Line et Marlène sont seules sur une planète inconnue, aux confins de l’univers. Les deux sœurs, aux caractères complémentaires, ont été chargées par leur père, scientifique chevronné mais marginalisé, de retrouver des éléments entrant dans la composition d’un assemblage destiné à sauver l’univers. Rien que ça !
La situation est pour le moins tendue. Tout ce qui compose le monde matériel disparaît subrepticement. Du corps stellaire le plus massif à la plus infime poussière, tout est menacé de disparition. Êtres vivants et objets non animés subissent peu à peu le même sort : un évanouissement inexpliqué, qu’il n’est pas possible de juguler ni même de prévoir.
Cet escamotage géant reste mystérieux. Il ne sera d’ailleurs pas éclairci dans EKSPLORACJA, bande dessinée de la jeune autrice Julie Michelin éditée par L’employée du Moi. L’enjeu réside « simplement » dans le sauvetage miraculeux de l’univers. Cette lourde responsabilité repose sur une poignée d’individus, dont Line et Marlène, les propres filles du scientifique qui aurait trouvé une solution à l’épineux problème.
Toutes deux doivent rapporter l’Arbea Nauticeum et l’Obsidonita Kevlar, derniers éléments manquants d’une liste de cinq dont la fusion pourrait rendre sa stabilité à l’univers. Encore faut-il parvenir à les trouver, les conserver et les transporter jusqu’au vaisseau où doit se dérouler l’expérience ultime. Une véritable quête, digne des meilleurs récit de science-fiction, à la fois inédite et classique.
Julie Michelin réunit dans EKSPLORACJA les principaux ingrédients de la science-fiction : vols spatiaux, étrangeté scientifique, formes de vie extraterrestres... Elle y ajoute le mystère, l’aventure et le suspens. La poésie aussi, principalement grâce à son dessin tout en légèreté et à ses superbes couleurs à l’aquarelle.
Loin de l’esthétique des space operas les plus connus, la bande dessinée de Julie Michelin privilégie les tons clairs et les formes floues. L’ambiance est au rêve - certains passages sont directement oniriques - et au merveilleux, comme si Lewis Carrol avait lu Arthur C. Clarke. Et si l’action est bien présente, la violence n’est jamais de mise dans cette exploration.
Comme dans tout bon récit de science-fiction, c’est la condition humaine qui est finalement questionnée. Le devenir de l’humanité, notre propre contingence, le rôle des responsabilités individuelles, la rencontre avec l’autre font partie des thèmes développés par Julie Michelin, sans que son fil narratif en soit alourdi. Une approche presque philosophique voire métaphysique de l’aventure, qui lui confère une densité appréciable.
Cette nouvelle incursion de L’employé du Moi du côté de la science-fiction, après la publication de Dr Cataclysm de Mortis Ghost (2018-2020), est donc réussie. Rafraîchissante et dépaysante, elle rappelle que les éditeurs alternatifs ne dédaignent pas la bande dessinée de genre, et savent au contraire s’y attaquer pour la renouveler.
(par Frédéric HOJLO)
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EKSPLORACJA - Par Julie Michelin - L’employé du Moi - 21 x 28 cm - 184 pages couleurs - couverture cartonnée - parution le 19 mars 2021.
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