Après Sengo l’an dernier, c’est un autre titre Casterman qui rafle le Prix Asie cette année encore. Tomino la maudite, publié en deux gros volumes (chroniques du tome 1 ici, et du tome 2 là),se voit donc récompensé du 15e Prix Asie de la Critique ACBD. Une consécration en France pour un maître du manga dont les œuvres furent découvertes chez nous dès le début des années 1990 et portées par plusieurs éditeurs (principalement par Le Lézard Noir, mais aussi IMHO pour une de ses œuvres majeures, La Jeune Fille aux camélias, et donc également Casterman pour L’Île Panorama, récompensée du Prix Tezuka au Japon en 2009).
Tomino la maudite raconte la vie de jumeaux, abandonnés par leur mère lorsqu’ils étaient bébés, puis vendus par leur oncle. Miso et Shoyu trouvent en fin de compte un foyer dans un cirque qui va les promouvoir comme phénomènes de foire et leur donner leurs noms de scène : Tomino et Katan. Nous sommes dans le Tokyo des années 1930 et le cirque qui les a recueillis a besoin de monstres à exhiber, quitte à en fabriquer de toutes pièces.
Immense mangaka dont l’oeuvre structure la production adulte de la bande dessinée japonaise depuis les années 1980, Suehiro Maruo se distingue en particulier au sein du genre de l’ero-guro (pour érotico-grotesque). Tomino la maudite propose un récit cruel mais moins violent que ceux de la prime carrière de Maruo, plus grotesque qu’érotique. Il offre ainsi une porte d’entrée idéale dans l’œuvre de ce maître de l’horreur et du fantastique.
Les thèmes chères à l’auteur s’y retrouvent avec nuances et détails, dans une ample histoire courant sur deux gros volumes. Les questionnements sur ce qui fait l’humanité et la monstruosité, sur comment la première peut se défaire et la seconde minutieusement se développer ou se dévoiler, s’y trouvent subtilement conduits et magnifiquement illustrés.
Outre son atmosphère singulière, aussi dérangeante que fascinante, et sa peinture réaliste et passionnée des marges de la société japonaise, Tomino la maudite peut également compter sur une histoire haletante structurée autour du destin hors norme de deux orphelins qui font face à l’abandon, à l’exploitation et même à la guerre. En effet Maruo étale son récit jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, conférant à son travail un cadre historique puissant qui fait d’une apocalypse collective l’horizon des destinées individuelles pour lesquelles le lecteur aura vibré.
Précisons que le vote pour ce Prix Asie 2021 fut extrêmement serré. Tomino ne devance L’Attente que d’une seule voix, ces deux titres récoltant près des 3/4 des suffrages des membres de l’ACBD. Keum Suk Gendry-Kim apparaît comme la Poulidor malheureuse de ce Prix puisque Les Mauvaises Herbes avaient déjà fini à la deuxième place en 2019.
(par Aurélien Pigeat)
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