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Janry : « "Grott & Brott" jouent sur un mode burlesque à la Laurel & Hardy »

Par Charles-Louis Detournay le 18 février 2022                      Lien  
Le co-auteur de "Spirou et Fantasio" et du "Petit Spirou" lance une nouvelle série avec Gihef et le dessinateur Tanco. Son pitch ? Deux extraterrestres en cavale qui viennent se cacher sur Terre, sous les traits de tenanciers de night shop pas si inoffensifs que cela ! Gags en pagaille et analyse décalée de notre société, "Grott & Brott" s'annonce comme un des lancements marquants de ce début d'année !

Comment a démarré le concept de votre nouvelle série, intitulée Grott et Brott ?

Gihef et moi, nous nous connaissons depuis pas mal de temps. Comme il habite en face de moi, nous avons eu l’occasion de nous retrouver régulièrement lors du confinement, en formant une bulle à plus d’un titre. En effet, cela faisait un moment qu’on voulait travailler ensemble, pour partager notre amitié au sein d’un projet. Et comme Morgann Tanco avec il travaillait, désirait changer de registre et passer à une série de gags, nous nous sommes mis à plancher sur le sujet.

Quelle a été votre point de départ ?

Un concept de Gihef qui pourrait s’approcher de séries que réalisait Raoul Cauvin et que l’on retrouve souvent dans le catalogue de Bamboo, à savoir une série qui tourne autour d’une profession en particulier. Et ici en l’occurrence, il s’agit des tenanciers de night shops et tout ce qui se déroule d’étrange ou de rocambolesque dans leurs commerces après 20h.

Par exemple : le mari qui a oublié l’anniversaire de sa femme et qui se précipite pour chercher des fleurs le soir en coup de vent, alors que ces dernières sont pour le coup un peu défraîchies. Une femme qui a trompé son mari, des braqueurs, les bandes de gosses qui mettent le chambard dans les rayons, etc. Bref, c’est un lieu de vie multidirectionnel, qui est en même temps au centre des activités du quartier. On peut y retrouve l’agent de police qui est de passage, l’épicier en face qui est jaloux et dénigre par exemple les tenanciers du night shop qui sont issus d’une autre communauté, etc.

Janry : « "Grott & Brott" jouent sur un mode burlesque à la Laurel & Hardy »

Comment avez-vous eu l’idée d’en faire des extra-terrestres ?

Nous avons rebondi sur un autre concept sur lequel j’avais travaillé précédemment. Une série qui se serait appelée Crott et Prout, mettant en scène deux martiens, éclaireurs de leur armée, en charge de venir repérer les humains sur la Terre avant de l’envahir. Le concept était de rire de leurs observations décalées par rapport à notre société, un peu comme dans des films tels que Les Dieux sont tombés sur la tête, mais en le transposant à des extra-terrestres.

Et bien entendu, nos deux personnages arriveraient avec leur soucoupe toujours à un moment bizarre… Tel que la finale de Roland-Garros par exemple. D’après leur compte-rendu, ces espions ont assisté à une étrange messe où deux prêtres se renvoyaient une espèce de boule jaune, tandis que les fidèles hochaient la tête en cadence. Puis un archonte sur un piédestal a dit « 15-40 » et toute l’assemblée a manifesté son contentement.

Cela semblait un bon concept. Pourquoi ne pas l’avoir développé jusqu’au bout ?

À la base, le pitch initial était marrant, mais le diable se cache souvent dans les bonnes idées… Je me suis effectivement rendu compte que je commençais à tourner en rond après deux-trois gags. L’aspect humoristique tenait dans le décalage entre leur vision et ce que nous en savions. Mais finalement, ces rituels observés s’apparentaient souvent au sport… Comme je pataugeais, je l’avais mise de côté, et finalement nous l’avons recyclé au concept des tenanciers de night shop.

Qui sont alors Grott et Brott, vos nouveaux personnages ?

Il s’agit de deux extraterrestres en cavale en recherche d’une nouvelle planète pour se cacher de leur police. Pourquoi avoir choisi la Terre ? Car les êtres humains qui l’habitent respirent non seulement le même gaz qu’eux, mais ils ont surtout deux bras et deux jambes comme eux, et sont pourvus d’une taille semblable. Alors que sur Algol, les Algoliens font six mètres de haut et portent plein de tentacules. Pour se fondre dans le paysage, ils apprennent les mœurs des Terriens.

Vous avez choisi d’avoir deux extraterrestres, et un troisième vient d’ailleurs régulièrement s’inviter dans le jeu de quille ?

Il s’agit d’un tandem, en référence par exemple à Laurel et Hardy. Le premier est très motivé, et très consciencieux dans sa démarche de passer inaperçu. Tandis que l’autre est plus perméable à ses humeurs, ses envies ou à de petits délires qui sont susceptibles justement de les trahir. Ils sont donc dotés de caractères différents, ce qui à la fois source de gags et permet aussi de les faire interagir.
Gihef et moi, nous nous voyons donc régulièrement pour des brainstormings, on note des idées qu’on développe parfois pour la finaliser en gag. Cela m’arrive d’avoir une idée et de rapidement la crobarder avant de l’envoyer à Gihef, ce qui lui permet de rebondir dessus et de le compléter.

Vous travaillez donc différemment de ce que vous aviez mis en place avec Tome pour Le Petit Spirou ?

