série demeure cependant une bonne surprise car le mélange des cadres historiques et romanesques est si bien tissé que l’on voit vraiment la Muraqqa’ s’exécuter devant nos yeux, sans distinguer le réel de l’imaginaire.
Enfin, pour les (nombreux) fans du dessin de Miralles, la version de luxe de 12Bis contient un très beau cahier graphique qui devrait les satisfaire.
Waluk, un conte polaire à recommander chaudement
Même auteurs, mais dans un univers complètement différent avec ce très bon conte arctique sorti chez Delcourt. Loin de s’adresser aux adultes avec beaucoup de références historiques, Waluk fera le bonheur des petits et grands enfants.
L’album raconte la vie d’un jeune ourson abandonné par sa mère.Tiraillé par la faim, Waluk se sent très malheureux jusqu’à sa rencontre avec Esquimo, un vieil ours qui le prend en affection. Commence alors l’apprentissage du jeune Waluk pour une vie où l’insouciance a peu de place, sur une banquise qui se réduit comme peau de chagrin. Il doit surtout se défier d’un adversaire redoutable : l’homme !
Loin d’être un récit porté uniquement sur l’écologie, Waluk est surtout une merveilleuse fable sur l’aide intergénérationnelle, l’amitié et l’altruisme. Dans ce format à l’italienne, Miralles est parvenu à épurer son dessin et à jouer avec ses couleurs de manière à rendre avec beaucoup de justesse et de sensibilité des situations pleines d’émotions.
On rit, on s’émeut, on s’inquiète et on blâme les protagonistes selon les moments du récit. Dans un rythme extrêmement bien dosé entre les diverses moments de l’intrigue, chaque page apporte son lot d’informations et d’émerveillement, très loin d’une leçon scolaire. L’album a d’ailleurs très justement été sélectionné au festival d’Angoulême.
Que cela soit au cœur de la torpeur asiatique ou dans les grands vents polaires, Ana Miralles prouve que sa palette graphique est très étendue, et qu’elle a encore beaucoup de choses à nous raconter aux côtés de son époux Emilio Ruiz. Si la suite de l’intrigue de Muraqqa’ est aussi bien construite que Waluk, on s’attend à un succès aussi mérité que celui de Djinn !
(par Charles-Louis Detournay)
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