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Bicentenaire de la mort de Napoléon (1/2) : les intégrales

Par Charles-Louis Detournay le 5 mai 2021                      Lien  
Deux cents ans après sa mort, la popularité de Napoléon n'a pas faibli, il a même gagné en reconnaissance si l'on en considère l'effet médiatique et la masse des ouvrages qui lui sont consacrés. La bande dessinée ne fait pas exception à la règle. Pour l'illustrer, analysons les récentes intégrales qui viennent de paraître

Comme les médias le claironnent depuis plusieurs jours, c’est le 5 mai 1821 que l’empereur Napoléon rendit son dernier soupir dans son île-prison de Sainte-Hélène. Est-il décédé d’une intoxication à l’arsenic (une hypothèse de plus en plus contestée par les spécialistes et les experts), ou plus vraisemblablement d’une raison naturelle (cancer à l’estomac, affection du foie) ? Ces questions ne trouveront sans doute jamais de véritables réponses, et ne font d’ailleurs que rajouter un peu d’aura au premier Empereur des Français.

Si la Fondation Napoléon recense plus de 110.000 ouvrages consacrés de près ou de loin à l’Empereur, la bande dessinée n’est pas en reste, comme nous avions déjà pu le montrer lors de notre dossier consacré il y a six ans au bicentenaire de la Bataille de Waterloo.

Bicentenaire de la mort de Napoléon (1/2) : les intégrales
Uderzo et Goscinny parodiant la bataille de Waterloo décrite par Victor Hugo dans "Astérix chez les Belges" (1977)
(c) Hachette

Les lecteurs désireux de découvrir de précédents albums consacrés au général corse sont invités à consulter ces quatre articles assez complets. Quant au dossier d’aujourd’hui, nous allons le consacrer aux récentes parutions, qu’il s’agisse d’intégrales dans cet article-ci, ou de deux nouveautés dans la suite que nous lui donnerons.

Le Général Bonaparte avec Arno

Au cas où vous l’ignoreriez, la carrière de Jacques Martin ne s’était pas uniquement concentrée chez Casterman. Ainsi, les premiers Lefranc, Jhen [1] et Alix commencèrent au Lombard avant d’intégrer rapidement le catalogue tournaisien. Ils furent suivis par les divers Voyages d’Orion, Kéos et autres curiosités qui intégrèrent également le catalogue de Casterman par la suite.

La seule exception ? « Arno », qui raconte les péripéties d’un musicien italien pendant la période napoléonienne. Six tomes furent publiés chez Glénat en albums à partir de 1984 jusqu’en 1997. Par la suite, la série, assez isolée dans le catalogue grenoblois ne connut plus de réédition, excepté une intégrale des trois premiers tomes en 1999, de quoi la faire glisser doucement dans les limbes de l’oubli, au grand dam de Jacques Martin lui-même, comme il nous l’expliquait quelques semaines avant son décès.

Aussi est-ce avec plaisir que nous accueillons le premier recueil de cette intégrale d’Arno, tout d’abord car elle remet au goût du jour ce qui reste certainement pour ce premier cycle l’une des plus intéressantes séries de Jacques Martin. Et puis parce que la réunion de ces trois premiers tomes permet de former un arc qui prend tout son sens, tant narratif que graphique, en raison du fait que c’est André Juillard qui en est le dessinateur, avant qu’il ne cède sa place à Jacques Denoël pour les trois volumes suivants.

Dès la première planche de la série, le jeune Arno rencontre Napoléon
Arno - Par Juillard & Martin - Casterman

Si on fait exception des couleurs du premier tome, un peu datées, Arno n’a rien perdu de sa pertinence et de son intérêt. Il est tout d’abord passionnant d’évoluer dans les pas de du futur Empereur, que cela soit lors de sa résidence à Venise ou lors de la campagne en Italie. Les attentats fomentés par ces conspirateurs qui portent un pique tatoué sur le corps (quelques années avant XIII...) illustrent bien comment Napoléon devait se méfier de tout et de tous.

