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Luc Bourcier : "Izneo est la seule plateforme d’origine européenne à avoir aujourd’hui une crédibilité sur la création de contenu numérique" [PODCAST]

Par Auxence DELION le 2 octobre 2021                      Lien  
Izneo est le leader européen de la BD numérique. Créé en 2010, son catalogue généraliste compte 40 000 albums et épisodes de webcomics/webtoons, soutenu par 220 éditeurs et créateurs indépendants à travers le monde. Étant donné son statut de pionnier, il nous paraissait incontournable de rencontrer son directeur général, Luc Bourcier, pour comprendre son rôle dans ce milieu en pleine ébullition. Izneo était d'ailleurs présent lors de la rencontre professionnelle organisée les 29-30 septembre par la KOCCA au Palais des Congrès.
Luc Bourcier : "Izneo est la seule plateforme d'origine européenne à avoir aujourd'hui une crédibilité sur la création de contenu numérique" [PODCAST]

Comment définiriez-vous Izneo ? Et pourquoi le choix d’une offre généraliste ?

LB : Izneo est la première plateforme européenne de comics et bande dessinée en ligne. Notre choix d’être généralistes est historique : nous voulons représenter la bande dessinée dans sa diversité -albums, mangas, comics-, auxquels le webtoon s’est ajouté. Nous sommes toujours les pure players de quelqu’un : ce que nous vendons est aussi vendu sur Amazon qui est encore plus généraliste. Nous, nous vendons du récit graphique, à défaut d’autre terme pour regrouper toute l’offre. Il y a une communauté d’intérêts, de lecteurs potentiels attirés par ce que nous proposons, qui forment une masse de gens intéressés par un format bien spécifique, il y a une certaine granularité de notre offre.

Diriez-vous que vous avez profité d’une tendance naissante, ou avez-vous créé une envie de numérique ?

LB : L’envie de numérique est assez modeste en France. C’est un ensemble d’éditeurs et de distributeurs qui ont généré et diffusé cette envie : Amazon, Livebook Store, Kobo, Sequencity, etc. Je pense que les jeunes générations cherchent des loisirs numériques sur leurs portables, c’est à cette demande que l’on doit répondre. Au fond, si l’on veut que les Millenials se remettent à lire autant ou plus que les générations précédentes -ils lisent moins que la génération précédente au même âge-, il faut aller les chercher là où ils sont. Le smartphone devient l’accès privilégié à la culture, et le récit graphique doit y trouver sa place.

La stratégie actuelle qui consiste à publier en librairies des BD numériques à succès ne risque-t-elle pas, paradoxalement, d’éloigner les lecteurs du numérique ?

LB : Effectivement, si demain les BD numériques passent au livre, cela rend la création plus confuse, il n’y a plus de place pour la création native et « pure ». Le rôle de la BD numérique dans son ensemble est compliqué : il n’est pas clair dans l’esprit des utilisateurs si les créations viennent du numérique ou du papier. Il faut se rappeler qu’en France, la domination sans partage du livre qui représente 95 % du marché fait que la perception naturelle est que le récit graphique est imprimé. L’enjeu, me semble-t-il, est de faire partager le message que le numérique peut émettre des créations spécifiques, de qualité et qui plaisent aux lecteurs. En Asie, la situation est très différente : il y a autant de chiffre d’affaires dans le numérique qu’en imprimé, donc chacun peut choisir un format en fonction de ses usages. Il faut militer en faveur de l’idée qu’il existe des récits graphiques qui n’ont pas de correspondant papier.

Une offre de webtoons riche et en expansion constante

Auriez-vous des exemples de bandes dessinées numériques uniques en leur genre sur Izneo ?

LB : Il n’y a que les webtoons, aujourd’hui, qui arrivent à percer et à créer une formule qui fonctionne. Izneo est un acteur relativement modeste du webtoon, qui va continuer d’évoluer sur ce marché encore naissant. Le webtoon est le seul format qui est devenu, de fait, le standard mondial de la publication numérique graphique native. Si l’on raisonne en termes de génération de revenus, c’est le premier choix de tous les opérateurs. Nous essayons de développer la création de webtoons, mais nous avons accumulé beaucoup de retard par rapport à l’Asie, et dans une moindre mesure, l’Amérique du Nord. Aujourd’hui, le marché français est très petit, les auteurs ont du mal à générer des revenus numériques substantiels. Au fond, cela ne facilite pas la motivation vers le numérique pour un grand nombre d’auteurs. Mais entendons bien que si le marché progresse, ce qui sera le cas dans les prochaines d’années, il y aura plus de propositions numériques et d’auteurs.

Est-ce que les auteurs de webtoons peuvent générer des revenus grâce au marché de l’art ?

LB : Je pense que c’est moins vrai dans le webtoon que dans la bande dessinée physique. On n’est pas sur le même type de graphisme, ce qui compte est la simplification et la lisibilité. Mais il n’est pas impossible que des auteurs viennent avec des œuvres plus abouties, différentes de ce qui se fait à l’heure actuelle. En tout cas, aujourd’hui, s’il y a un marché secondaire du webtoon, l’audience n’est pas suffisante en Europe pour identifier des auteurs spécifiques.

