Betty Pennyway a été victime d’une monstrueuse agression. L’actrice, qui est au sommet de sa carrière et en plein tournage d’un western très attendu, se réveille un matin avec un sale dessin sur la joue. Non seulement le film est remis en cause, mais c’est la vie même de la jeune femme qui est bouleversée. Elle fait la Une de la presse à scandales et ne sait pas si elle pourra un jour rejouer pour le cinéma.
L’inspecteur Hernie Baxter, expérimenté et flegmatique, est chargé d’enquêter. Qui a pu commettre un geste si dégradant ? Il faut toute la persévérance, la sagesse et le savoir-faire du détective pour démêler le vrai du faux. Il entreprend donc une plongée dans le milieu du 7e Art. Mais Hollywood est tapissé de jalousies et de rancœurs. Le policier doit multiplier les interrogatoires et faire face aux imprévus.
Bien que l’agression en elle-même soit quelque peu saugrenue, la trame est classique. Fabcaro met en place tous les éléments d’un genre dont l’âge d’or est passé, mais qui suscite encore des œuvres inspirées. Son polar renvoie aussi bien aux films noirs des années 1940 et 1950 qu’à la littérature hard-boiled telle qu’elle est apparue à la fin des années 1920. Description d’un milieu et d’une ambiance, personnages tourmentés, noirceur des relations humaines... Tout y est.
En apparence du moins. Car Fabcaro ne reprend les clichés et les références que pour mieux les détourner. Génie de la parodie, il tord les archétypes pour mieux faire saillir les préjugés comme les ficelles du genre. Il sait aussi se moquer avec une certaine tendresse. Ainsi, ses personnages ne sont jamais totalement condamnables et, derrière une apparence lisse, cachent parfois une humanité inattendue.
Il faut pourtant commencer par lire Moon River comme une bande dessinée d’humour. Si tous les livres de Fabcaro ne peuvent atteindre la virtuosité - et le succès - de Figurec [1] et de Zaï zaï zaï zaï [2], ils sont toujours l’assurance de passer un bon moment, avec pas mal de sourires voire de vrais éclats de rire. Et, au passage, quelques réflexions bien senties sur les absurdités de notre monde.
Moon River permet une nouvelle fois à son auteur d’user des différents ressorts de la comédie : parodie et détournement d’un genre bien sûr, mais aussi comique de situation, running gag, jeux de mots, nonsense... Dialoguiste hors-pair, Fabcaro a l’art des répliques qui font mouche.
Il fait preuve également dans cet ouvrage - ce n’est pas là non plus une nouveauté pour lui - d’énormément d’autodérision. Il ne s’épargne pas. Comme auteur et comme homme, il se représente fatigué, presque en bout de course, s’accrochant à des idées qu’il est le seul à défendre. Il reprend à son compte les critiques contre son dessin et son « style ». Il se montre sur le déclin, ce qui entre en résonance avec le récit de genre qu’il présente en premier lieu, une histoire se déroulant dans un monde finissant, fondé sur les apparences.
Comme tous les grands humoristes, Fabcaro porte un regard personnel et lucide sur notre monde. Sans en avoir l’air, il nous tend un miroir et nous oblige à prendre conscience de nos défauts et de nos tics. Teinté de mélancolie voire d’une pointe de dépression, son humour cache - c’est la moindre des politesses - le désespoir du créateur.
(par Frédéric HOJLO)
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Moon River - Par Fabcaro (textes, dessins & couleurs) - 6 Pieds sous terre - couleurs de la séquence western par Jeff Pourquié - compléments bichromie & design par Jiip Garn - 17 x 23 cm - 80 pages couleurs - couverture cartonnée - parution le 16 septembre 2021 - 16 €.
Lire quelques pages de l’ouvrage.
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[1] Gallimard, coll. « Blanche », 2006.
[2] 6 pieds sous terre, 2015.