Romans Graphiques

Un jour, le soir : la vie des interstices, par Giacomo Nanni

Par Jorge Sanchez le 27 juin 2023                      Lien  
Un jeune homme sans histoire arpente les rues de Paris. Il vit d'un croissant par jour et peine à joindre les deux bouts. Sachant qu'il dépassera demain son découvert autorisé de 400 euros à la banque, il cherche désespérément la solution à ses angoisses financières. Tout en errant dans la ville, il plonge dans ses rêveries et ses souvenirs, faisant des rencontres fortuites… Auteur salué par la critique et le public, Nanni nous régale cet été avec album poétique d'une grande beauté.

Récemment sorti aux éditions Ici Même, le dernier album de Nanni aborde le format dit italien (oblong), structuré autour d’illustrations et de textes suivant le flux de la pensée de son héros.

Le récit est ainsi lardé d’un monologue intérieur qui accompagne l’errance visuelle du personnage principal, perdu entre le présent (qui est en réalité demain, vu depuis hier) et le passé (qui est en réalité demain, vu depuis, avant-hier). Par moments, il se perd dans ses divagations, marquées par le souvenir d’une petite fille ayant découvert des pièces d’or sous son oreiller chaque matin après avoir mangé un oiseau en or. Âme solitaire, il est pris entre sa soif d’argent, son besoin d’amour et sa faim tout court.

Un jour, le soir : la vie des interstices, par Giacomo Nanni
Un jour, le soir. Giacomo Nanni. Ed ici Même

Contrairement aux deux albums précédents de Nanni, Acte de Dieu (acclamé unanimement par la critique et lauréat du Fauve de l’Audace d’Angoulême 2020) et Tout est vrai, l’accent est ici mis sur un être humain, tout en gardant son esthétique habituelle d’impression sur trames.

Sur fond d’une balade urbaine, nous suivons notre héros à la recherche d’une solution à ses galères, mais très vite, il devient clair que c’est peine perdue. Sans jamais nous dévoiler grand chose sur lui (seulement qu’il est très jeune), nous soupçonnons qu’il s’agit d’une personne atteinte de troubles psychologiques. Peut-être une forme de dissonance cognitive ou tout simplement, d’une très grande naïveté. On ne le saura pas et on n’en a pas besoin.

Zigzaguant dans la capitale, les divagations de notre héros alternent entre fabulations lyriques et récits fantastiques. Dans ses pensées, les petites pièces dorées de chocolats se transforment en Louis d’or, les regards croisés dans le métro deviennent une histoire d’amour accomplie et les prostituées de Belleville des sauveuses de la solitude existentielle.

Un jour, le soir. Giacomo Nanni. Ed ici Même

Récit sur la fragilité humaine et la magie [1] des images poétiques, Un jour, le soir, entretisse des scènes touchantes, à la fois intimes et délicates, situées dans un monde froid et indifférent.

Comme dans ses autres albums, les personnages de Nanni sont souvent représentés dans l’anonymat d’une vues de profil, ici en contraste avec le crépuscule parisien, ou à travers des découpages qui nous empêchent d’apprécier pleinement leurs visages, nous donnant, malgré la beauté des illustrations, l’impression de traverser un monde quelque peu hostile, peuplé par le vacarme des rues.

Son repas du jour se limite à un croissant, on l’a dit. S’il le saute, il n’y aura plus qu’à imaginer (ou dessiner, ce qui revient au même) la fabrication des croissants ou de fricassées de cœurs de poulet. Peut-on se rassasier avec une vidéo sur Tiktok de la recette ? En fin de comptes, toute la vie n’est que songes et les songes, sont des songes, nous dirait Pedro Calderón de la Barca [2].

Toout au long des quatre-vingt-dix planches de l’album, notre héros-vagabond fera, peu à peu, la marche arrière de ses souvenirs et tentera, autant qu’il le peut, de distinguer la fiction (sa fiction) de la réalité et de trouver une issue à sa situation. Même si pour y arriver, il devra se confronter avec une mondanité bien loin de ses rêveries édulcorées

Un jour, le soir. Giacomo Nanni. Ed ici Même

Avec ce nouvel ouvrage, Giacomo Nanni repousse d’un cran les limites de son esthétique habituelle des trames manuelles et n’hésite pas à rentrer dans le domaine de l’abstraction, afin de nous faire vivre le quotidien de ce jeune rêveur éveillé, personnage des interstices entre la fiction et la réalité.

Un jour, le soir. Giacomo Nanni. Ed ici Même

(par Jorge Sanchez)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782369121169

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