"Amalia", album éminemment politique et optimiste d’Aude Picault

Depuis une bonne quinzaine d’années, Aude Picault égrène les albums au style de plus en plus abouti. Elle y explore souvent l’ordinaire et l’intime des femmes sous un prisme politique et féministe.

Dans Idéal Standard, édité chez Dargaud (2017), elle évoquait le quotidien des femmes contemporaines : leurs désillusions, leur rapport contradictoire au couple et à la maternité. Amalia est son onzième album, et certainement le plus engagé. Féministe certes, mais également écologiste. Aude Picault se risque à un genre nouveau : le récit d’anticipation dystopique.

Amalia, mère de famille recomposée et travailleuse acharnée, veille sans répit : Karim ne doit pas être en retard au travail, les déchets doivent être bien triés, la maison doit être propre et rangée, les filles doivent arriver à l’heure à l’école... Un quotidien que beaucoup de femmes d’aujourd’hui connaissent. Mais cela se déroule sur une toile de fond dystopique où une maladie des blés se répand alors que la monoculture de la céréale subit une superproduction. La radio, que Karim écoute sans cesse, nous fait parvenir les nouvelles de l’extérieur, peu réjouissantes...

© Aude Picault / Dargaud

La novlangue de la startup nation s’est répandue : les pesticides sont devenus « stimulants », les additifs « améliorants », on fait des réunions dans la « meeting boost box », on réduit le personnel en justifiant « vous devez être souple, on croit en vous », les employés doivent remplir des questionnaires de santé au travail... Bref, Aude Picault nous plonge dans ce futur proche tellement semblable à notre présent qu’on n’a aucun mal à s’y projeter.

Chaque jour, Amalia s’épuise un peu plus. Finalement, le diagnostic du médecin est clair « Intolérance au rendement » : l’hyperproductivité est reconnue comme une pathologie sur laquelle il est possible d’agir. Irréalisable pour Amalia dans le contexte de sa vie quotidienne. La décision de partir en famille à la campagne pour quelques jours va tout changer…

Effectivement, l’héroïne est submergée par la charge mentale, mais également par le travail du care (ce travail presque invisible et non rémunéré qui consiste à prendre soin des autres). L’autrice soulève de nombreuses questions quant à la parentalité : comment être à l’écoute de son enfant quand on court partout, quand on est soi-même englué dans des problématiques professionnelles et de couple ? Comment peut-on être performante sur tous les fonts ?

© Aude Picault / Dargaud

Aude Picault nous parle aussi de cette addiction contemporaine : le téléphone et les écrans. Elle met en lumière cette problématique chez les jeunes notamment, spécialement impliqués dans cette course aux likes et aux abonnés, qui peut vite devenir nocive. Une difficulté à laquelle font face la plupart des parents aujourd’hui, qui ne semble pas avoir de solution... pour le moment.

© Aude Picault / Dargaud

L’album se clôt sur une ouverture positive. Il s’inscrit dans ces récits collectifs qui réinventent un futur où l’espoir est permis. Cette histoire, qui aurait pu être défaitiste met en valeur des comportements, propose des alternatives et même des solutions peut-être...

La lecture est très agréable et fluide. Se succèdent planches rythmées et illustrations plus contemplatives. Une forêt luxuriante du carbonifère contraste avec la monoculture du blé, héritée du néolithique. C’est un album qui réussit avec brio à lier une intrigue universelle, intime et politique. Accessibles et nécessaires, les 148 pages sont vite englouties.