Après les beautés de la Toscane, Juillard et Martin entraînent le lecteur dans les sables d’Égypte, en suivant le général Bonaparte. Créée pour Vécu, un magazine plus adulte que Tintin, Jacques Martin laisse plus de latitudes à ses personnages. Sous le dessin de Juillard, rarement les récits de Martin n’auront été aussi sensuels et personnels. La grande Histoire s’éloigne ainsi progressivement, au profit du héros en lui-même et ce qu’il ressent. La conclusion de cet arc se déroule dans la campagne anglaise, des décors que Juillard va apprendre à apprécier avant de vouloir y faire revenir à plusieurs reprises Blake et Mortimer.

Seul regret : l’absence d’un dossier (malgré ce que mentionnent erronément les sites de vente en ligne), qui aurait pu apporter un éclairage complémentaires sur cette très belle page de la bande dessinée franco-belge. Mais la nouvelle couverture de Juillard, et le plaisir de profiter du récit dans un grand format compensent largement ce bémol. Espérons que cela ne soit que partie remise pour la prochaine réédition.

Une rencontre des plus intenses !
Arno - Par Juillard & Martin - Casterman

Le Consul Napoléon avec Double Masque

Autre ambiance pour ce second récit romancé, avec pour la première fois en intégrale, la totalité des six tomes de Double Masque de Jean Dufaux & Martin Jamar. Même s’ils sont composés de diverses enquêtes et intrigues, l’intégrale parcourt tout la période consulaire de Napoléon, de sa nomination au sacre de l’empereur.

À six reprises, nous vous avons loué les qualités de cette série (voir les liens en bas de cet article). Pour résumer, Dufaux campe sur une solide charpente historique des récits fantasmatiques, entre réalité et fantastique. Un équilibre bien dosé qui tient en haleine, alors qu’on apprend mille et un détails sur le quotidien de Paris et de Napoléon.

Côté dessin, Martin Jamar avait déjà fait évoluer son héros François Jullien dans la période de l’Empire. Plus de dix ans plus tard, son dessin a gagné en force d’évocation et en détails. Porté par le découpage de Dufaux, il livre de superbes vues de Paris, ainsi que de très belles séquences comme celle du sacre de Napoléon qui vient clôturer la saga. Nous reviendrons d’ailleurs prochainement sur cette parution en intégrale avec l’interview de son scénariste.

"Double Masque" : © Jamar, Dufaux & Dargaud.

Une première biographie plus classique...

Les lecteurs amateurs de dessin académique et d’une évocation humaine et minutieuse du destin hors norme de Napoléon se tourneront vers Casterman qui, en même temps que le recueil d’Arno décrit ci-dessus, vient de publier l’intégrale des quatre tomes de Napoléon Bonaparte présentés précédemment dans la collection Jacques Martin présente

L’approche se veut rigoureuse, et pleine de détails. Le scénariste (et musicien auteur-interprète) Pascal Davoz évoque aussi bien la bataille de boules de neige de l’école militaire de Brienne sans évoquer (comme le fit André Osi) où Napoléon faisait la première démonstration de son redoutable sens tactique que la fameuse posture de Napoléon, la main droite dans l’ouverture de sa veste...

Que cela soit dans l’évocation de ses amours, la perte de ses proches, ses bonheurs ou ses désillusions, les auteurs illuminent le personnage. La part dédiée à la jeunesse de l’empereur crée un lien avec le lecteur, qui va l’accompagner pendant le reste de la lecture. Plus que les batailles, ce sont le sens de l’initiative et l’intelligence du jeune homme qui sont développées dans au début du récit.

Napoléon Bonaparte - Par Torton & Davoz (Casterman)

Cette réussite éditoriale se prolonge dans les albums suivants, dans un judicieux équilibre de batailles, de politique et de moments plus intimes. Le talent et l’expérience de Jean Torton ne sont pas étrangers à cette réussite, même si certains visages sont parfois porteurs d’une expression bizarre.

