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« Black Squaw » atterrit au Crotoy

Par Charles-Louis Detournay le 7 juillet 2022                      Lien  
Trois couvertures pour un tome 3 : il est exceptionnel que Dupuis mette ainsi une série en avant. Et on les comprend, car le récit de cette aviatrice hors norme prend encore de l’ampleur avec ce troisième épisode, aux prises avec les gangsters, le KKK et les autres élèves pilotes. Une série de haut vol portée aux nues par la ville du Crotoy cet été !
« Black Squaw » atterrit au Crotoy
La couverture officielle...

Voilà une série qui continue de se bonifier au fur et à mesure que les albums paraissent ! Dans le premier opus, nous avions fait la connaissance de ce personnage authentique mis en scène par le tandem d’auteurs de Dent d’ours. Certes, cette nouvelle série traite également d’aviatrice et d’Histoire, mais cette fois, la Seconde guerre mondiale a cédé la place à la Prohibition et au racisme aux États-Unis. Et leur héroïne, Bessie Coleman, est bien placée pour le savoir, car cette métisse de parents indien et afro-américain est partagée entre ces origines.

Le deuxième tome approfondissait le contexte du récit : les deux frères de Bessie qui ont combattu en France et lui ont parlé de ce pays où noirs et blancs se côtoient bien plus facilement, les guerres de territoire que se livrent les divers clans mafieux, à commencer par Capone pour qui travaille Bessie, puis surtout les affres du Klan qui a des ramifications à toutes les échelles du pouvoir et qui n’hésite pas à supprimer un caractère fort à la peau mal blanchie… ou mal rougie !

... la variante pour la première édition...

Car c’est finalement toute la difficulté de cette série : la vie authentique de Bessie Coleman est tellement incroyable – cette femme rejetée de toutes les ethnies et issue d’une famille très pauvre, qui parvient à passer son brevet de pilote et finit au service de Capone – qu’il fallait plusieurs tomes pour lisser cette superposition d’informations afin de laisser de la place à l’aventure et surtout donner de l’épaisseur au personnage.

Apprendre à piloter sur la côte française

C’est définitivement chose faite dans ce tome 3, qui commence avec une vingtaine de pages décrivant les cours de pilotage que Bessie suit au Crotoy, en France, car toutes ses tentatives aux USA ont échoué du fait de la ségrégation. Ce qui permet aux auteurs de poser le caractère bien trempé de l’aviatrice, et surtout de montrer comment, à l’époque, étaient dispensés les cours de navigation aérienne en France, à l’aide de petits avions d’entraînement rudimentaires : passionnant !

... et l’édition limitée avec jaquette et frontispice

On se demandait d’ailleurs comment Yann, scénariste émérite, choisit l’ordre dans lequel il place les flashbacks qui émaillent tout le récit : « Il y a une certaine logique qui préside au choix des flashbacks, nous explique le scénariste. Le premier point, c’est la présentation du nouveau personnage de cette mini-série en quatre tomes : il faut choisir la séquence la plus emblématique, la plus utile au récit ; l’épisode de l’apprentissage de la jeune Bessie à l’école du Crotoy était une de mes séquences préférées ; mais elle nécessitait un certain développement, et n’était pas réellement trépidante, ce qui aurait ralenti l’introduction au personnage de notre Bessie adulte apparaissant dans le tome 1 ; nous avons donc privilégié l’action et le rythme, en rongeant notre frein… Dans le tome 3, enfin, ce flashback ouvre l’épisode et se déroule sur quasiment un tiers de l’album… Mais Alain [Henriet] s’est régalé ; il a même tenu à se rendre à l’école du Crotoy pour s’immerger dans l’ambiance, sentir le vent, fouler le sable de la plage d’où décollaient les vieux coucous… il a même poussé la conscience professionnelle jusqu’à aller déjeuner au même restaurant que Bessie, dont nous possédions une carte postale d’époque ! Alain a également rencontré la charmante et docte Karine Bellart qui lui a ouvert les portes du musée de cette école de pilotage et ses archives. Pour l’anecdote, heureux hasard du calendrier, Bessie a passé son brevet de pilotage en 1921, pile-poil un siècle avant la visite d’Alain au musée ! »

Alain Henriet au Crotoy devant le monument des frères Caudron.
Les Frères Caudron sont des pionniers français de l’aviation : pilotes, avionneurs et fondateurs de la première école de pilotage.
Photo : DR.