Totalement ! En tant qu’ancien dessinateur, Philippe [Tome] me donnait des scénarios storyboardés. Quand à Gihef, même s’il est également dessinateur, il préfère les dactylographier. Pour ma part, je préfère tout de même réaliser un rough du gag avant de l’envoyer au dessinateur. Comme je dispose d’une vis comica qui est assez bonne, le fait de les dessiner me permet de souligner les intentions initiales à destination du dessinateur, à savoir Morgann Tanco dans le cas qui nous occupe. Et comme il s’était justement présenté comme n’étant pas rompu à ce type d’exercice spécifique, à savoir le gag en une planche, autant le soutenir du mieux que je peux.

La couverture de ce premier tome qui sortira au printemps 2022

Il vous a tout de même fallu vous acclimater à cette nouvelle façon de collaborer ?

Cela n’a pas été ardu, mais il nous a effectivement fallu un vrai temps d’acclimatation. Surtout que la masse de travail s’est révélée plus importante que je ne l’avais envisagée initialement. Mais comme nous n’avions pas grand-chose à faire d’autre pendant le confinement, nous avons avancé de manière régulière, et finalement nous avons terminé un quarante-quatre pages avant de nous en rendre vraiment compte.

Ce qui s’est révélé à la fois un atout et une forme de contrainte lorsqu’il a fallu présenter le projet chez des éditeurs. Souvent, on vient avec quelques croquis, voire l’une ou l’autre planche. Mais jamais avec un album complet, ce qui les a donc déstabilisés un petit peu. Surtout que le concept de deux extra-terrestres qui viennent trouver refuge sur Terre, est un peu plus compliqué que l’univers de Boule et Bill. Nous ne maîtrisons pas tout dès le début, et cela va certainement se construire et s’affiner au fur et à mesure de la série.

Comme ce troisième larron qui vient régulièrement visiter vos héros ?

Ce troisième délinquant est le boulet de la série, un peu comme Joe Pesci dans L’Arme fatale. Sans oublier, le Serjudant Fiott, un policier basé sur leur planète natale dénommée Krouton et qui est chargé de les retrouver. Nous avons donc voulu travailler un mode burlesque à la Laurel et Hardy.

Janry aux côtés d’une planète en céramique qu’il a lui-même réalisée.
Photo : Charles-Louis Detournay.

Votre éditeur Kamiti a donc choisi d’éditer votre série, et le premier tome est en financement sur Ulule ?

Le démarrage a très bien fonctionné, car nous avons déjà réuni plus de 16.000 €. J’espère que les lecteurs seront attirés par nos deux extra-terrestres qui cherchent à comprendre nos rituels humains pour mieux se fondre dans la masse des terriens. Nous avons vraiment l’impression qu’on peut renouveler ce concept à l’infini, et dépasser aussi le stade du gag.

Ainsi, nous envisageons de poser quelques instants de réflexion par rapport à la condition humaine. Par exemple, l’une de nos petites histoires traite de la recherche de l’âme sœur. Surtout Brott qui est en mal d’amour car il a laissé sa copine Turlutt sur Krouton. Il essaie donc Tinder et d’autres modes pour entrer en contact avec des femmes. Mais comme Grott & Brott sont chauves de nature, ils sont rebutés par les humaines et leurs cheveux. Et finalement, Brott tombe amoureux d’une dame à cause de son absence de chevelure... parce qu’elle est soignée par chimiothérapie. Voilà un ingrédient que j’ai vraiment suggéré à Gihef, car dans Le Petit Spirou, on retrouve de temps en temps des gags qui sont pas franchement drôles, mais qui taillent un costume aux adultes que nous sommes au travers du regard d’un enfant.

Vous maintenez donc votre ambition de ne pas réaliser des gags juste pour l’aspect humoristique ?

Oui, comme j’avais pu le faire dans les scénarios de Passe-moi l’ciel, une série que j’ai reprise maintenant en solo. Parfois, j’égratigne quelques mauvais réflexes judéo-chrétiens conditionnés, ou je moque un peu de l’église qui, comme disait Clemenceau, un état dirigé par un souverain étranger. Aux yeux des agnostiques, l’Église est une entreprise. Sans oublier les autres religions, qui se prétendent toutes pourvues du Dieu unique.

Il faut bien entendu maintenir l’idée du gag, afin de terminer la lecture sur un éclat de rire, mais cela n’empêche pas de distiller une certaine morale, pour peu que nous soyons nous-mêmes des personnes cultivant de bonnes valeurs. On peut donc apporter aux enfants des réflexions qui peuvent les aider à grandir avec une certaine éthique du monde. Cela passe toujours mieux que lorsqu’un professeur sermonne sur ce qu’on peut faire ou pas. Quand on le découvre par soi-même, au gré d’une lecture, non seulement on le digère, mais on se l’approprie. Puisqu’on est lu par des enfants, cela vaut la peine d’éviter de dire certaines conneries, parce qu’on s’adresse à de petites éponges et qu’il faut donc les traiter autant de soin que de respect.

Propos recueillis par Charles-Louis Detournay.

(par Charles-Louis Detournay)

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Photo en médaillon : Charles-Louis Detournay.

Kamiti ✍ Gihef ✍ Janry ✏️ Morgann Tanco Humour
 
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