Les Amants de la Terre sans nom – par Didier Quella-Guyot et Joël Alessandra – Editions Félès

Si l’on dispose de nombreux récits, films et témoignages à propos des périodes coloniales vécues par les Britanniques ou l’État français, les mêmes faits exercés par l’Allemagne sont beaucoup moins connus. Et pourtant Berlin a récemment reconnu le caractère génocidaire et sa responsabilité dans les massacres provoqués pendant son occupation de ce qui ne s’appelait pas encore la Namibie.

À travers l’histoire extraordinaire (et véridique) de ce couple atypique : Jayta Humphreys, riche héritière américaine et Hans-Heinrich Wolf, officier de l’armée coloniale allemande, ce récit révèle des événements inconnus survenus dans cette Terre sans Nom.

Après leur mariage, les jeunes gens décideront de construire un véritable château médiéval au cœur du désert tout en se lançant dans l’élevage de chevaux. Lorsqu’il était militaire, dix ans plus tôt, en 1904, Hans a découvert le pays dans de terribles conditions et a été le témoin des massacres de la population locale, revendiqués au plus haut niveau par des autorités. Une politique d’extermination des peuples Herero et Nama.

Le jeune militaire ayant assisté à ce qui constitue le premier génocide du XXe siècle restera profondément marqué par cette expérience et ne tardera pas à sombrer dans l’alcoolisme et un état de dépression quasi permanent. Ces circonstances mirent aussi en péril son couple et ses relations avec les autres colons. Si la belle Jayta prend le parti des autochtones en raison de ses idées progressistes, il en est tout autrement pour la majorité des Européens de cette époque. Une vision des populations principalement nourrie de racisme, de dédain et de condescendance. L’épopée du couple américano-allemand n’en est que plus stupéfiante dans le contexte d’un monde sur le point de basculer dans la Première Guerre mondiale.

Grand voyageur passionné d’histoire, Didier Quella-Guyot s’intéresse, une fois de plus, à des faits historiques souvent peu ou mal connus. Après la guerre 1914 vue du Pacifique (Papeete- éditions Bamboo/Grand Angle), la catastrophe d’Halifax (avec Pascal Regnault publié chez Félès) c’est donc du côté de la politique coloniale allemande que le scénariste jette son regard. Avec ce récit entre romance et chronique historique documentée, il nous révèle une part d’ombre peu glorieuse de la politique africaine menée par Berlin. Cette politique d’extermination fut justifiée au plus niveau sans soulever de réactions de la part des contemporains en Allemagne ou ailleurs.

Joël Alessandra illustre cette histoire aux paysages désertiques impressionnants grâce à un graphisme parfois un peu raide mais efficacement soutenu par des couleurs à l’aquarelle solaires et lumineuses. Une profusion d’ambiances exotiques dans lesquelles le dessinateur est manifestement très à l’aise.

Avec pour emblème Bastet, la déesse égyptienne de l’enfantement, la petite équipe des éditions Félès publie essentiellement des histoires en prise avec le réel. : biopics, reportages dessinés ou petites histoires dans la grande (comme avec cet album) sont au catalogue de cette petite maison nichée au cœur de l’Alsace.