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Giantkiller, Intégrale - De Dan Brereton - Huginn & Muninn

Par Romain GARNIER le 16 février 2023                      Lien  
En janvier dernier, les éditions Huginn & Muninn ont poursuivi la publication de l’œuvre du brillant auteur étatsunien, Dan Brereton. Après "The Nocturnals" en octobre, voici venu le temps de (re-)découvrir "Giantkiller". Une merveilleuse intégrale relatant les aventures de "Jack", un tueur de kaiju (monstres géants) aux côtés de Jill Sleet, une humaine génétiquement modifiée. Incontestablement, "Giantkiller" peut prétendre à figurer parmi les classiques du genre, porté par un dessin-peinture toujours grandiose.

1999. Mont Diablo, en Californie. Un volcan endormi des siècles durant se réveille. Dans la fureur de l’éruption, au cœur de la nuée ardente, surgissent des monstres gigantesques. Les kaiju. De gigantesques créatures dont le seul dessein est la destruction. Très vite, la vallée est prise d’assaut par les scientifiques et les militaires qui souhaitent appréhender ces nouveaux venus. Les expéditions sont des échecs. Personne n’en revient. Pour cause, la vallée est devenue toxique. Son air irrespirable, ses pluies acides. Les machines humaines sont nombreuses à y être détraquées.

Giantkiller, Intégrale - De Dan Brereton - Huginn & Muninn
"Mon père était pasteur, un homme vertueux. S’il était encore parmi nous, il en serait arrivé à la conclusion que l’enfer était arrrivé sur Terre. A l’heure actuelle, je ne vois aucun argument valable pour contredire une telle affirmation." Général Aubrey Selkirk, projet Giantkiller.
© Huginn & Muninn

La crainte des autorités étatsuniennes est que les kaiju décident d’étendre leur territoire bien au-delà de la vallée. Afin de mieux les connaître, les scientifiques envoient Jill Sleet, une humaine génétiquement modifiée, apte à survivre dans ce que l’on nomme désormais "les Territoires". Elle recense les différents types de kaiju, puis décide de déserter pour son seul bénéfice. Privées de sentinelle en terres kaiju, les scientifiques créent en laboratoire une nouvelle espèce dans le cadre du projet "giantkiller". Il s’agit de "Jack", une créature mi-humaine, mi-kaiju. Élevé pour tuer, "Jack" est rapidement envoyé se confronter à ses frères dans l’espoir qu’il élimine toute la fratrie...

© Huginn & Muninn

L’imaginaire de l’extrême-orient en extrême-ouest américain : de l’influence des kaiju

Nous avions, ici, d’ores et déjà abondamment commenté le rôle central du monstre dans l’œuvre de Dan Brereton. Avec Giantkiller, écrit entre 1999 et 2000, l’auteur explore cette fois la notion de kaiju. Ce mot japonais, dont les racines remontent au chinois médiéval, désigne des "bêtes étranges" issues de la mythologie d’Extrême-Orient. Avec le cinéma, les kaiju prennent une nouvelle dimension : celui du monstre gigantesque dont Godzilla est la représentation tutélaire.

Cependant, il est important d’avoir à l’esprit que pour les Japonais, le kaiju n’est pas par nature un monstre infernal. Il n’entre pas dans un schéma binaire qui opposerait le bien au mal, comme dans le monde occidental d’inspiration judéo-chrétienne. Le kaiju est une expression de la force de la nature devant laquelle l’humain doit comprendre la modeste place qui est la sienne.

© DC comics

Si certains kaiju présents dans Giantkiller pourraient être directement issus de la mythologie cinématographique japonaise, ils n’en sont pas moins tous inventés par Dan Brereton. Chose originale, la narration s’ouvre sur la galerie des kaiju présents dans "les Territoires" et étudiés par Jill Sleet. Vingt-six pages pour vingt-six kaiju différents, chacun ayant un nom commençant par l’une des vingt-six lettres de l’alphabet. Pour les lecteurs, cette entrée en matière est l’occasion de pénétrer dans un nouveau monde commenté par Jill, tout en admirant l’art graphique de Dan Brereton. Chaque page dresse le portrait d’un de ces monstres gigantesques. Une immersion visuelle particulièrement prenante.

© Huginn & Muninn

La peinture au service des monstres

Giantkiller est l’occasion pour Dan Brereton de donner corps à tout son talent graphique. Peintre reconnu aux États-Unis, influencé par le mouvement artistique du photoréalisme, son style est éminemment reconnaissable. Son talent pour la mise en scène, son choix des cadrages - fortement inspiré par le cinéma - et son travail admirable sur les couleurs assurent aux lecteurs un festival visuel permanent. En d’autres termes, le travail pictural de Dan Brereton sait mettre en valeur la démesure des kaiju, autant que les kaiju donnent à voir toute la démesure du graphisme de l’auteur.

