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"We Live" T. 2, "L’Ère des Palladions" – par The Miranda Brothers – 404 Comics

Par Florian Rubis le 4 janvier 2023                      Lien  
Les frères Miranda, très affectés par l'actualité de ces dernières années et la perte de leur père, donnent un tour surprenant et (encore) plus sombre à cette « deuxième saison » de "We Live". Ils prennent de la sorte un risque commercial vis-à-vis de leurs lecteurs. Mais ceux-ci vont trouver une occasion de se réjouir dans la manière dont les auteurs assument visiblement aussi que leur récit procède d'un jeu foisonnant de références. Les y découvrir et décrypter procure un plaisir certain...

L’intrigue s’amorce le temps d’un bref flash-back dans ses premières pages sur le passé des jeunes héros, Tala et Hototo, et sur la relation qu’entretiennent la sœur et son petit frère. Puis, six ans après le Jour du Salut, le garçonnet apeuré est devenu le puissant et impavide Dragon, l’un des Palladions du titre.

Une intervention extraterrestre en a fait des super-héros et les protecteurs des survivants d’une espèce humaine menacée. La trame se focalise sur leurs luttes pour juguler tous leurs inquiétants adversaires, afin de mieux boucler sa boucle au final et refermer ses rets. Dans l’intervalle, beaucoup de rebondissements, trahisons, pertes et fracas auront permis de relancer son intérêt et capter l’attention du lectorat.

"We Live" T. 2, "L'Ère des Palladions" – par The Miranda Brothers – 404 Comics
Début de "L’Ère des Palladions"
© 2022 The Miranda Brothers & 404 Comics

Sur le plan de la forme, de splendides doubles pages aux découpages sophistiqués viennent magnifier l’action et des scènes de combats titanesques, sinon mettre en avant les décors post-apocalyptiques dans le cadre d’une seule grande image (spread). Et comme souligné dans un article antérieur traitant du premier arc narratif de We Live, le travail sur les couleurs d’Eva de la Cruz continue à apporter un vrai plus, couvertures comprises.

Couverture d’un épisode (comic book # 2) de la version originale
© 2022 The Miranda Brothers & AfterShock Comics

Derechef, l’intégration ponctuelle de flashcodes permet, si on le désire, de bénéficier d’une bande-son. Tout ceci est, globalement, démonstratif d’un sens poussé du détail de la part des frères Miranda et de leur volonté d’inscrire leur production dans une logique cross-média et transmédiatique très contemporaine. En supplément d’écouter la musique, vous pouvez trouver des bonus sur l’internet ou acheter les figurines...

D’autre part, quand ils jalonnent leur histoire de nouveaux ressorts dramatiques, ils contribuent à faire admettre assez facilement le jeu de références et d’influences plutôt très fourni sur lequel ils s’appuient. Ce système narratif édifié à deux niveaux n’est pas gênant pour le lecteur qui ne va pas les reconnaître. Lui pourra se contenter, simplement, d’un copieux récit d’aventures SF pimenté à la sauce post-apocalyptique, saupoudrée d’un zeste d’horreur (voir la terrible Calcuta, reine... de l’équarrissage !). Mais qu’en est-il pour celui qui sera plus sagace à les détecter ?

Couverture d’un autre épisode (comic book # 5) de la VO, avec Dragon au centre
© 2022 The Miranda Brothers & AfterShock Comics

À vous d’en juger en ouvrant l’ouvrage à votre tour. Cependant, à notre sens, ne devrait pas manquer d’apprécier qui sera en capacité de reconnaître ces nombreuses inspirations référentielles que les auteurs ont reprises à leur compte. Lançons quelques pistes, ou mises en bouches, pour prolonger la métaphore culinaire.

Ainsi, par endroits, l’influence graphique de Jack Kirby frappe l’œil, lorsque ne se manifeste pas une dimension cosmique proche de son Quatrième Monde (Fourth World). À moins qu’une ambiance de siège étouffante à la manière de L’Attaque des Titans ne vienne s’y insinuer. L’impression est confirmée sans conteste par un gros indice. La défense par des boucliers à la protection faillible de quelques mégalopoles regroupant ce qui subsiste de l’humanité rappelle décidément quelque chose...

Une page de "L’Ère des Palladions" (VO)
Dès les previews de "L’Ère des Palladions" visibles dans la presse anglophone, les influences des films de kaijū ou de "Pacific Rim" y étaient manifestes...
© 2022 The Miranda Brothers & AfterShock Comics

Toutefois, les références cultivées les plus évidentes concernent les films de kaijū (kaijū eiga) japonais et autres monstres venant des profondeurs aquatiques combattus par des super-robots du genre mecha — remplacés ici par des super-héros. On pense forcément à Gō Nagai ou Neon Genesis Evangelion (voir le costume et la silhouette longiligne de Tala, la jeunesse des défenseurs de l’espèce humaine, etc.). La dette contractée par les deux frères Miranda, argentins d’origine et travaillant d’abord pour le marché américain, à l’égard de Pacific Rim (2013) du maître mexicain en ces domaines Guillermo del Toro pourrait même sembler trop importante à certains.

