Les rufians ou les mafieux chevaleresques de Buenos Aires

Initialement paru en épisodes dans la revue argentine Fierro entre 2010 et 2011, puis compilée et augmentée de deux chapitres par les éditions Historietecas en 2014, les histoires de petits malfaiteurs de Santullo et Ginevra, nous parviennent sous une traduction des éditions iLatina. On commence avec le récit de Caracucha (personnage aux allures du meme Forever alone) un larbin tombé entre les mains d’une mafia rivale et qui sera notre narrateur intermittent au fil des différents récits. Ces histoires qui composent l’album sont composées d’un florilège divers des bas-fonds du Buenos Aires des années 50. Un pianiste d’un bar tombé amoureux d’une belle prostituée, une petite fripouille qui vit de braquages dans les bus, un sous-officier peroniste qui tente d’exposer la conspiration contre le président et bien d’autres...

Chacun vit dans son univers propre, submergé par ses tracas quotidiens, mais peu à peu, une succession de hasards et d’espoirs partagés commence à les lier : le complot des militaires grandit et, grâce aux actes du jeune sous-officier, leurs destins se rejoignent.

Les rufians. Ed iLatina

Composé par cette mosaïque de petites histoires entrecroisées, le rythme de l’album commence en douceur. On nous présente chaque personnage, sa besogne ordinaire et les petites misères qui la composent. Dans la lignée des nouvelles de Roberto Arlt et de Roberto Mariani, c’est un univers gris, où l’indigence morale semble se refléter sur les habits et les lieux où habitent ses créatures marginales. Le trait fin de Dante Ginevra devient léger et caricatural quand ils sont épris de cupidité ou mis en évidence, puis évolue vers l’obscur et le touffu, au moment où le drame les frappe et le poids des événements les écrase. La mort, portée par une lame ou une balle, n’est jamais loin dans ses quartiers, sous les airs mélancoliques des tangos d’Enrique Santos…

Alternant entre humour déjanté et réalisme social, les histoires de Rufians dressent un tableau sombre de la capitale argentine. Et pourtant, une lueur d’espoir brille : Perón. Sans tomber dans l’apologie du président général des armées, qui encore de nos jours jouit d’un prestige considérable chez les classes populaires, l’album illustre l’emprise de sa personne et la dévotion sincère des plus démunies envers lui, allants même à se rallier au-delà de leurs différences pour lui porter main forte.

Les rufians. Ed iLatina

Peu à peu, les événements s’enchaînent et la lecture des derniers chapitres se fait à un rythme de tambour battant, tout en rehaussant les enjeux et les morts commencent à parsemer la course-poursuite finale.

Le style et l’esthétique hétéroclite de l’album construisent une atmosphère fabuleuse autour du récit (renforçant le caractère de mythe urbain) avec une fin où notre narrateur, toujours seul, est laissé dans de beaux draps... Envoûtant par son atmosphère, le récit parvient à redorer l’image de nos héros des bas-fonds et nous livre une histoire sur l’application des codes d’honneur et de panache, dans un monde où les aristocrates bombardent leurs compatriotes sans merci.

Les rufians. Ed iLatina