Dessinateur du Journal d’une bipolaire (sur scénario de Patrice & Emilie Guillon) puis scénariste et dessinateur du récit autobiographique Le Marathon de New York, Sébastien Samson revient avec Entre Deux Gares sur les traces de son passé.
La couverture illustre bien le propos : un petit garçon (en couleurs) devenu adulte (silhouette floue sur le bas côté) ; démarche assurée de l’enfant qui suit les rails vers un avenir qui implique le départ de son village rural : des teintes couleur rouille.
Sébastien (le double de l’auteur) est professeur d’arts plastiques et auteur de bande dessinée. Afin d’assurer la promotion de son dernier livre, il est invité pour une semaine, tous frais payés, en échange de quelques « gribouillis » (séances de dédicaces). Ne se sentant guère à sa place (syndrôme d’imposture ?), dans la navette pour rejoindre son hôtel à Manhattan, il aperçoit soudain un petit garçon qui suit des voies de chemin de fer parallèles. Et voilà le narrateur projeté dans son passé, en compagnie de lui-même, alors âgé de neuf ans.
Regard tendre sur cette enfance où les mots ne sont pas encore tous maitrisés (« on est mercredi, alors les copains sont au catéchips »), où l’imagination permet qu’un vestige archéologique devienne un vaisseau galactique, où une soirée TV devant Les Aventuriers de l’Arche perdue enlève l’envie de devenir aventurier-archéologue (car il y a des serpents et des nazis...)
Sébastien a vécu avec ses parents dans une maison de garde-barrière SNCF, à côté d’un passage à niveau (le 185), sur la ligne Saumur-Poitiers, variante de la ligne Paris-Bordeaux.
Le passage des trains occasionnels voire rares puis l’arrêt définitif de cette ligne de chemin de fer qui, comme d’autres, constituaient autant de lignes de vie a marqué, la mémoire du narrateur et qui se souvient d’une France qui n’est plus. Pourtant pas de nostalgie rance dans ce récit entre deux gares.
On remarquera son talent de dessinateur animalier (le chien de la planche 27, la chouette de la planche 39), de portraitiste (Théophraste Renaudot, Louis De Funès, Jacques Brel), capable de redessiner la couverture de Billy the kid de Goscinny et Morris et du Petit Cirque de Fred, de nature morte aussi (la maison abandonnée).
Certains partis-pris graphiques sont très réussis, comme le choix de mettre les souvenirs en couleurs et la vie actuelle en gris bleu à rebours du schéma habituel ; les scènes (saisissantes) hors cadre, hors case, extraites des registres paroissiaux de l’abbé Aubry ou encore la double page avec de multiples Sébastien enfant, chantant et dansant dans et pour une ville frappée par le déclin économique.
Cette histoire personnelle constitue aussi un témoignage sur des territoires ruraux qui ont subi l’exode des populations vers les villes et le déclin économique et des territoires urbains suite à la désindustrialisation. Dans la post-face, l’auteur fit part de ses doutes sur la légitimité d’un récit autobiographique quand on n’a ni racines syriennes, ni passé traumatique. Entre Deux Gares est un témoignage tendre, parfois humoristique, sur une enfance qui au final, fut heureuse. C’est aussi le récit d’un adulte qui se réconcilie ou en tous cas qui se relie à ce qu’il fut (et est encore). C’est enfin le constat critique des évolutions sociétales.
(par Christian GRANGE)
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