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Dupuis rachète Graton Éditeur

Par Charles-Louis Detournay le 5 octobre 2020                      Lien  
Près de quarante ans après sa fondation, Graton Éditeur a été racheté juste avant le confinement, de quoi passer sous le radar de l'actualité. Philippe Graton revient avec nous sur les raisons de cette vente, tandis que Stéphane Beaujean évoque le futur sous le giron de la maison de Marcinelle.

Publié au Lombard depuis ses débuts en album, Jean Graton avait décidé de quitter la maison bruxelloise en 1979 pour rejoindre successivement deux autres éditeurs (Novedi, notamment sous la marque Fleurus en France) et finalement créer sa propre structure en 1982 avec son fils Philippe Graton afin de répondre parfaitement à ses propres attentes.

La maison d’édition a publié quelques dizaines d’albums : des Michel Vaillant bien entendu, mais aussi les Dossiers Michel Vaillant depuis 1995, Julie Wood, Les Labourdet, l’intégrale des Belles Histoires de l’Oncle Paul réalisées par Jean Graton ainsi quelques récits inédits ou moins connus.

Dupuis rachète Graton Éditeur
Jean Graton au début des années 1960
Photo : DR.

En 2010, Graton Éditeur a signé un contrat de partenariat avec les Éditions Dupuis, dans l’objectif de redynamiser leur série-phare. Une nouvelle équipe s’est alors constituée pour lancer La Nouvelle Saison de Michel Vaillant. Le nouveau duo de scénariste constitué de Denis Lapière et Philippe Graton a alors insufflé une nouvelle fougue à la série, en développant les drames, les soucis de l’entreprise, mais aussi les nouvelles technologies de l’automobile portées par la troisième génération de la famille Vaillante.

Un rachat sans publicité

Fort de ce nouvel élan éditorial, et de l’entrée des cases de Jean Graton dans le domaine de l’art via les Michel Vaillant Art Strips, Philippe Graton a donc décidé en 2019 d’entamer les démarches afin de revendre Graton Éditeur à une structure qui pourrait garantir la pérennité de l’œuvre entamée par Jean Graton. Comme Philippe Graton nous l’a expliqué dernièrement, en recontextualisant tout d’abord le début de la collaboration avec Dupuis : « Mon père et moi avons donc créé ensemble Graton Éditeur en 1982. Je m’en suis occupé seul depuis ce temps. Pendant que mon père continuait à créer ses œuvres, je les éditais et tentais de développer tout ce qui ne l’avait pas été par les éditeurs précédents : autres collections, intégrale, série animée, film pour le cinéma, modèles réduits, etc. C’était un travail passionnant mais énorme pour une petite structure familiale. En 2010, j’ai confié aux éditions Dupuis la partie édition/commercialisation dans le cadre d’un contrat de partenariat de dix ans. Le but était de me dégager du temps pour la création (nouveaux scénarios) et puis, surtout, un "gros" éditeur a plus de poids pour mettre les albums en rayons, ce que notre petit label indépendant avait de plus en plus de mal à faire. »

Jean et Philippe Graton dans les années 1990
Photo : DR.

