Avis aux amateurs de l’auteur, ce nouveau titre est vraiment déconcertant puisque tous les critères indissociables du travail d’Emmanuel Guibert sont ici chamboulés et détournés.
Cet ouvrage, unique en son genre, est un électron libre dans la bibliographie de son auteur. Le smartphone et le balayeur narre l’histoire d’un balayeur parisien qui, au détour de sa tournée journalière, va rencontrer un smartphone doué de la parole. Les deux vont alors s’adonner à une réflexion philosophique et profonde sur nos rapports au numérique, au travail, et à la vie de manière générale.
Cette prosopopée interroge le statut de l’objet, son devenir, et l’osmose prégnante et indissociable des individus avec leurs téléphones. Celle-là même qui abrutit les hommes, les rendant fantomatiques dans un monde en perpétuelle effervescence.
Le fort d’Emmanuel Guibert, dans cet ouvrage et dans son œuvre en général, est qu’il arrive à dire énormément avec peu. Le dessin y est synthétique, à la limite du rébarbatif, mais ce n’est pas l’enjeu ni le sujet. Ici, c’est le texte qui prime, les planches et les cases n’étant qu’un support pour Guibert pour énoncer des thèses beaucoup plus approfondies.
Notamment sur le statut et le rôle d’un individu au sein de la société avecl’exemple-clé et significatif du balayeur : « Les gens qui abattent une besogne utile, ingrate et vieille comme le monde sont toujours invisibles. » Cette citation est représentative de l’esprit de ce livre. Le balayeur donne du bien-être aux individus car il est attaché à l’idée de propreté, mais personne ne le remarque finalement.
Guibert livre ici un portrait drôle et touchant de ce métier négligé et invisibilisé et, bien que le format, le dessin, le ton, ne soient pas celui du récit et du témoignage que l’on a pu lire dans La Guerre d’Alan ou Le Photographe. Mais il y a toujours la même empathie : l’auteur nous parle toujours des gens. C’est probablement ce qui donne ce petit supplément d’âme à ce livre, au ton si particulier et caractéristique. « Je ne raconterai jamais l’histoire de quelqu’un que je n’ai pas connu » répète-t-il souvent et on se plaît à penser qu’au détour d’une balade dans les rues de Paris, nous croiserons peut-être ce balayeur attachant, cet aventurier du quotidien et son outil animé.
(par François RISSEL)
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