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Ventes aux enchères : un tassement du marché à cause du virus ?

Par Charles-Louis Detournay le 25 novembre 2020                      Lien  
Sans parler d'échec, les trois plus importantes vacations du mois de novembre (et donc de l'année 2020) se sont soldées par des résultats plutôt mitigés. Le marteau des enchères s'éloignerait-il des collectionneurs, remettant en cause des ventes aux enchères uniquement en ligne ? Examen.

Tous les indicateurs étaient pourtant au vert ! Pendant le premier confinement, de nombreux amateurs s’étaient tournés vers les plateformes de vente en ligne,Catawiki en tête. Mais pas uniquement comme nous le confirmait en juin dernier Alain Huberty, co-directeur d’Huberty & Breyne : « Comme beaucoup d’autres, l’arrêt des activités pendant la Covid m’a paradoxalement libéré du temps pour aller remettre notre stock à jour. J’ai ainsi alimenté notre site Internet avec quatre nouvelles pièces chaque jour. Et cela a cartonné pendant deux mois et demi ! Il y a une petite baisse au début du déconfinement, puis cela a repris. J’ai aussi eu un écho des ventes Millon en ligne qui ont également très très bien marché. Du coup, je pense qu’il y a eu un déclic dans la mentalité des acheteurs concernant le numérique : pendant le confinement, beaucoup d’acheteurs ont pris l’habitude d’aller sur Internet. »

Ventes aux enchères : un tassement du marché à cause du virus ?
Alain Huberty
Photo : Charles-Louis Detournay.

Un succès du marché en ligne de bon augure qui, bien avant la seconde vague de la pandémie en Europe, avait poussé Christie’s à opter pour une vente annuelle qui ne serait que digitale. Alain Huberty encore cet été : « Avec l’engouement constaté pour les ventes en ligne, [...] nous avons alors pris la décision de ne pas réaliser de vente publique [en présentiel], mais bien uniquement une vacation numérique pour éviter de ne rien avoir en 2020. En effet, le CEO de Christie’s m’a expliqué qu’ils avaient également misé sur les ventes online pendant la crise qui avaient elles aussi connu un boum, au point de dépasser les montants habituels pour des ventes du même type au marteau ! »

Catawiki : une confiance progressive

Dopé par la progression du marché, Catawiki avait également haussé le niveau de leurs ventes mensuelles de « Prestige » pendant le premier confinement, recueillant les faveurs des collectionneurs, que cela soit pour les albums ou des dérivés BD, mais aussi pour les planches d’auteurs cotés sur le marché comme Rosinski, Tardi, Marini et d’autres.

Encouragés par ces résultats, la société hollandaise qui domine maintenant largement la vente en ligne dans le domaine de la BD avait constitué un remarquable catalogue pour leur vente Prestige de ce mois de novembre, sans doute la plus belle vacation qu’ils n’aient jamais organisée. Jugez-en : une couverture de Franquin disparue depuis 50 ans, une planche d’Hergé, deux planches de Jacques Martin, une demi-douzaine de couvertures, une dizaine de planches de très bonne qualité et un bon nombre d’illustrations signées par des auteurs de renom. Du jamais vu dans cette maison de vente considérée jusqu’ici comme une entrée de gamme pour les collectionneurs.

La fameuse couverture retrouvée
Voir les enchères sur ce lot

En dépit d’un catalogue digne d’une vacation présentielle, le résultat est cependant en demi-teinte : une majorité de lots ont été vendus, certes, mais une partie conséquente de ceux-ci n’a pas dépassé leur prix de réserve, en particulier les pièces quasiment muséales que le site de vente en ligne était parvenues à rassembler.

Ainsi, parmi la vingtaine des lots les plus estimés, seuls cinq ont trouvé acquéreur : Milo Manara (dont deux œuvres sur quatre ont été vendues) et Marini (avec sa couverture des Aigles de Rome) et les auteurs historiques, notamment réputés auprès des lecteurs néerlandophones, comme Willy Vandersteen et Bob de Moor. Quant aux Hergé, Franquin, Miller, Jacques Martin, Uderzo et autres Pratt, ils ont bénéficié d’enchères maximales de 15 à 30% en-dessous des estimations, notamment la fameuse couverture de Franquin et la planche d’Hergé du Bon Marché restées à 80.000€ (hors frais) pour des estimations respectives de 120-150.000 € et de 95-115.000 €. Confiance trop affichée des experts, ambition déplacée de la maison de vente par rapport à des concurrents mieux placés auprès des collectionneurs-clés ou tassement du marché ? Les prochaines ventes seront à surveiller.

Hergé - Quick et Flupke - Planche originale (grand format) - ’Quick au Bon Marché’ - encre de Chine - (1930)
© Hergé - Moulinsart.

Faut-il pour autant parler d’échec ? Certainement pas. Catawiki a ici réalisé un résultat record par rapport à son propre historique, montrant son aptitude à désormais attirer dans ses ventes des pièces exceptionnelles. Il semble bien que les collectionneurs « haut de gamme » se tournent progressivement vers eux, effet collatéral d’une pratique d’achat en ligne qui entre progressivement dans les mœurs, y compris pour des montants devenus importants. Le label Catawiki commence à se faire une place.

