Avant une grande exposition parisienne, Benjamin passe un week-end à Cadaquès en compagnie de Romy, une institutrice qui partage sa vie. Alors qu’il fait défiler sur son téléphone des photos prises durant ce séjour, l’une d’elles attire particulièrement son attention : on y voit au centre d’une petite plage une femme allongée seule en train de bronzer. À ce moment se produit l’accident dont les conséquences s’avèrent dramatiques et implacables pour la conductrice. Benjamin assiste ensuite à la longue agonie de son amie plongée dans un coma artificiel, dont l’issue au fil des semaines s’avère très incertaine.
Obsédée par cette photo, le jeune homme entreprend de retrouver la mystérieuse inconnue. Alors que sa femme est mourante, il est partagé entre la culpabilité et le désir de s’autoriser à continuer de vivre.
Ces deux sentiments d’apparence contradictoires servent de prétexte à un récit tout en finesse et pudique jouant sur différents registres d’émotion tant sur le plan narratif que graphique.
Depuis plusieurs années, Jim nous offre des sujets sensibles, où les préoccupations d’adultes sont exposées, disséquées avec délicatesse et habileté. Si l’étiquette de BD adulte se réduisait encore il y a quelques années à des publications agrémentées de galipettes ou de partis pris idéologiques affirmés, la démarche adoptée ici ouvre le medium à d’autres horizons : la dérive des sentiments, la nostalgie du temps qui passe ou la crise existentielle du quinqua occidental sont traitées dans un registre qui oscille entre BD, cinéma et récit intimiste. De la BD adulte mais pas réservée.
Comme dessinateur ou comme scénariste, Jim parvient à poser au moyen de portraits clairvoyants, un regard lucide sur nos contemporains, sans complaisance mais toujours avec bienveillance. Alors que le cinéaste Claude Sautet décrivait une certaine France des années 1970 à partir de personnages très choisis, Jim semble bien parti pour faire de même avec celle des années 2010-2020. Pas étonnant que les auteurs aient choisi d’intégrer une des séquences les plus célèbres du film, Les Choses de la vie. Nul doute que ce titre aurait pu convenir à cette généreuse chronique de près de 300 pages où l’on retrouve les thèmes de la séduction, de l’amour, de la mort, de l’absence et du silence comme fil rouge d’une quête inaccessible et indéterminée.
Le choc graphique provoqué par ce livre rare et ambitieux est assuré avec brio par Laurent Bonneau. Ce dessinateur multitâches qui passe aussi bien du scénario à la vidéo ou à la peinture est déjà à l’origine d’une oeuvre forte d’une bonne dizaine d’albums. Ce quatrième livre publié chez Grand Angle confirme encore sa capacité à s’inscrire dans des projets innovants au risque d’explorer des démarches inédites.
Liberté de création, va et vient entre récit et illustrations et expérimentation ont permis au deux auteurs d’entrer dans un processus de création original exigeant de part et d’autres souplesse, complicité avec son lot d’incertitudes. Se laisser porter, tâtonner, chercher, "essayer d’essayer" (comme le chante Miossec), une expérience d’écriture élaborée au fur et à mesure, hors norme, perceptible à la lecture de l’album.
Le résultat est tout bonnement bluffant donnant un récit où l’émotion affleure à chaque page avec une synergie entre texte et dessin. Trait, graphisme, couleurs et montage sont au service d’une narration fluide et parfaitement maîtrisée. Touche-à-tout talentueux, Laurent Bonneau réussit une mise en images pleine de sensibilité. La puissance de narration et son graphisme magnifique font de ce gros volume un authentique chef-d’œuvre !
(par Patrice Gentilhomme)
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