Les Ouïghours, peuple turcophone à majorité musulmane du Xinjiang, région occidentale de Chine, est une des cinquante-cinq minorités reconnues par le gouvernement, et une des plus sévèrement réprimée par le régime chinois - de Mao à Xi Jinping.
Cette BD de ’journalisme graphique’ repose - comme la plupart - sur la représentation du journaliste comme fil conducteur. Ainsi de son premier reportage dans les années 1990, lorsque le sujet n’évoquait rien au grand public, jusqu’aux années 2020, où l’ONU reconnut l’existence de camps d’internements, nous suivons Éric Darbré dans son enquête : sur un plan professionnel, mais aussi quasi-psychique d’éveil de sa conscience, qui fit de chaque article, et successivement de cette BD, un acte militant.
En Turquie, il rencontre les opposants en exil du Turkestan Oriental (nom employé pour remplacer le terme chinois Xinjiang), dont un certain Dolkun, qui deviendra le leader du Congrès Mondial Ouïghour.
Au Kazakhstan ensuite, pour y rencontrer la diaspora, entre deux allers-retours au Turkestan Oriental, et même à Paris, pour organiser une rencontre à l’Elysée avec des représentants ouïghours, avant d’aller au Pakistan...
Les témoignages, mesurés et filtrés à travers les expériences personnelles du journaliste, nous font vivre à ses côtés l’envers du décor de ses reportages et met en lumière les mécanismes ignorés, parfois ratés, parfois secrets, de son investigation.
Il est intéressant de noter que les images qui n’ont pas pu être filmées en Chine, les images parfois trop violentes pour certains médias, et les entrevues censurées ou non filmées, ont pu ici être retranscrites graphiquement.
En cela la BD présente à bien des égards une antithèse à la caméra en tant qu’outil de documentaire : alors que les appareils photos produisent instantanément des images, le dessin les ressuscite de la mémoire de l’auteur et prend des libertés narratives. Pourtant, des libertés, le dessinateur Éliot Franques n’en prend pas beaucoup, de peur peut-être de s’éloigner de la réalité. En cela, les dessins n’ont pas la profondeur qu’ils auraient pu avoir pour traiter d’un tel sujet, et ne profitent pas de la position privilégiée de la BD pour retranscrire certains concepts.
Comment enquêter ? Et surtout, comment changer les attitudes sur la scène internationale ? Voilà les principales questions que nous posent le livre (et auxquelles nous ne pouvons répondre). Un documentaire complémentaire (et traumatisant) réalisé par Darbré se trouve ici.
Cette bande dessinée reste en somme une oeuvre de journalisme indépendant, importante, qui saura en instruire plus d’un sur le drame des Ouïghours, reconnu aujourd’hui par la France comme un génocide.
(par Marlene AGIUS)
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