Aviation, quand tu nous tiens !

Que l’on soit féru d’aviation ou non, impossible de ne pas se passionner pour ces cours de pilotage dispensés sur ces plages du Pas-de-Calais. Surtout que Alain Henriet déploie tout son talent pour faire revivre ces légers mais solides avions d’entraînement, dans des scènes dignes d’un magnifique reportage documentaire, tout cela à partir des photos et des témoignages de l’époque.

Et les auteurs ne s’arrêtent pas là, car d’autres nouveaux avions s’invitent dans l’intrigue ! Tout d’abord, un vieux bombardier Martin MB-2, destiné à transporter des fûts d’alcool de contrebande, puis surtout un superbe racer que la famille Capone offre à Betty pour protéger son convoi. Un magnifique avion de course à la main de l’héroïne de la série.

On pensait qu’il s’agissait d’un Supermarine S.5/25, mais Yann nous contredit : « Non, il s’agit d’un Bernard HV-120 ; un racer qui aurait dû concourir pour la Coupe du Schneider Trophy ; mais qui n’a pas pu être terminé à temps… Ralph Capone, le frère d’Alphonse, qui dirigeait l’escadrille des bootleggers, a pu le racheter au poids de la ferraille. Comme nous l’avons annoncé dès le tome 1, Black squaw est une dystopie ; nous jouons avec les zones d’ombre de l’existence incroyablement riche de Bessie Coleman, qui fut une véritable Wonder Woman des Roaring twenties, les Années Folles ! La documentation sur l’aviation privée d’Al Capone est très mince ; nous savions qu’elle se composait de bombardiers aux soutes aménagées pour transporter une cinquantaine de caisses d’alcool de luxe, et qu’ils étaient escortés par des chasseurs… Alain et moi avons fait un choix en fonction des avions d’époque, mais en privilégiant la vitesse, afin d’échapper aux mitrailleuses des garde-côtes, et à celles des malfaisants de la bande de Bugs Moran, le grand rival du balafré. D’autre part, Al Capone était un passionné de beaux fuselages et de courses de vitesse aériennes ; richissime, il pouvait fort bien avoir acquis un de ces bolides… »

Alain Henriet profite de ce magnifique racer pour livrer de magnifiques scènes d’aviation, de quoi donner un regain d’intérêt à ce récit, qui allie aventure et reconstitution historique.

Documentation pour le Bernard HV 120 F
DR.

Du Klan aux Incorruptibles

Le dernier tiers de ce tome 3 est consacré à la lutte de Bessie contre le Ku Klux Klan. Il met en exergue le racisme profondément ancré dans la société américaine « de l’époque », il continue de développer la personnalité de l’héroïne, et provoque surtout sa rencontre avec un « T-Man ».

Car c’est bien là où le travail scénaristique de Yann parvient à livrer ses pépites : mettant l’accent sur les scènes d’actions pour doper le récit, il glisse de passionnants éléments historiques, comme le véritable nom des agents du fisc américain. Et, connaissant les liens noués par Bessie avec Capone, il raconte comment ce dernier a fini par se faire coincer !

