Couacs au Mont-Vérité - Par JC Menu - Dargaud

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Connu comme éditeur (très) exigeant, théoricien (très) critique et lecteur (très) passionné, Jean-Christophe Menu est avant tout auteur de bande dessinée. Il est le créateur notamment du Mont-Vérité, dont les moines et autres personnages fantaisistes semblent doués d'une vie propre. Ils trouvent avec "Couacs au Mont-Vérité", paru en 2021 chez Dargaud et en sélection au FIBD 2022, leur point d'orgue, plein d'humour, de références et d'un verbe inventif.

JC Menu tient depuis le début des années 1990 une place de choix dans la paysage de la bande dessinée francophone. Co-fondateur de L’Association, avec Stanislas, Mattt Konture, Killoffer, Lewis Trondheim, David B. et Mokeït en mai 1990, il avait déjà publié chez Futuropolis et multiplié les contributions dans le fanzinat. Il devient rapidement la figure la plus marquante, catalysant les prises de position, de la bande dessinée alternative qui émerge en réaction à l’apathie des années 1980. Son radicalisme et son expression sans concession lui sont reprochés, alors qu’il s’est construit comme grand lecteur de Spirou et de la bande dessinée franco-belge en général.


Le Livre du Mont-Vérité © JC Menu / L’Association 2004

Il y a eu les combats de L’éprouvette, les polémiques par médias interposés - ActuaBD en a pris sa part - et les divisions, y compris au sein de L’Association. La crise du tournant des années 2010 est maintenant loin. Les esprits se sont apaisés. Menu a créé L’Apocalypse, aujourd’hui en sommeil faute de finance et de temps pour redémarrer, et s’est lancé dans divers projets de création plus personnels. Un ouvrage autobiographique, Krollebitches (Les Impressions Nouvelles, 2017), raconte ses années de jeunesse, sa découverte de la lecture, son amour immodéré pour la bande dessinée, ses premiers pas en tant qu’auteur. Et il est revenu à ce monde, dont il est l’inventeur et qu’il affectionne tant : celui du Mont-Vérité.


Couacs au Mont-Vérité (dessin préparatoire) © JC Menu

Ce monde est en expansion discontinue depuis le milieu des années 1990. Organisé autour d’un monastère abritant sept moines portés sur la dispute et le vin millésimé, il subit gags et mystères sous l’œil omniscient de la Mune et la morgue un poil misanthrope de la Sphynge. Il n’est pas évident de s’y retrouver. La première histoire, Craques au Mont-Vérité, date de 1994 et d’un collectif paru aux éditions Autrement. Le Livre du Mont-Vérité, sorti chez L’Association presque dix ans plus tard, permet de faire le point en donnant accès à tous les épisodes parus auparavant. Mais il y en a eu d’autres depuis, dans la collection Patte de mouche de L’Asso, chez Arbitraire et L’Apocalypse.


Planche storyboardée - Couacs au Mont-Vérité © JC Menu


Page finale - Couacs au Mont-Vérité © JC Menu / Dargaud 2021

Couacs au Mont-Vérité est à la fois la continuité et le sommet de cette sorte de saga. Un grand œuvre paru chez Dargaud. Une contradiction ? L’idée ne tient pas, il suffit de lire Krollebichtes pour le comprendre. JC Menu ne s’est jamais élevé contre la bande dessinée franco-belge en soi, mais contre ce qu’elle a pu devenir, contre ses dérives académiques et industrialo-commerciales - elles ne sont pas terminées, n’est-ce pas Franquin ? - et contre une image réductrice et infantilisante, longtemps dominante, de la bande dessinée. Lui a toujours lu et aimé les « classiques », et Couacs en est une nouvelle preuve. Un coup d’œil à l’ouvrage permet vite de s’en rendre compte. Le dos et la reliure, le format et la pagination - un « 64CC » - et même la composition et la maquette de la couverture : tout renvoie au franco-belge historique - davantage Dupuis que Dargaud d’ailleurs.


Couacs au Mont-Vérité (dessin préparatoire) © JC Menu

Que raconte Couacs au Mont-Vérité ? Inutile de se reporter au résumé fourni par l’éditeur : il est succinct et passe à côté de l’essentiel. On peut tenter d’énumérer les personnages, les péripéties, les références, les traits d’humour. On peut insister sur les perturbations apportées par les éléments extérieurs au Mont-Vérité. Sur les parallèles avec notre monde contemporain. Sur les mises à distance et mises en abymes qui frôlent le « méta ».


Couacs au Mont-Vérité (dessin préparatoire) © JC Menu

Il faut surtout revenir aux bases, comme l’auteur lui-même le fait : Couacs au Mont-Vérité est avant tout un grand plaisir de lecture, plaisir des dialogues ciselés et savoureux, des personnages comiques et fantasques, des dessins vifs et percutants, des couleurs - réalisées entièrement au marker et à la gouache ! - franches et lumineuses.

JC Menu se place sur les traces de George Herriman, de Franquin, de F’Murrr, de Fred, de Mandryka. Il le fait sans copier, sans singer, et sans prétention. Chacun a son style, chacun nourrit son propre imaginaire. Mais il y a une communauté d’esprit, notamment dans cet art du pas de côté, de l’absurde légèrement grinçant, de l’envie d’entretenir une forme de naïveté regrettée. Et une même façon d’élaborer un monde qui paraît totalement indépendant, animé de son propre souffle, presque au corps défendant de l’auteur, comme une projection non maîtrisée de son intériorité, intelligible par tous et néanmoins irréductiblement mystérieuse.