En dépit d’un scénario parfois hagiographique et de représentations de batailles très "propres", cette biographie demeure aussi complète que passionnante, Davoz tordant le cou à certaines légendes tenaces comme celle sur la question de l’esclavage, Napoléon regrettant d’avoir succombé aux pressions de reprise partielle de l’esclavage avant de l’abolir complètement en 1815. Le scénariste ne dissimule pas le doute qui plane sur la thèse de l’empoisonnement à l’arsenic.

Napoléon Bonaparte - Par Torton & Davoz (Casterman)

...et une seconde biographie d’Ils ont fait l’Histoire

Les lecteurs qui cherchent un dessin et une mise en page plus modernes pourront résolument se tourner vers l’intégrale de la trilogie judicieusement intitulée Napoléon chez Glénat et Fayard . Fort de leurs récents succès, les éditeurs s’appuient sur l’un des plus érudits les plus connus parmi les spécialistes de Napoléon, à savoir Jean Tulard associé à Noël Simsolo.

Pourtant, le récit déçoit dans sa première partie : son évocation, toute en flashbacks, de la jeunesse de Bonaparte est trop courte pour développer utilement la construction du personnage, et en même temps trop longue pour une simple introduction. Heureusement, le rythme s’améliore par la suite, proposant une vision pleine d’acuité du parcours du général, entre batailles et défaites.

L’intérêt culmine lorsque Napoléon prend la parole devant ses hommes lors de la campagne d’Italie, où l’on retrouve la stature du grand homme, et c’est finalement cette authenticité qui forge l’âme du récit. En effet, pour résumer cette vie romanesque en 132 pages, les auteurs ne choisissent de ne détailler ni les batailles, ni les stratégies de l’Empereur. Ils préfèrent suivre les événements marquants de sa vie, ainsi que la politique qui en découle.

Napoléon - Par Simsolo, Fiorentino & Tulard (Ils ont fait l’Histoire - Glénat/Fayard)

Après la campagne d’Italie et les négociations avec le Directoire, l’Égypte est la deuxième étape de sa conquête du pouvoir. Les explications sur le système des divisions militaires placées en carré sont aussi fascinantes que bien amenées. Mais le peu d’espaces consacré au personnage de Napoléon le déshumanise (on ne parle pas ou peu de ses amours...). Ce sont finalement les batailles égyptiennes qui font vibrer le récit, à l’aide de quelques belles scènes militaires.

Le dessinateur Fabrizio Fiorentino ne ménage effectivement pas sa peine. Si Napoléon reste toujours stoïque, même lorsqu’il lui faut abandonner ses blessés ou mater les révoltes, chaque moment d’action bénéficie soit d’un cadrage acrobatique, soit d’un effet prononcé. Un choix artistique qui ancre la trilogie dans notre époque, mais qui présente parfois Napoléon comme un super-héros.

Napoléon - Par Simsolo, Fiorentino & Tulard (Ils ont fait l’Histoire - Glénat/Fayard)

Dans quelques heures, lire la suite de cet article : Bicentenaire de la mort de Napoléon (2/2) - les nouveautés

(par Charles-Louis Detournay)

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Lire nos articles du dossier consacré au bicentenaire de la Bataille de Waterloo :
- Waterloo - La bataille de la bande dessinée (1/4)
- Waterloo - La Bataille est en librairie ! (2/4)
- Waterloo - Napoléon sur tous les fronts (3/4)
- Waterloo - Napoléon, au-delà du mythe (4/4)
Ainsi que nos chroniques :
- La Bataille : tomes 1, 2 et 3
- Hertz, tomes 1, 3.et 4
- Double Masque : les tome 1, tome 2, tome 3, tome 4, ainsi que les interviews de Martin Jamar et de Jean Dufaux

[1La série Jhen commença sous le nom de Xan au Lombard.

 
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