L’abonnement est-il le modèle économique par excellence dans la BD numérique ?

LB : Cela dépend si on réfléchit en termes de chiffre d’affaires ou d’utilisateurs. Si on prend le chiffre d’affaires, il est à peu près réparti également entre l’abonnement et la vente de tomes à l’unité. Ce qu’il faut garder à l’esprit, c’est que nous jouons un rôle de diffuseur : ce n’est pas nous mais l’éditeur qui fixe le prix de l’abonnement. Nous sommes dépendants des contenus que les éditeurs veulent bien nous céder, ce qui signifie qu’il ne contient pas tout le contenu disponible en vente à l’acte. Par exemple, les mangas ne sont pas disponibles à l’abonnement, les éditeurs japonais étant très regardants sur leurs franchises. On a aujourd’hui à peu près 5 000 titres et 3 000 épisodes de webtoons disponibles en abonnement, contre 400 000 albums en vente à l’acte. Dans la consommation numérique, on est dans une logique de flux et de service, et non de vente et de stockage, qui est davantage un reflet de l’ancienne économie. C’est également ce qui s’est passé dans la musique et la vidéo. Si le contenu nous appartenait, nous irions complètement dans le flux.

Avez-vous tenté de promouvoir le numérique auprès des institutions publiques ?

LB : En France, nous sommes régis par le prix unique du livre. C’est la voix d’un écosystème, qui veut ces réglementations. Notre vrai objectif est d’abord de convaincre les éditeurs que le numérique constitue une part importante de leur avenir. S’ils sont prêts à aller beaucoup plus loin dans le paradigme du numérique, les autorités suivront. Le ministère de la Culture n’intervient qu’à la fin et ne décide que ce que les principaux concernés s’accordent à dire. On ne peut pas considérer aujourd’hui que les ebooks constituent l’alpha et l’oméga du numérique, il faut aller au-delà. Les éditeurs n’ont pas actuellement de réponse à cela, la seule réponse qui existe aujourd’hui est le webtoon. Même si ce dernier est très bien accueilli, il n’est présent que depuis deux-trois ans. La multiplicité des offres dans les prochains mois va continuer à pousser ce marché vers le haut. C’est juste une question de temps.

Les innovations en France sont-elles insuffisantes pour que la BD numérique s’épanouisse ?

LB : Pour le moment, les innovations liées au numérique sont malheureusement inexistantes. Il y a quelques années, on avait entendu parler du Turbomédia. Mais il n’est rien devenu… personne n’a souhaité le diffuser. Je pense qu’en France, les talents sont incroyables, mais on manque de capacité à diffuser et rayonner sur le plan international, alors qu’on vit dans une claire globalisation des marchés. Izneo est la seule plateforme d’origine européenne à avoir aujourd’hui une crédibilité sur la création de contenu numérique. C’est dommage que l’on soit les seuls, car ce n’est pas très bon signe. Quelle est la capacité à faire des innovations un business model pérenne ?

Si elles sont importées par des industriels qui ont la capacité de les diffuser, ces innovations resteront lettre morte. Nous sommes présents en langue allemande, néerlandaise, anglais, et bientôt espagnole, mais on constate que les autres pays européens sont encore plus en retard que nous : les lecteurs français représentent 80 % de notre lectorat. On voit bien qu’avec les autres diffuseurs de contenu, les marchés restent insuffisamment développés. En France, toutes les œuvres ne sont pas numérisées, mais ça reste beaucoup plus important qu’ailleurs en Europe. Et notre marché reste très limité en taille…

La BD sur l’Afrique ne manque pas sur Izneo... ne reste plus qu’à développer la création africaine elle-même

Quid du marché francophone mondial ? Visez-vous les lecteurs africains ?

LB : Tout à fait. Nous cherchons comment nous développer sur ce marché, mais les moyens sont beaucoup plus faibles qu’ici, l’offre reste inaccessible à la majorité des populations africaines. Les business models peuvent être adaptés, bien sûr, nous pouvons par exemple proposer des abonnements plus courts, mais il y a des limites. Nous ne pouvons pas proposer la gratuité comme le fait Naver-Webtoon, cela aurait un coût immense pour Izneo et il n’est pas question pour les auteurs de faire circuler leurs créations gratuitement.

L’autre problème que nous rencontrons avec ce marché est, premièrement, que notre contenu est essentiellement le reflet de cultures européennes et qu’il y a tout un catalogue africain à construire, et secondement, que la monétisation est difficile à mettre en place. L’Afrique francophone est évidemment très intéressante, mais nous n’avons pas de réponses immédiates pour le moment, tout reste à construire.

(Propos recueillis par Auxence Delion)

(par Auxence DELION)

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- Horizon - Par Ji-Hoon Jung - Izneo Publishing/JAEDAM

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