Christie’s en petite forme

Autre raison qui permet de relativiser la méforme de la dernière vente Prestige de Catawiki, c’est la comparaison avec la dernière vente Christie’s qui n’était pas non plus dans une forme éblouissante. Ainsi, sa vente annuelle pilotée par les experts Alain Huberty et Marc Breyne a également clôturé sa vente de ce jeudi 12 novembre avec des résultats en berne. Voici commant ils en parlent dans leur communiqué-bilan : « Cette deuxième vente aux enchères […] en collaboration avec Christie’s [s’est] réalisée dans un contexte difficile. Nous sommes conscients que le choix du tout numérique a bousculé de nombreuses habitudes. Néanmoins, nous sommes fiers d’avoir atteint, avec 63 lots vendus, un total adjugé de plus d’un million [d’euros au marteau]. »

Le catalogue de cette vacation avait en effet été considérablement réduit par rapport au précédent, ne présentant que cent pièces afin de rester dans un registre haut de gamme (voir notre article présentant le contenu de cette vente). Les experts n’ont pourtant pas à rougir, car à la différence de Catawiki, leurs plus belles pièces ont trouvé acquéreur, notamment la planche d’Hergé qui a atteint une honorable valeur de 220.000€ et la superbe planche d’Uderzo qui part, quant à elle, à elle 170.000€, toutes deux au prix marteau. Des scores honorables, même si honnêtement, on s’attendait à ce qu’elles montent davantage.

La magnifique première planche du "Cadeau de César"
Uderzo - Goscinny

En comparaison avec leur première vente avec les experts Huberty & Breyne, Christie’s réalise effectivement un total presque trois fois moins important qu’en 2019, mais il y avait alors 319 lots proposés contre à peine cent cette fois-ci. De plus, 68% des lots avaient trouvé acquéreurs lors de la première vente, le score est cette fois de 63% lors de cette seconde vacation. Le bilan n’est pas médiocre, mais on peut comprendre par les choix opérés que les experts espéraient tirer ces résultats vers le haut en concentrant volontairement l’attention des collectionneurs sur un nombre limité de lots. Ce n’est, espérons-le, que partie remise.

L’hommage de Manara à Wonder Woman
Adjugé après vente à 22.000 € (prix marteau).

Maghen sauve la mise

La couverture d’Undertaker adjugée à 23 180 € TTC.

Après ces deux vacations consécutives aux résultats en-deçà des attentes, tous les regards étaient tournés vers la vente organisée par Daniel Maghen et qui se terminait le 19 novembre. La frilosité ambiante allait-elle également affecter le galeriste parisien ?

Le marchand de la rue du Louvre avait mis toutes les chances de son côté. Sa vacation s’ouvrait non seulement avec quelques-uns des plus planches et couverture réalisées par Rosinski, prolongement d’une exposition exceptionnelle qui avait lieu de façon contemporaine dans sa galerie, mais elle s’offrait en plus le luxe de présenter à nouveau deux catalogues distincts s’appuyant d’un côté sur la valeur émergente Ralph Meyer, et de l’autre sur les maîtres de l’érotique que sont Manara, Crepax & Serpieri, tout un programme !

William Vance : la couverture de Ramiro T.7
Adjugée à 26.400 € TTC

Au final, Maghen est sans doute celui qui tire le mieux son épingle du jeu, avec 75% des lots vendus, pour un total de 1,65 million d’euros TTC, soit un peu moins d’1,3 M€ au marteau. Comme nous l’avions prévu, la vente a été tirée vers le haut par ses stars : Rosinski avec un total de 284.500€ TTC et surtout 186.760€ pour la fameuse couverture du Grand Pouvoir du Chninkel dont nous vous avions raconté les péripéties. L’auteur polonais triple ainsi son précédent record en vente aux enchères, se hissant dans le cercle fermé des auteurs de BD les plus cotés du marché.

Outre Hergé et une gouache qui réalise un beau résultat, l’autre star de la vente Maghen fut sans nul doute Ralph Meyer dont la totalité des vingt-trois pièces ont trouvé acquéreur pour un total de 209.320€ TTC contre une estimation totale de 127.000 €.

Tout d’abord mise en vente en 2014 chez Artcurial avant d’être retirée, la première couverture dérobée du Grand Pouvoir du Chninkel a finalement été vendue pour 186.760 € TTC

De plus, cinq auteurs ont établi de nouveaux records (Plessix, Homs, Prugne et Roger pour Jazz Maynard), avec en particulier Ana Mirallès et la superbe couverture de Djinn que nous avions épinglée dans notre précédent article.

Cela dit, cette vacation de Daniel Maghen n’atteint pas non plus les résultats de sa première vente en solo réalisée l’année dernière, qui avait totalisé 2,4M€ TTC et 80% des lots vendus.

Ana Mirallès : couverture d’un album à paraître chez Dargaud en 2021
Adjugée à 59.248 € TTC

De la nécessité du show

Faut-il justifier la relative morosité de ces résultats par une atmosphère sanitaire cause de prudence sinon de timidité de la part acheteurs ? Sans doute. Ou alors manque-t-il le "show", l’atmosphère fiévreuse des salles de vente propice à faire monter les prix ? L’esprit de compétition et son émulation se ressentent sans doute moins derrière un écran lorsque les enchères s’étalent sur plusieurs jours.

On notera que la vente Maghen, certes organisée à distance et de façon digitale à cause des mesures en vigueur, est la seule des trois qui a réalisé une vente en live, c’est à dire filmée de bout en bout et retransmis en direct sur la plateforme de Drouot. Faut-il donc voir dans cette pratique le meilleur compromis entre les le respect des normes sanitaires et la ferveur nécessaire aux enchères ? En tout cas, les pratiques ont changé et même si 2021 nous offre une petite lueur d’espoir avec un vaccin comme cadeau de Noël, une partie des acheteurs continueront à surenchérir en ligne quand bien même les ventes redeviendraient « publiques » dans tous les sens du terme.

Enchères en "live" chez Daniel Maghen : un frisson qui fait monter les prix ?
Photo : DR.

(par Charles-Louis Detournay)

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