Les vecteurs de la culture sont nombreux. Mais quand on aime la lecture, quand on aime le livre en tant qu’objet et en tant que construction d’un regard qui s’adresse à nous, ce sont les auteurs dont il faut parler, ce sont les libraires qu’il faut défendre, ce sont les éditeurs dits « petits » qu’il faut aider !
Voilà pourquoi on vous invite à vous plonger dans la lecture d’un livre tout en fraîcheur, tout en tolérance, un livre au dessin vif, aux couleurs quotidiennes, un livre sans tape-à-l’œil, un livre qui donne envie de sourire, tout simplement : Passe Misère de Pierre Maurel.
Une panne de voiture, et voilà un agent commercial coincé, le temps de la réparation, dans un bled comme on en trouve partout en France : Chamiers, en Dordogne. Dès le titre et la couverture, l’auteur révèle ses principales références et sources d’inspiration : le film Le Passe-montagne de Jean-François Stevenin (1978), ainsi que sa propre expérience à Chamiers, où il a été en résidence artistique dans le cadre de « Vagabondage 932 ».
Pendant trois jours, Georges, employé tranquille et sans beaucoup d’ambition, qui a le même prénom que le héros du film de Stevenin, se voit obligé de prendre son temps… De prendre le temps de ne pas s’en faire pour son boulot, de prendre le temps de ne pas stresser au sujet de son épouse, de prendre le temps de vivre, simplement, en reniant tous les rythmes et les habitudes que l’existence lui impose depuis toujours.
N’allez pas croire, cependant, que ce livre nous conte la remise en question d’un individu oppressé par les obligations de la vie ! Avec Pierre Maurel, les scénarios tout faits n’ont pas cours - que l’on se rappelle par exemple de Blackbird (L’employé du Moi, 2011) ou encore de son étonnant Post Mortem (Gallimard BD, 2012). Cet auteur aime l’inattendu. Il aime surtout raconter les gens, tels qu’ils sont et tels qu’ils se montrent, en déniant aux stéréotypes tout pouvoir.
Georges, le « héros lambda » de ce livre, vaguement cousin du Michel que Pierre Maurel fait vivre depuis quelques années, se balade au milieu d’autres quotidiens que le sien. Il squatte un immeuble en attente de démolition, découvre des jardins ouvriers juste à côté d’une usine de produits chimiques, redécouvre le plaisir de flâner, de parler à des gens qui se retrouvent dans un bar, de les écouter et de les regarder, aussi, surtout.
Il va ainsi, en acceptant d’oublier le monde d’ailleurs, le sien, se sentir bien, accepté et acceptant… Tous les personnages de ce livre sont différents, du garagiste à Georges, de l’ivrogne qui a vu passer en voiture le gourou Raël à un musulman recherchant désespérément son mouton.
Ce livre raconte donc trois jours d’une existence à côté de la vie « normale ». Oh, il ne s’agit pas de révolution philosophique et personnelle pour le principal protagoniste, mais d’une sorte de parenthèse qui lui permet de retrouver, même si ce n’est que pour un court laps de temps, un rythme différent, comme un souvenir rêvé, mais sans mélancolie aucune.
Ce livre est un regard sur le temps, sur les amitiés éphémères, sur les rencontres possibles, sur l’art et ses interrogations, sur la nature et ses environnements humains.
C’est un livre savoureux, souriant, intelligent, un livre en dehors des modes. Pierre Maurel se laisse aller de page en page, tout comme se laisse aller son héros quotidien. Et les éditeurs, Les Requins Marteaux associés aux Éditions Ouïe/Dire, ont choisi, eux aussi, la voie de la simplicité pour faire de la tranche de vie racontée par l’auteur un petit livre tout simple, souple, qui se lit du bout des yeux, avec plaisir…
(par Jacques Schraûwen)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Passe Misère - Par Pierre Maurel – Éditions Ouïe/Dire & Les Requins Marteaux - collection Transhumance - 17 x 24 cm - 48 pages couleurs - parution le 22 octobre 2020
Lire également sur ActuaBD à propos de Pierre Maurel :
Pierre Maurel, dessinateur militant
Le jour où l’autoédition fut interdite
Pierre Maurel : « Les créatures de Post Mortem sont juste des outils pour parler des rapports sociaux. »
La Prof et l’Arabe - Par Pierre Maurel & Dominique Laroche - Casterman
Pierre Maurel place Michel face aux affres des temps modernes
"Fils des âges farouches" : le Michel de Pierre Maurel poursuit son bonhomme de chemin chez L’employé du Moi
Avec "Dr Cataclysm" et "Michel", L’employé du Moi fidèle à ses personnages, ses auteurs et ses lecteurs
Et à propos des Éditions Ouïe/Dire :
Le Voltigeur - Journal illustré des Éditions Ouïe/Dire et de la résidence d’artistes Vagabondage 932
"Le Voltigeur" #2 : Ouïe/Dire et Vagabondage 932 poursuivent leur exploration de Coulouniex-Chamiers
"Le Voltigeur" #3 - Éditions Ouïe/Dire
"Le Promeneur du Morvan" (Les Requins Marteaux / Éditions Ouïe/Dire) : Vanoli en résidence au cœur d’une France oubliée
Sur le motif - Vagabondages à Vandœuvre - Collectif - Éditions Ouïe/Dire
Cuisine centrale - Par Troubs - Pollen / Ouïe/Dire / Les Requins Marteaux