Si le nouveau livre d’Anna Haifisch aux Éditions Misma s’ouvre et se referme sur la parodie d’une célèbre marque allemande de nourriture pour chien, il ne faut pas s’y fier. La dessinatrice ne se contente pas d’un regard sarcastique sur le monde qui l’entoure. Dans la continuité de ses ouvrages précédents, Clinique von Spatz et les deux volumes de The Artist, elle propose une analyse distanciée qui n’exclut pas l’empathie.
Schappi - le titre est une déformation de la marque précitée - réunit cinq récits prépubliés en 2018 et 2019, principalement dans des revues nord-américaines. Leur point commun : mettre en scène des animaux qui agissent comme des humains, mais qui conservent pour certains une partie de leurs caractéristiques animales. C’est en jouant constamment avec cette étrangeté que l’autrice parvient à créer la connivence avec son lecteur, tout en évitant une démonstration frontale.
Qu’elle révèle la vanité d’un grand collectionneur et l’acte désespéré de création des artistes, ou la fragilité des rencontres diplomatiques, Anna Haifisch se moque gentiment, prenant toujours le parti des plus faibles, même si elle admet que le monde n’est pas tendre à leur égard et que rien ne semble pouvoir changer cet état de fait. Résulte de ce constat une mélancolie latente, non dénuée d’humour et de charme.
Chaque récit oscille donc entre le conte satirique et la fable animalière. Mais Anna Haifisch a la sagesse d’éviter à la fois un regard acerbe et une vision moraliste. Le ton souvent badin se fait parfois plus grave, presque triste. On sent l’affection que la dessinatrice porte à ses personnages.
Le dispositif choisi par Anna Haifisch renforce l’impression de lire de petites fables. Quatre des cinq histoires de Schappi sont composées uniquement de grands dessins colorés de deux ou trois aplats et accompagnés, en bas de page, d’un court texte donnant son sens à l’image. Rappelant les illustrés « à l’ancienne », cette présentation donne la part belle au dessin plus complexe qu’un simple feuilletage pourrait le laisser croire.
Présent dans la sélection officielle du Festival d’Angoulême 2022, Schappi confirme la place de son autrice dans le paysage de la bande dessinée alternative mondiale. Ses animaux immédiatement reconnaissables, son trait d’apparence fragile mais capable de faire passer des émotions et sentiments subtils avec peu, son utilisation des couleurs excluant toute recherche de réalisme, sa tonalité mêlant ironie, tendresse et mélancolie en font une artiste au style singulier.
(par Frédéric HOJLO)
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Schappi - Par Anna Haifisch - Misma - édition originale : Schappi, Rotopol, 2019 - traduit de l’anglais et de l’allemand par Damien & Guillaume Filliatre Borja - 22 x 28,5 cm - 96 pages couleurs - couverture cartonnée - parution le 20 août 2021 - 18 €.
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