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Angoulême 2022 : Sous la plume d’Aude Picault

Par Thomas FIGUERES le 19 mars 2022                      Lien  
Sous la plume d’Aude Picault, une exposition rétrospective minutieuse consacrée à l’autrice du récent Amalia (éd. Dargaud). Au fil des salles, le trait s’affirme, la plume s’affine. L’œuvre fait sens et gagne en cohérence. Une question parcourt la visite et relie les pièces entre elles : qu’est-ce qu’écrire et peut-être plus important encore, pourquoi ?

Cette exposition aurait en réalité dû se tenir plus tôt. C’est d’ailleurs Frédéric Felder qui avait initié le mouvement avant d’être remercié de la direction artistique du Festival. Fort heureusement pour nous le projet d’accrochage a survécu aux changements d’équipes impromptus et, en bonne entente avec l’ex-militaire perpignanais, Sonia Déschamps a pu reprendre le projet et amorcer le travail avec Aude Picault.

Angoulême 2022 : Sous la plume d'Aude Picault
Aude Picault et Sonia Déschamps, directrice artistique du Festival et commissaire de l’exposition.
Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Depuis Moi je jusqu’à Amalia, sans oublier un double-passage remarqué du côté de la collection BD-Cul, dix-sept années se sont écoulées. La jeune graphiste qui n’était alors pas en phase avec l’activité qu’elle exerçait a eu tout le temps d’évoluer et expérimenter pour devenir la grande autrice qu’elle est aujourd’hui, et ce, en dépit de son apparente discrétion !

Il existe de nombreuses raisons au succès que connaît Aude Picault aujourd’hui. Artiste talentueuse, elle manie la plume avec précision depuis des années. À l’occasion d’une visite guidée de l’exposition, elle confiait à l’assemblée ne pas parvenir à se détacher de son outil, notamment du fait d’une culture esthétique classique où la plume est omniprésente. Mais cela tiendrait également du rapport à la matérialité : le son, le toucher et surtout le lâcher prise et l’imprévu que la plume procure à ses travaux. Cette part de hasard confère au dessin de Aude quelque chose de concret, d’incarné, de sensible. Et cette expressivité du trait se retrouve dans ses personnages qui agissent comme de véritables canaux de transmission d’émotions depuis l’artiste jusqu’au lecteur. La lecture d’un album d’Aude Picault laisse effectivement rarement indifférent.

Son travail a de plus revêtu de nombreuses formes depuis son blog. Elle a travaillé à des ouvrages collectif avec Chicou chicou (collectif composé de Boulet, Domitille Collardey, Lisa Mandel, Aude Picault et Erwann Surcouf) ou Boule de neige (éd. Delcourt, 2007), a publié des strips dans "Libé" pour finalement donner naissance à L’Air de rien (éd. Dargaud, 2017), a rendu compte de ses pérégrinations dans des carnets de voyage, et enfin se projette vers le futur avec Amalia (éd. Dargaud, 2022).

Son leitmotiv : rendre compte du réel. D’Internet aux carnets, Aude n’a jamais cessé de croquer le quotidien sans l’enjoliver. L’honnêteté et la pudeur qui se dégagent de ses albums en sont probablement l’une des plus grandes forces et alimentent un sentiment de proximité et de sympathie entre ses personnages et le lecteur.

C’est donc à la découverte de cette œuvre composée de pas moins d’une vingtaine de bandes dessinées que vous invite cette 49e édition du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême, et plus particulièrement Sonia Déschamps et Augustin Arrivé au commissariat, et Marie Corbin à la scénographie.

L’exposition s’ouvre sur les récits de voyage de l’autrice. Tout d’abord Transat, publié en 2009 dans la jeune collection Shampooing des éditions Delcourt, alors dirigée par nul autre que Lewis Trondheim. On y suit l’épopée transatlantique de la jeune femme. Les premières planches sont chargées et regorgent d’informations sur l’expédition à venir. La narration glisse ensuite vers un mutisme volontaire et contemplatif d’une nature grandiose. Le trait d’Aude est alors plus lâché. Ces planches résonnent avec celles de Parenthèse Patagone (éd. Dargaud, 2015) où l’artiste opte pour un pur carnet de voyage, mais cette fois coloré à l’aquarelle !