Malheureusement, ce partenariat n’a pas répondu à toutes les attentes du clan Graton. Dès lors, que faire ? Relancer un autre partenariat avec une autre maison d’édition ? Tout reprendre en interne ? Ou vendre ? Voilà les questions que se posaient Philipe Graton : « À l’issue du partenariat de dix ans, il fallut prendre une décision. Le partenariat n’avait pas tenu ses promesses, Graton Éditeur était en perte depuis trois ans, notamment en raison de l’abandon des ventes du fonds (70 titres représentaient la moitié de notre chiffre d’affaire et nous avait permis, jusque-là, de garder la tête hors de l’eau). Une solution était de tout réinternaliser et de me retrousser les manches pour repartir comme en 82. Sauf que depuis, le monde avait changé. En 1982, il sortait 500 nouveautés BD par an, alors qu’aujourd’hui il en sort 5000. Sans un groupe puissant qui décide d’investir pour remettre une série au premier plan, comme ce fut fait pour "Blake & Mortimer", "Michel Vaillant" n’aurait eu aucune chance de se trouver en bonne place dans les rayons. Et un grand groupe d’édition n’investira que dans une série qui lui appartient. Cela avait donc un sens que, comme Gaston Lagaffe avec Dupuis ou Astérix avec Hachette, Michel Vaillant quitte son petit garage privé pour rejoindre une écurie d’usine. Si Michel Vaillant (ainsi que "Julie Wood", "Les Labourdet", les "Oncle Paul",…) leur appartenait pour de bon, Dupuis et Media Participations mettraient le turbo sur la série…Vendre était donc le choix qui donnait le plus de chances à Michel Vaillant. Mon père et moi avons pris cette décision à deux. Ce ne fut pas facile, mais c’était le seul choix qui tienne la route. »

Enfin, rentraient dans l’équation les attentes personnelles, comme continue à l’expliquer Philippe Graton : « D’autres éléments sont entrés en ligne de compte : j’ai consacré trente ans de ma vie à Michel Vaillant. Je me suis donné à fond et je ne le regrette pas car c’est une œuvre prodigieuse qui méritait que l’on s’occupe d’elle le mieux possible. Mais j’ai laissé sur le bord de la route beaucoup d’autres projets, notamment d’écriture et de photographie, mon premier métier. J’avais envie de me libérer pour désormais m’y consacrer, ce que j’ai le bonheur de faire aujourd’hui. »

Philippe Graton et la Vaillante Grand Défi, 2018
Photo © Germain Hazard

Quel droit de regard reste-t-il au clan Graton ?

En regardant le procès-verbal de la réunion du conseil d’administration de Graton Éditeur de fin février 2020, on voit que les membres de la famille Graton ont laissé tous les pouvoirs à Dupuis. Philippe Graton précise : « Nous avons dû céder tous les droits, à l’exception du droit moral que nous conservons (ainsi que la Fondation Jean Graton). Nous n’avons donc plus aucun droit de regard sur les nouveaux albums et Dupuis dispose de la liberté de faire ce qu’elle veut avec les anciens albums également. Les équipes de Dupuis souhaitaient une totale liberté pour développer la série comme elles l’entendaient, sans entrave de notre part. Elles l’ont. Michel Vaillant est une œuvre unique qui ne connaît pas de concurrent et qui traverse les époques comme les modes. S’ils ne commettent pas d’erreur de pilotage, Michel Vaillant leur rapportera beaucoup de nouvelles victoires. »

Philippe Graton & Denis Lapière
Photo © Fabrice Berry / Auto Heores

Philippe Graton doit également arrêter de scénariser Michel Vaillant, comme il le faisait depuis 1994 : « Malgré le plaisir que j’éprouvais à ne plus scénariser seul. J’ai transmis à Denis mes "tables de la Loi", les bases que j’avais écrites pour la nouvelle saison de Michel Vaillant. Et puis nous avons quand même fait huit albums ensemble ! Denis peut continuer seul et comme c’est un scénariste de talent qui connaît la bande dessinée beaucoup mieux que moi, il a toute ma confiance. Plus globalement, tout l’univers, produits dérivés compris, a été vendu. Le succès des Michel Vaillant Art Strips et de leur concept haut-de-gamme intéressait d’ailleurs particulièrement Dupuis et Media-Participations. »

Dupuis reprend les rênes de l’écurie Vaillante

Stéphane Beaujean, directeur éditorial des Éditions Dupuis, nous confirme le nouveau rôle que va occuper Denis Lapière : « Denis va prendre probablement un poste de coordination plus important, afin d’assurer une forme de cohérence dans tous nos développements autour de la famille Vaillant. Benjamin Bénéteau qui dessine sur la seconde saison depuis le premier volume, s’est également investi progressivement dans l’écriture au côté de Denis. