Pour elle, sa fille Nicole est une entrave. Une enfant conçue trop jeune, dans des circonstances défavorables. Dans son entourage, il y a Gin, Ginny Pinkerton, en réalité Pinkenstein. Américain, c’est un musicien qui joue magnifiquement du Debussy, et en ces temps barbares, il s’affiche comme noir, demi-juif et homosexuel, bref, tout pour plaire aux nazis. Il disparaît tragiquement au cours de l’aventure.
Il y a Manon qui a une liaison avec un officier allemand parce qu’il faut bien vivre, et un peintre, Paul Louvray, admiré de tous et dont les œuvres figurent dans les salons les plus huppés. C’est le propre de cette occupation : il y a ceux qui pensent s’en tirer en faisant « comme si », dans un optimisme de façade, parce que de toute façon, une guerre se termine toujours. Et ceci, quitte à accepter les petites voire les grandes compromissions avec l’ennemi. Ils vivent dans leur bulle avec comme viatique leur petite espérance, tant qu’ils ne sont pas directement confrontés aux terribles réalités de l’oppression.
On découvre cette vie sous l’occupation d’une façon rare, au quotidien, à hauteur de femmes et d’hommes confrontés à la survie, comme beaucoup d’entre nous aujourd’hui finalement. Loin, dans cette histoire, de la vraie précarité cependant.
À la Libération, notre héroïne rencontre un officier américain avec qui elle file l’amour qu’elle attendait. Il est dans la distribution cinématographique et apporte avec lui les grands films d’Hollywood, ceux qui font rêver, avec Ava Gardner et Gregory Peck.
Mais il y a Nicole qui continue à tarauder son esprit, cette fille qu’elle a eue avec cet autre homme, aujourd’hui au Canada, alors qu’elle a maintenant un fils avec son nouveau compagnon américain.
Arrivera-t-elle à les réunir, elle qui n’a jamais oublié son premier enfant ? C’est tout l’enjeu de ce très bel album, extrêmement touchant et très élégamment dessiné par Emilio Vander Zuiden, un dessinateur qui commence à tracer solidement sa route et que l’on avait vu dans une autre collaboration avec Desberg, tout aussi remarquable : Les Anges d’Auschwitz (Ed. Paquet).
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Aimer pour deux. Par Stephen Desberg (scénario) et Emilio Van Der Zuiden (dessin). Éditions Bamboo. Collection Grand Angle. Sortie le 29/09/2021. 24 x 32 cm. 80 pages couleur. 16,90€.