Suivent, dans l’ordre, les planches de Fanfare (éd. Delcourt, 2011) d’abord, Idéal Standard (éd. Dargaud, 2017) ensuite. Dans le premier, l’autrice relate son expérience au sein d’une fanfare tout en s’autorisant quelques incursions fictionnelles. Aude Picault témoigne d’une expérience créative forte du fait de la forte décharge émotionnelle sur un laps de temps resserré.

Idéal standard, quant à lui, témoigne du poids de l’imagerie du couple idéal sur nos consciences et relations sociales. Elle nous raconte avoir eu des difficultés à trouver un service à même de l’accueillir bien que cela soit nécessaire car elle estime son expérience personnelle insuffisante au traitement du sujet en question. Elle travaille alors à partir de notes et réalise des dessins d’observations qu’elle qualifie de "très académiques" plutôt que des photographies pour redessiner ensuite. L’artiste nous explique parvenir à capter plus par le dessin que la photo, notamment concernant l’ambiance, les ressentis et émotions. Avec ces deux albums, Aude Picault continue de croquer le réel, tout en enrichissant son propos d’une dimension sociale auparavant plus discrète.

Et cette dimension sociale, voire critique, se retrouve dans son dernier album, Amalia (éd. Dargaud, 2022) dont vous pourrez admirer quelques planches et travaux préparatoires. Cette anticipation sur fond de pandémie agricole traite de la charge mentale et de l’injonction à produire. À son propos, nous vous invitons à lire la chronique de Thelma Susbielle parue en janvier dernier dans nos colonnes.

C’est à la Aude autobiographe que vous serez confrontés en poursuivant votre visite avec les planches de Moi je, récemment republié en intégrale aux éditions Dargaud et Papa, album cathartique publié par L’Association en 2006 à propos du suicide de son père. À l’époque, Aude dessine par besoin, et ces planches réalisées au rotring n’étaient pas destinées à la publication. Elle faisait durer chacun de ses dessins en démultipliant les petits traits, pour ne pas arrêter, pour ne pas laisser les images s’échapper. Elle a donc été très étonnée lorsque JC Menu a accepté de la publier.

Viennent ensuite les travaux collectifs réalisés au sein de Chicou chicou que nous évoquions plus haut, et auxquels font face les strips de L’Air de rien (éd. Dargaud, 2017) prépubliés dans le journal Libération. Ce travail au format strips a permis à Aude de s’essayer à une narration plus contrainte et à une productivité plus régulière que ceux à quoi elle était habituée.

Enfin, l’exposition se clôture sur une pièce cachée derrière un rideau, "interdite aux puceaux" lit-on, dans laquelle vous pourrez observer les planches de Comtesse et Déesse, deux bandes dessinées réalisées pour le compte de la collection BD-Cul, alors publiée au sein des éditions Les Requins marteaux. Respectivement 1er et 20e numéros de la collection, il ressort de ces deux albums un engagement clair en faveur d’une sexualité sans tabou et plus égalitaire. L’artiste nous confiait avoir été ravie, à l’époque en 2010, d’être sélectionnée parmi la cinquantaine d’auteurs en lice pour réaliser le tout premier album de la collection. Un honneur d’ailleurs relevé de manière originale puisque rappelons-le, Comtesse est une bande dessinée pornographique entièrement muette !

Vous l’aurez compris, en éludant la chronologie de l’œuvre de l’autrice pour se concentrer sur sa diversité, l’exposition Sous la plume d’Aude Picault permet aux visiteurs de dresser un cheminement artistique et créatif logique et cohérent à travers bientôt vingt ans de bande dessinée. La scénographie sobre qui l’accompagne permet ainsi la mise en lumière méritée des planches d’Aude Picault dont l’œuvre est en constante évolution et surprend régulièrement. À voir !

(par Thomas FIGUERES)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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