Pour ceux qui, sous nos latitudes, souvent bien plus nombreux qu’on ne le pense, confondent encore Taïwan avec la Thaïlande, l’île d’origine de Li-Chin Lin, peuplée de 24 millions d’habitants, se situe plus à l’Est en Asie. L’endroit est séparé par un mince détroit de la Chine continentale, dont il subit la pression irrédentiste, ne cessant de le considérer comme sa vingt-troisième province. Cependant que l’ex-Formose a connu un destin divergent, longtemps dominée par l’ennemi nationaliste de Mao, Tchang Kaï-check.
Dans Formose, son premier roman graphique, Li-Chin Lin revenait sur son jeune temps durant la fin de la période dite de la « Terreur blanche », une quarantaine d’années pendant lesquelles le Généralissime tint l’île sous sa férule. Des excès de l’omniprésence de sa propagande anti-communiste, en passant par l’évocation de la démocratisation intervenant après, l’autrice taïwanaise, par le biais de l’autofiction, retraçait son parcours. Il devait finalement la conduire en France.
Formée à la production de films d’animation et par l’illustration d’ouvrages pour enfants, Li-Chin Lin articule son travail autour du contraste entre un dessin inscrit dans la simplification, qui s’explique en partie par là, et la force de son propos. La mise au point de cette sorte d’écriture et de décalage entretenu le sert bien en définitive.
Il est d’ailleurs significatif que l’éditeur de la Taïwanaise, Serge Ewenczyk, aux goûts pointus en matière de graphisme, ne s’y soit pas trompé. Celui-ci assure l’artiste de son soutien dans la poursuite de son œuvre.
Remarquez que ce relatif minimalisme dans le dessin est prisé en Asie. L’une de ses formes les plus répandues réside souvent dans le yonkoma, récit en unités de base de quatre cases. L’un de ses fleurons au Japon fut, par exemple, Sazae-san de Machiko Hasegawa.
À Taïwan, sous cette forme, en strips dans la presse, voire en planches, ce genre est aussi populaire. Même si l’on s’en aperçoit peu vu de l’Ouest, l’un des auteurs taïwanais à vendre le plus à l’étranger, y compris en Occident, Chih-chung Tsai, s’y rattache.
Li-Chin Lin a, sur cette base de dessin simplifié, accommodé de fait au genre en question la recette du roman graphique, pour s’être réappropriée cette influence depuis qu’elle réside en France. Ouverte à beaucoup d’inspirations, elle pouvait difficilement échapper à sa forte présence dans le franco-belge. S’orienter vers les registres de ce dernier liés à la bande dessinée autobiographique et de reportage s’imposa à elle de façon quasiment naturelle.
L’autrice de Formose publie également dans les deux pays. Elle tient un rôle incontestable de passeur avec sa contrée insulaire, notamment par le biais d’articles et d’activités favorisant la connaissance mutuelle du neuvième art d’expression française et taïwanais. En outre, elle s’est impliquée dans l’édition du fanzine de haut niveau Taiwan Comix, qui a concouru pour remporter le prix dédié à cette catégorie au Festival international d’Angoulême.
Dans Fudafudak, l’endroit qui scintille, elle revenait à Taïwan et sur les questions qui fâchent. Rien d’étonnant pour qui connaît ce réactif petit bout de femme, parfois bien peu asiatique dans son tempérament, tant elle se montre peu disposée à la tempérance, voire à conserver une attitude conciliatrice de façade, surtout dès lors qu’il est question de s’engager et de se montrer combative en faveur des causes qui lui sont chères. La faute à son trop long séjour en France, qui sait ?
Quoi qu’il en soit, dans ce second roman graphique, elle dénonçait les excès de promoteurs immobiliers constructeurs d’un complexe hôtelier empiétant sur le territoire des Amis sur la côte est de son île d’origine. Il s’agit de la plus importante communauté aborigène en nombre parmi les minorités austronésiennes de Taïwan. Les spécialistes pensent de plus en plus que, depuis cette façade maritime, leurs ancêtres partirent voici des siècles sur de frêles esquifs pour peupler toutes les îles du Pacifique.
Dur retour à la réalité en France cette fois dans Goán Tau, chez moi, où après vingt ans passés dans ce pays, Li-Chin Lin constate y demeurer par bien des aspects une étrangère, tout comme à Taïwan. Puisque quand elle retrouve son île, plus vraiment la même, ses liens avec les siens se sont complexifiés, voire distendus.
Dans sa terre d’accueil, l’exilée ou ses amies aux origines proches se trouvent en butte aux poncifs et stéréotypes xénophobes envers les immigrés asiatiques et autres incivilités que tout un chacun peut constater. De ceux qui n’ont cessé de s’aggraver depuis vingt ans et plus, jusqu’à inciter certains à rebours à céder aux séductions faciles. Et décrites à travers son expérience vécue, ces dégradations de la personne humaine font du coup encore davantage écho à nos yeux.
Car l’artiste taïwano-française, si elle n’est pas la seule à chercher où se trouve sa maison, n’en perd pas pour autant le sens de l’orientation. Livre après livre, elle trace son propre chemin. Sa persévérance dans sa démarche pleine de probité, de conviction, et qui ne rechigne jamais à la confrontation si nécessaire, continue d’emporter notre adhésion.
(par Florian Rubis)
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