Raymond Macherot était né le 30 mars 1924 à Verviers. Il avait fait ses premières armes en signant des dessins satiriques dans le journal hebdomadaire bruxellois Pan sous le pseudo de Zara à la fin des années ’40. Il rejoint les éditions du Lombard où il signera rapidement des histoires courtes dans le journal Tintin. Il se lance d’abord dans une série réaliste, Le Chevalier Blanc, mais se sentant peu à l’aise dans ce registre, il cède a destinée de ce personnage à Liliane & Fred Funcken.
Il crée en 1954 sa première œuvre majeure, la série animalière Chlorophylle pour le Journal Tintin. Dans Chlorophylle et les Rats Noirs, le premier tome, Raymond Macherot met en scène un jeune lérot courageux et rusé, Chlorophylle, qui tente de sauvegarder Le Val-Tranquille, son habitation, de l’invasion des rats noirs commandés par Anthracite, leur chef. Macherot n’hésita ensuite pas à confronter ses personnages au monde des humains, avant de revenir à une bande dessinée plus « campagnarde ».
Le dessin de Macherot était immédiatement reconnaissable, un trait au pinceau au geste ample et précis qui n’avait pas son pareil pour dessiner un bosquet de noisetiers ou un plan d’eau dormante.
Peu de temps après ces brillants débuts, il lance les aventures du Père La Houle, un navigateur solitaire confronté à des aventures burlesques. Il crée ensuite le personnage de Clifton en 1959, un détective aussi flegmatique que britannique. Ses récits, repris en 2003 en intégrale chez Niffle, mêlent astucieusement humour, action et courses-poursuites.
Raymond Macherot laisse la destinée de Chlorophylle à d’autres auteurs et rejoint le journal concurrent, Spirou pour y signer une autre histoire animalière, « Chaminou et le Khrompire » dont un album paraît en 1965. Cette histoire, narrant une enquête d’un agent de la police secrète du roi, est considérée par de nombreux amateurs du travail de Raymond Macherot comme étant son chef-d’œuvre, même s’il est plus difficile d’accès. L’auteur fait part de sa vision acerbe du monde urbain et moderne en s’en prenant notamment à la publicité. L’éditeur belgo-monégasque Marsu-Productions confia le soin dans les années 80 au Yann et Bodart, puis à Olivier Saive, d’animer une suite à cette série.
Cette période fut féconde pour Raymond Macherot. Cette même année, il met en place Sibylline, sa série « campagnarde » la plus connue. Cette petite souris intrépide et têtue vit dans le Bosquet Joyeux, un endroit peuplé d’animaux à la personnalité bien trempée. Parmi eux, Taboum (son fiancé), Flouzemaker (un drôle d’oiseau possédant le sens des affaires) et le hérisson-brigadier Verboten. Macherot reprend dans Sibylline quelques uns des thèmes de Chlorophylle. Il se sert de ses personnages et de leurs luttes contre les rats pour nous livrer une modeste mais assez fine fable morale. Il alimente cette série jusqu’au milieu des années ’80. Onze albums paraîtront aux éditions Dupuis.
En 1966, il donne son indépendance à un chat, Pantoufle, apparu dans un épisode de Chlorophylle. Un premier récit est écrit par René Goscinny qui en laissera rapidement la destinée narrative à son créateur graphique. Un autre chat occupe Raymond Macherot quelques temps après : Avec le jeune Raoul Cauvin, il anime Mirliton dans le journal de Spirou entre 1970 et 1975. Ils nous racontent la vie quotidienne – pas si reposante que ça – du facétieux félin.
Il s’associe également brièvement avec Berck pour qui il scénariste les aventures de Mulligan, un patron de remorqueur. Il s’entend surtout avec André Franquin et Yvan Delporte pour écrire les histoire d’Isabelle mise en images par le talentueux Will.
