L’objet, déjà, fascine. Le dessin de Bertrand Gatignol se joue du format de ses personnages, entre géants et nains-humains, pris dans l’écheveau d’histoires parallèles dont Hubert tisse la toile et dont il complexifie le système narratif par de longs chapitres introductifs, tandis que les planches qui suivent entraînent le lecteur dans une ambiance feutrée de dentelles et de velours noirs, quelquefois adornés de reflets d’or. Nous sommes dans un grimoire avec ses formules sibyllines et ses sentences oraculaires mais aussi avec ses situations pénétrées de fantastique.
La trame est étouffante principalement parce que sa narratrice est une recluse, aujourd’hui enfermée dans une pièce d’un château dans lequel, pourtant, lorsqu’elle était la régente du royaume quand le Fondateur guerroyait, elle a été au faîte de sa puissance. De son château, comme dans l’allégorie de la caverne de Socrate, la représentation du monde que se fait la Première Née est essentiellement idéale et livresque. Comme c’est le cas pour chaque enfant qui sort de l’adolescence.
Elle vit dans l’illusion d’une différence construite dans un permanent manque d’assurance, dans l’ambition d’un destin libre de toute contingence et surtout dans l’idéal d’un sentiment d’égalité et de respect entre les êtres : homme et femme, nobles et manants, géants et humains… Mais hélas, les murs du conformisme et du mépris sont plus épais et plus redoutables que ceux du château. La pulsion cannibale, viscérale, ancestrale de son entourage s’estompe difficilement tant il est difficile de lutter contre sa nature.
Par sa succession de plans rapprochés, Gatignol souligne encore le sentiment d’étouffement vécu par la Première Née et laisse à la fin du volume le lecteur fourbu comme au terme d’une longue bataille, certes indemne et content, mais encore impressionné par des images fortes qui l’accompagneront encore longtemps.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Les Ogres-Dieux T. 4 : Première née – Par Hubert et Bertrand Gatignol – Soleil / Métamorphose
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