Longtemps, la bande dessinée érotique s’est alimentée aux classiques de la littérature dite du « second rayon » : Le Marquis de Sade, Sacher Masoch, Guillaume Apollinaire, Pauline Réage… Mais depuis que la bande dessinée est devenue « adulte » avec le succès planétaire de Barbarella de Jean-Claude Forest (1964), de vraies personnalités sont sorties du lot qui sont devenues à leur tour des classiques, spécifiques au 9e art.
Milo Manara est bien un produit des années 1980 : insolentes, débridées, sans tabou. Il est l’héritier d’une époque qui a connu Visconti, Fellini, Pasolini, Bertolucci… Des cinéastes qui ont su faire bouger les lignes morales d’une Italie longtemps sous l’emprise de l’Eglise. Chez Manara, l’érotisme n’a ni la sophistication exacerbée d’un Crepax, ni la frontalité et la fantaisie d’un Pichard, ni non plus l’alchimie minérale d’un Serpieri. Elle est candeur et ingénuité, un plaisir simple donné ou rendu, un moment de grâce.
Dans cette vidéo, Manara revient sur les conditions de sa création : une BD venue en remplacement du grand Crepax dans la revue de charme Playmen. Une petite fantaisie rapide conçue sans penser à mal, un pitch réduit à l’état de cliché : que ferait une femme manipulée par une machine à provoquer des désirs ?
Son passage dans L’Echo des Savanes -période Albin Michel- apporte un succès concrétisé par le film de Jean-Louis Richard en 1985. Le dessinateur d’Un Été indien écrit pour lui par Hugo Pratt et des Aventures de Guiseppe Bergman publié dans la mémorable revue (A Suivre) avait trouvé là un créneau privilégié qui sera sans doute celui pour lequel on le retiendra dans l’histoire de la bande dessinée.
40 ans plus tard, son regard en arrière est empreint de nostalgie. Face aux censeurs de tout acabit toujours prêts à resurgir de l’ombre et à une révolution sexuelle qui s’est heurtée à la pandémie du SIDA, il se rend compte que cette légèreté qui était la sienne dans sa jeunesse n’est peut-être plus perçue avec la même bienveillance qu’avant.
Philosophe, il a conscience qu’à 77 ans, Eros s’éloigne et que l’Achéron le mène chaque jour davantage vers Thanatos. Mais il sait d’expérience aussi que si cette liberté n’est plus de saison, les saisons changent, et que son statut de classique le protège désormais contre l’oubli.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
(par François RISSEL)
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En médaillon : Photo de Kelian Nguyen