Génération Macherot
Raymond Macherot avait progressivement arrêté la bande dessinée, au milieu des années ’80, pour se consacrer à la peinture. Il aura fallu attendre cette décennie pour qu’il sorte de l’oubli avec la publication d’une très belle intégrale de Clifton, parue chez Frédéric Niffle, et le travail de fond de remise au goût du jour entrepris par les éditions Flouzemaker. André Taymans, sous l’œil attentif de Raymond Macherot, a signé deux nouvelles aventures de Sibylline ("le serment des lucioles" et "la lande aux sortilèges). Raoul Cauvin et Erwin Drèze reprenaient Mirliton. Par la même occasion une intégrale du Père La Houle était rééditée sous ce label. De même qu’une très belle intégrale en trois volumes d’Isabelle et une compilation millésimée reprenant quelques Chlorophylle parurent au Lombard.
De nombreux auteurs contemporains portent Raymond Macherot au Panthéon des plus grands créateurs belges. Didier Comès ou François Schuiten en parlent avec ferveur, s’ils n’ont pas une de ses planches originales au mur de leur atelier. « Pour moi, Macherot, c’est la nature, témoigne François Avril. C’était un amoureux de la nature, attaché à ses racines. Il dessinait la campagne qui l’environnait, qui était là, sous ses yeux, toujours en instillant dans ses histoires quelque chose de très ambitieux dans la représentation des rapports entre les personnages. Il a eu son heure de gloire mais peut-être n’a-t-il pas eu le public qu’il méritait. J’ai pour lui une véritable vénération. Je l’ai lu et relu, et je ne m’en lasse absolument jamais. L’image qu’on a de lui est fausse. À cause de son dessin rond comme de celui de Disney, et parce qu’il mettait en scène des animaux, on a pu croire que c’était quelque chose d’enfantin, voire d’infantile alors que le propos est très adulte. Ses « méchants » en particulier sont très adultes : Anthracite, les Croquillards et tout ça. J’en discutais récemment avec Jean-Claude Denis quand il dessinait "La fuite en avant" : le problème lorsque l’on dessine des animaux, c’est que l’on est immédiatement associé à une littérature pour enfants. Macherot a souffert de ce décalage. Il avait des ambitions, peut-être trop par rapport au contexte éditorial qui était le sien à son époque. »
Écologiste avant l’heure, il fait l’unanimité : « Pour moi, Macherot, c’est Sybilline, nous dit Émile Bravo. Cela a éduqué mon sens de l’écologie lorsque j’étais gamin. C’est une des rares BD animalières que j’aimais bien. J’avais du mal à comprendre pourquoi les animaux parlaient, sauf chez lui. »
Pour André Juillard qui a une planche originale de Macherot en face de lui dans son bureau, son trait était immédiatement reconnaissable : « Même quand il dessinait Clifton, il était assez unique. Macherot, c’est pour moi le Journal de Tintin et l’épisode dans lequel je l’ai découvert : Pas de Salami pour Célimène, où il faisait vivre ses animaux dans des éléments humains comme la petite voiture Dinky Toys -je possédais la même- ou encore les boites de conserve. Graphiquement, c’est un dessin très simple, plaisant et expressif, une sorte de ligne claire au pinceau, sans hachure, un monde d’animaux qui devient assez rapidement urbain, anthropomorphe. Contrairement à Spirou, où il n’y avait pas ce soin de la couleur, où on avait l’impression que c’était le même coloriste qui les faisait toutes, une sorte de chromie qui, à cette époque tirait vers le rouge-brun, chez Tintin, avec Macherot, la couleur était éclatante, lumineuse, harmonieuse, maîtrisée. C’était un artiste complet. ».
Il faisait partie de ce que l’on pourrait appeler « l’école de Verviers » où figuraient des individualités comme Maurice Maréchal (Prudence Petitpas), Noël Bissot("Le Baron" et "Juju" dans les mini-récits) ou encore René Hausman. Si les premiers deux premiers perpétuaient comme lui un trait simple, lisible et expressif, le second entretient également un goût pour les univers animaliers et une description précise –on peut dire érudite- de la faune et de la flore des Ardennes, des Fagnes et de la Gaume.
L’auteur avait récemment perdu son épouse Josette Macherot, en octobre 2007. Il la rejoint, comme il le souhaitait, ce 26 septembre, laissant à ses lecteurs une œuvre profondément humaine et touchante.
(par Nicolas Anspach)
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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En médaillon : Caricature de Raymond Macherot par André Franquin. (C) Franquin
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