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La Syldavie de Tintin est-elle roumaine ?

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 27 mars 2023                      Lien  
Dodo Niță est l’un des plus éminents spécialistes de la bande dessinée en Roumanie, auteur de plusieurs essais et encyclopédies sur le 9e art dont une « Histoire de la bande dessinée roumaine ». Alors qu’il découvrait la bande dessinée franco-belge dans un de ces « lectorats français » créés dans les universités après la visite de De Gaulle à Ceaușescu en mai 1968 (il était étudiant en sciences économiques), il découvre « Tintin et le sceptre d’Ottokar », en particulier ce pays imaginaire qu’est la Syldavie, il se dit que c’est une évidence : ce sont bien des Roumains dont on parle dans Tintin !

Commence alors une quête des indices dans les albums, et surtout des sources directes qui ont pu influencer Hergé. Quelles sont-elles ?

Premier argument, l’argument géographique : « Syldavie, explique Dodo Niță, c’est un mot composé de syllabes extraites des noms de deux provinces historiques anciennes de la Roumanie : la Transylvanie et la Moldavie. »

La Syldavie de Tintin est-elle roumaine ?

Autre argument géographique : la description qu’Hergé fait de la Syldavie dans une brochure touristique que feuillette Tintin ressemble à celle distribuée sur le stand du royaume de Roumanie lors de l’exposition universelle de 1937 à Paris : la Syldavie y est «  un pays d’Europe orientale », donc pas centrale comme la Pologne, ni l’Europe du Sud comme les Balkans.

On la décrit comme une vallée entre deux grands fleuves, comme la Roumanie, et bordée par le massif des Zmyhlpathes, allusions aux Carpathes. Un pays riche en blé, en eaux minérales qui exporte « du bois de chauffage, des chevaux et des violonistes  ». Or, quand on détaille cette brochure, on voit qu’Hergé a emprunté des éléments visuels pour concevoir son pays imaginaire.

Second argument, l’argument ornithologique : le pélican noir qui figure dans le blason du royaume. « Le pélican noir est un animal qui n’existe pas, nous dit l’expert. Mais là où existe le plus grand nombre de pélicans en liberté, c’est dans le delta du Danube. » Mais d’où sort donc ce « pélican noir » ? Notre tintinologue en a trouvé la trace : il s’agit du patronyme d’un aumônier scout belge contemporain d’Hergé qui avait cet animal comme totem.

L’argument linguistique : Jusqu’ici, aucune allusion directe à la Roumanie, mais quand Dodo Niță tombe, dans L’Affaire Tournesol sur le juron du capitaine Haddock s’adressant à des Bordures en ces termes : « Bougre de Papous des Carpathes  », son esprit s’éclaire : cette chaîne de montagnes se situe un peu en Pologne, en Ukraine, donc alors en Union soviétique, mais surtout en Roumanie.

Vient l’argument aéronautique : « On sait dans Le Sceptre d’Ottokar que Tintin part de Bruxelles sur un avion de la Sabena, fait escale à Prague où il change d’avion pour aller en Syldavie. Or, à l’époque, la Sabena n’avait pas de liaison intercontinentale. Mais il y avait cette petite compagnie, fondée en 1920, la compagnie franco-roumaine, qui desservait l’Europe centrale jusqu’à Bucarest. »

L’argument historique est bien plus convaincant encore : « Pour moi, le roi Muskar XII est le prince roumain Alexandru Ioan Cuza , nous dit Dodo Niță. Il avait fait ses études à Paris, était colonel comme le Roi Muskar. En 1863, il changea l’alphabet cyrillique pour l’alphabet latin. Or, dans Le Sceptre d’Ottokar, il y a des doubles inscriptions en cyrillique et en lettres latines, comme en Roumanie pendant un certain nombre d’années. »

Pour la Bordurie, l’influence allemande, et celle de l’Anschluss sont patentes : les uniformes, les avions, jusqu’au nom du dirigeant de la Garde d’acier : Müssler, contraction entre Mussolini et Hitler, un jeu de mot forgé comme celui de la Syldavie. Mais aussi celle de l’Union soviétique comme en témoignent les moustaches du maréchal Plekszy Gladz qui s’insinuent dans les décors jusque dans les décorations. Mais la Garde d’acier fait clairement allusion à La Garde de fer, un parti nationaliste révolutionnaire et fasciste roumain qui régna dans le royaume entre 1927 et le début de la Seconde Guerre mondiale.

Il est évident, conclut dès lors Dodo Niță avec modestie, que la Roumanie n’est pas la seule source de référence de l’album. Ainsi, le palais royal est inspiré de celui de Bruxelles. Dans la première édition, les uniformes sont ceux des gardes du palais de Buckingham de Londres. Mais il est clair que l’influence principale du magnifique pays de papier créé par Hergé reste ce grand pays coincé entre les Carpathes et la Mer noire.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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Tintin ✏️ Hergé tout public Etude sur la BD Roumanie Hergé et Tintin
 
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