Comme pour The Nocturnals, d’innombrables cases ou pleines pages mériteraient d’être un tableau à part entière que l’on pourrait admirer au musée, ou dans son salon pour les plus chanceux. Ces pages peuvent nous amener à sortir de la narration pour n’admirer que le dessin. Se perdre dans ces volutes de couleur. Se prendre à rêver d’ailleurs. Se perdre dans la vallée de Diablo. Figés dans notre contemplation, comme un écho à la dimension photographique de sa mise en scène.

© Huginn & Muninn

De l’héritage des maîtres Lovecraft et Mignola au disciple Guillermo Del Toro

Bien que l’inspiration japonaise soit omniprésente dans Giantkiller, les références européennes et étatsuniennes existent. A l’image de The Nocturnals, Dan Brereton déploie ses références à H.P. Lovecraft, au point même de le citer comme le "reclus de Providence" (ville où il est né et a passé la fin de sa vie, atteint d’un cancer). Parmi les kaiju, on trouve Cethlu, une référence transparente, tant visuelle que patronymique à Cthulhu. Mais en intégrant ce "panthéon noir" et cette philosophie de l’horreur cosmique à son univers, Dan Brereton entre en résonance avec l’esprit japonais des kaiju. En effet, H.P. Lovecraft pensait que l’être humain était insignifiant à l’échelle du cosmos et qu’il fantasmait en imaginant avoir une influence quelconque sur des forces qui le dépassent.

© Huginn & Muninn

Autre influence, celle de Mike Mignola. Avec Dan Brereton, ils sont issus de la même génération, ont chacun une patte graphique reconnaissable entre toutes, ainsi qu’un amour sincère pour la figure du monstre. Hellboy apparaît en 1994 et Les Nocturnes en 1995. En revanche, Giantkiller naît cinq années après le personnage de Mignola et l’influence sur Jack est troublante. Tant la carrure, certaines positions, que l’esprit et la manière d’être amènent à faire une comparaison avec Hellboy. Si ce dernier n’est pas une création de laboratoire, Jack et lui sont tous deux éduqués par des services secrets US et sont amenés à défendre l’humain contre le monde avec lequel ils sont apparentés.

De cet ensemble artistique, Guillermo Del Toro, réalisateur mexicain, en a hérité. Ce n’est pas un hasard si cet amoureux des monstres - voir l’excellent Le labyrinthe de Pan - a réalisé deux films adaptés du comic Hellboy ou mis en scène les kaiju dans Pacific Rim. L’influence de Dan Brereton y est palpable, bien qu’y étant une référence parmi d’autres, l’hommage premier étant rendu à la culture populaire japonaise.

© Huginn & Muninn

Le monstre ou la beauté de la démesure : the king kong theory

L’intégrale s’ouvre sur une double préface signée Jesse Alexander (scénariste et producteur). La première date de 2006, la seconde de 2020. Il y évoque son besoin de surgissement de l’extraordinaire dans une réalité si morne, ainsi que son goût pour le mythe. Une narration indissociable d’une forme de vitalité et d’héroïsme face au désespoir. En d’autres termes, la situation à laquelle doivent faire face Jack, Jill et les humains dans Giantkiller. Cet intérêt pour l’imaginaire de la démesure est caractéristique des deux cultures que sont la culture états-uniennes et la culture japonaise.

Ce tropisme pour le gigantisme se retrouve dans leur urbanisme, leur course aux technologies du future, ainsi que leurs mythes : les kaiju pour les Japonais, les super-héros évoluant dans les gratte-ciel des USA. Une forme de magie, de fantastique, de surnaturel planent sur la psyché de ces deux nations. Nous discutions récemment en interview avec Alexandre Astier de l’imagination puissante du manga japonais, doté d’une vitalité fascinante, une des raisons de son succès. Ce goût pour la démesure en est peut-être une clé de compréhension. Le vieux monde qu’est l’Europe ne devrait-il pas s’en inspirer ?...

© Huginn & Muninn

(par Romain GARNIER)

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Code EAN : 9782364808843

A noter que cette belle intégrale comprend également un ensemble de croquis préparatoires réalisés par Dan Brereton, ainsi qu’une galerie de dessins et de couvertures réalisés par des grands artistes du comics (Alex Ross, Jay Stephens...). L’hommage le plus réussi nous semble être celui de Matt Frank.

Pour découvrir d’autres comics des éditions Huginn & Muninn :

- Doc Frankenstein : Le Prométhée post-moderne - Par les soeurs Wachowski, Geof Darrow et Steve Skroce

De la collection "Signatures USA" des éditions Huginn & Muninn :

- Madman, Intégrale 1 - de Michael Allred et Laura Allred
- The Nocturnals, Intégrale 1 - De Dan Brereton - Huginn & Muninn

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