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Bilal : La prophétie du Bug [PODCAST]

Par Jérôme BLACHON Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 24 mars 2022                      Lien  
L'auteur d'anticipation (roman, BD, cinéma...) a-t-il un rôle social ? Certainement s'il s'agit de nous faire réfléchir sur un futur proche possible : « Voici ce qui pourrait se produire si nous poursuivons dans cette voie ». C'est une posture qui convient très bien à Enki Bilal, depuis des années, et c'est aussi là où on l'attend. Le troisième tome de Bug nous permet d'appréhender un peu mieux sa vision d'un futur proche aux accents prophétiques.

2042. Un nuage composé de milliards de petits cafards bio-cybernétiques extraterrestres tourne autour de la lune. Ils ont décimé l’équipage de la mission Lifedust One de retour de la planète mars, à l’exception du pilote Kameron Obb, chez qui la petite créature a préféré fusionner avec son hôte que le tuer, pour accomplir un mystérieux dessein.

Ce bug, qui ressemble à un virus, en entraîne un autre, global au niveau mondial : l’arrêt de tous les dispositifs numériques et la disparition de toutes les sauvegardes, du plus gros serveur à la plus petite clef USB, entraînant le monde dans un chaos qui semble inévitable.

Effet secondaire de son compagnon parasite, Kameron Obb hérite de toute la mémoire numérique planétaire qui a disparu, une sorte de savoir universel comprenant également tous les codes numériques, y compris les plus top secret. De retour sur terre, il devient donc logiquement l’homme le plus recherché par tous les gouvernements, lobbies, mafias...mais aussi, pour certains, un nouveau Dieu ou tout au moins son représentant. Pour Obb, il s’agit avant tout de retrouver sa fille, Gemma. Attention, la suite contient des informations qui peuvent gâcher le plaisir de la lecture si vous ne connaissez pas les deux premiers tomes.

Bilal : La prophétie du Bug [PODCAST]
Kameron Obb en nouveau Tsar (bleu) ? Il en aurait le pouvoir. Le veut-il ?
© Bilal / Casterman

Si les premiers tomes avaient des accents de triller avec l’omniprésence d’un tueur psychopathe qui voulait s’en prendre à Gemma et tuer Kameron, sa mort à la fin du second tome donne une tout autre dimension à ce troisième opus, beaucoup plus géopolitique.

Interviennent ainsi de nouveaux personnages à la tête d’une force politique nommée Staller (nom composé de Staline et de Hitler), revendiquant le retour des idéologies les plus dictatoriales du XXe siècle, dans un magma informe populiste et démagogique.

« La mémoire ressurgit de façon violente avec la guerre, avec un autocrate qui est en train de virer dictateur. Évidemment, je parle de Poutine et de cette obsession qui semble l’avoir frappé ou qu’il traîne depuis longtemps. Nous les Occidentaux, on n’a pas su la lire, l’analyser, et on l’a laissé grandir, je le pense sincèrement, en humiliant un peu la Russie. L’Union Soviétique a été vaincue par le Capitalisme avec la chute du Mur. Comme je viens de l’Est, je rêvais à ce moment-là que l’Europe soit raccrochée à la Russie, que la Biélorussie et la Russie deviennent parties intégrantes de l’Europe. Je trouvais cela normal et j’aimais l’idée que la culture russe vienne un peu plus s’installer en Europe occidentale. J’ai compris dans les années 1990 que subsistait cette idée de la Russie comme un pays vaincu. L’Occident, les Anglo-saxons en particulier, sont très russophobes, c’est viscéral. C’était lié à une guerre idéologique avec l’Union soviétique. Certains Occidentaux aimaient l’idée de garder cette situation de Guerre Froide larvée. Lorsqu’arrive Poutine dans les années 2000, on sait d’où il vient, du KGB, ce n’est pas anodin. Quand il a commencé à modifier la constitution pour se préserver le pouvoir le plus longtemps possible, c’était une alerte déterminante que l’on n’a pas assez pris en compte. »

(citation extraite du podcast d’ActuaBD)

L’objectif du bug dans le corps de Kameron se fait plus pressent, en intervenant matériellement sur l’environnement, mais pas plus clair, et le héros poursuit un chemin chaotique, à la fois acteur et témoin de sa propre histoire, comme peut l’être un Corto Maltese, avec qui il partage finalement bien des points communs.

Enki Bilal nous propose une réflexion complexe sur un avenir possible, fait de retours de ce que le XXe siècle nous a donné de plus nauséabond, et bien entendu sur notre dépendance au numérique. Lorsque le corps est composé d’organes cybernétiques, nous sommes forcément dépendants de l’univers numérique. Mais également sur l’usage des médias qui, en recréant des circuits de diffusion hertziens, peuvent continuer à émettre. C’est ainsi que certains « experts » sont les porte-paroles d’idées opposées aux leurs, pour mieux les décrédibiliser le moment venu.

L’auteur brouille également les pistes en donnant à Kameron Obb de curieux rêves où il peut être à la fois en contact avec de tristement célèbres dictateurs du passé comme avec la nébuleuse de bugs qui s’approchent de la Terre.

Un cauchemar avec Lénine et Trotsky. De quoi donner la chair de poule à notre héros
© Bilal / Casterman

Bilal a déclaré à plusieurs reprises qu’il connaît la fin de son histoire, mais qu’il ne sait pas quels chemins son héros va emprunter pour y arriver. D’ailleurs, l’album devait être, dans sa première mouture, un one-shot de 180 pages avant de devenir, maintenant, une série prévue en cinq tomes. Autant dire que cela peut encore changer.

« Forcément, je regarde vers l’avant, la prospective. C’est mon moteur, mon envie, ma passion, cela m’intéresse plus que le passé, mais je me sers du passé pour composer le futur. D’où l’histoire de la mémoire : on ne peut pas s’en passer, au contraire. Mon rôle, il est de donner mon avis. Je participe en faisant cela à une espèce de dialogue global que la culture peut véhiculer. »

(citation extraite du podcast d’ActuaBD)

On sent d’ailleurs bien le plaisir que l’auteur prend à jouer avec son personnage et à l’entraîner d’un bout à l’autre du continent eurasiatique, en l’affublant dans ce tome d’un manteau en fausse fourrure rose avec une capuche à tête de lapin, manière de désacraliser ce personnage omniscient mais aussi de bien le distinguer de tous ceux qu’il rencontre, plus ou moins recommandables (surtout moins). Et ce n’est pas le cliffhanger dans lequel il le place à la fin du tome qui nous démentira.

Le chef du groupuscule Staller... et le nuage de bugs qui se rapproche de la Terre
© Bilal / Casterman
Une image dessinée avant la rencontre Poutine/Macron. Bilal aurait un don de voyance ?
© Bilal / Casterman

(par Jérôme BLACHON)

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782203202283

A voir : l’exposition de dessins et d’œuvres d’Enki Bilal à l’occasion de la sortie de cet album au musée de l’Homme à Paris, jusqu’au 13 juin 2022

A lire : la chronique du premier tome
Le projet d’adaptation de la série pour la télévision

Photos en médaillon © : D. Pasamonik (L’Agence BD)
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