Certes, mais rien que comparé au film précité, ils ne font que suivre sa recette pour s’emparer d’« anciennes traditions » et leur redonner du lustre grâce à leur propre créativité. Pour preuve, le brio avec lequel leur modèle revoit et modernise dans les premiers épisodes de sa série TV The Strain (2014) tout un pan du roman Dracula (1897), celui du « débarquement » du vampire transylvanien en Angleterre. Il y est transformé en l’arrivée et l’escamotage du cercueil du personnage du Maître depuis un avion à l’aéroport JFK de New York, à l’origine d’une « épidémie ».

L’adaptation du film "2001 : l’Odyssée de l’espace" par Jack Kirby
Sur la couverture au format d’une très grande taille (Marvel Treasury Edition, numéro spécial, fin 1976), la découverte du monolithe sur la Lune et la grande roue orbitale.../© 1976 Jack Kirby & Marvel Comics

Même si dans ses suppléments DVD, Guillermo del Toro prend bien soin de citer davantage d’autres références, comme par exemple Salem (1975) de Stephen King, on sait que ce style de diversions demeure un péché mignon répandu y compris chez les créateurs de grand talent. Voyez ici Yukito Kishiro, parlant de Gunnm à Angoulême. Mentionnons en outre que Bram Stocker avait lui aussi eu un devancier majeur, un autre Irlandais comme lui, Joseph Sheridan Le Fanu et sa Carmilla (1872)...

Donc, on le constate, rien de neuf en réalité, ni de très fâcheux dans le procédé réemployé ici par les frères Miranda, qui s’offrent le luxe d’un réjouissant festival. Au point que l’on peut identifier encore des clins d’œils à Dragon Ball et à La Pérégrination vers l’Ouest (légende chinoise du Roi des Singes), au diptyque filmique Kill Bill de Quentin Tarantino ou aux volets SF de Grendel de Matt Wagner. Le cycle fictionnel autour de La Stratégie Ender d’Orson Scott Card et d’autres titres pourraient également être cités.

Le parcours fléché se poursuit jusqu’au bout dans "L’Ère des Palladions". Dans un retour loin dans le passé y apparaît un bâtiment parallélépipèdique et foncé. À quelques différences près, il renvoie immanquablement à un monolithe bien connu. On s’inscrit là dans le sillage de 2001 : l’Odyssée de l’espace (1968). D’ailleurs, le film de Stanley Kubrick, tiré de nouvelles d’Arthur C. Clarke, n’a-t-il pas fait dans le temps l’objet d’une adaptation ainsi que d’une série à son retour chez Marvel (1976) par Jack Kirby ? On y revient, puisque déjà cité au début de ce texte, une deuxième boucle étant bouclée là, telle celle de la grande roue spatiale de 2001...

Une image étendue sur deux pages (spread) de Jack Kirby, l’une des ses "marques de fabrique", dans sa série sur "2001..."
Les sept premiers épisodes de cette série, trop mésestimée, recèlent des "pépites"/© 1977 Jack Kirby & Marvel Comics

Las, malgré beaucoup de créativité dans les scénarios du grand Jack, celle-ci devait tourner court après sept épisodes seulement, devant le manque de réceptivité du public américain. Et ne pas mieux rebondir dans les trois suivants, pour dix en tout, quand il se paya l’audace d’y initier, contre toute attente, les aventures du robot Mister Machine (alias X-51), futur Machine Man. On devait néanmoins le revoir plus tard. Mais ceci est une autre histoire.

Couverture de l’épisode 8 de la série "2001..."
Confronté à l’insuccès, Jack Kirby se fit néanmoins plaisir en tentant un coup de poker avec un personnage qu’il avait en réserve. Peine perdue ! © 1977 Jack Kirby & Marvel Comics

Un autre des aspects majeurs de We Live — nous l’avions aussi indiqué dans notre précédent article abordant le sujet, mentionné plus haut — réside dans son constant mélange des genres. Le dénouement très science-fiction de ce second arc narratif, avec la survenue de la construction monolithique, dont la porte va s’ouvrir sur un nouveau chapitre de la série, donne envie de lire la suite et découvrir comment s’orientera son évolution...

(par Florian Rubis)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9791032406632

Logo de l’article : "We Live" T2, "L’Ère des Palladions" (couverture) – © The Miranda Brothers & 404 Comics

The Miranda Brothers – "We Live" T2, "L’Ère des Palladions" – 404 Comics
160 pages - 16,90 € 

We Live 404 ✏️ Miranda Brothers Super-héros Science-fiction Arts martiaux, Combats
 
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