« Dans son autobiographie co-écrite avec l’aide d’un "ghost writer" accentuant le sensationnel aux dépens de la réalité historique, nous détaille Yann, Un certain Eliot Ness a complètement phagocyté l’enquête des T-men, les agents du département du trésor, le BOI, ancêtre du FBI ; ce fut un travail d’équipe lent, minutieux et passionnant ; en cherchant un angle d’attaque un peu inédit, je suis tombé sur un personnage hors du commun, un de ces T-men, un géant, sportif, et métis indien, tout comme notre Bessie… et surtout, j’ai découvert l’existence, totalement tombée dans l’oubli, d’un groupe de richissimes citoyens et de notables, exaspérés par le banditisme et la corruption qui gangrenaient la police et déterminés à envoyer Al Capone à Alcatraz. Ce mystérieux groupe de justiciers sera le principal sujet du dernier tome de notre saga. »

Un bonus inédit envoyé par Yann : la carte officielle de Bill Gardner (le T-Man), bricolée par Alain Henriet
© Yann - Henriet - Usagi, Dupuis 2022.

Deux expos au cœur des vacances

Après un décollage en douceur, Yann et Henriet sont progressivement montés en régime pour livrer ce qui s’annonce finalement comme une passionnante saga. Il faut d’ailleurs saluer le travail du dessinateur qui conserve sa lisibilité en dépit d’une intrigue très dense comportant régulièrement une douzaine de cases par planche. Les ambiances soignées par les couleurs d’Usagi contribuent à cette réussite.

Laquelle n’a pas échappé à Dupuis qui décidé de réaliser un tirage spécial avec un frontispice, mais en plus, deux couvertures alternatives de l’édition courante, afin de laisser le lecteur choisir entre une héroïne au temps de l’entrainement sur les plages du Crotoy, ou au faîte de sa carrière sur l’avion des Capone.

En fin d’album, un dossier revient sur l’historique du parcours de Bessie Coleman et de l’école de pilotage du Crotoy

Si tous les éléments sont donc réunis pour un beau final dans le tome 4, Yann lève déjà le voile sur la suite de sa collaboration avec Alain Henriet et Usagi : « Nous avions décidé de faire une pause après sept années consacrées à "Dent d’ours" », nous explique-t-il à propos de cette série Black Squaw, « À présent, nous allons revenir à cette série, avec un plaisir renouvelé, après ces quatre années d’intervalle… »

Quant à Alain Henriet, il est consacré -et il le mérite !- par une double exposition de son travail dans la ville du Crotoy. Depuis le 2 juillet, le musée a non seulement mis la série à l’honneur dans la salle de l’exposition temporaire, mais en plus de grandes reproductions de ses dessins décorent la ville, parée de ses plus belles couleurs pour accueillir les touristes cet été. « Le restaurateur local a même acheté 320 exemplaires du Journal de Spirou où j’ai reproduit son restaurant en 1921 » témoigne l’artiste. Une belle façon de promouvoir la bande dessinée !

Propos recueillis par Charles-Louis Detournay.

Usagi et Alain Henriet devant l’un des panneaux qui ornent actuellement la ville du Crotoy.
Photo : DR.

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9791034761166

Black Squaw T.3 - Par Yann, Henriet & Usagi - Dupuis.

Visiter au Crotoy, l’exposition des planches grands formats de Black Squaw, à la galerie le Saint-Michel, 29 rue de la porte du Pont, 80550 Le Crotoy

Lire également l’interview de Yann & Alain Henriet ("Black Squaw") : « Ce sont des personnages "bigger than life" » et "Black Squaw" prend de la hauteur

De cet album, acheter :
- la version classique avec la couverture standard
- la version classique avec la couverture alternative qui ne sera pas rééditée
- la version limitée avec le frontispice signé

Par les mêmes auteurs, lire les chroniques du premier cycle de Dent d’ours :
- Les tomes 1 & 2
- Le tome 3

Tous les illustrations sont : © Yann - Henriet - Usagi, Dupuis 2022.

Dupuis ✍ Yann ✏️ Alain Henriet 🎨 Usagi à partir de 10 ans Aventure Histoire
 
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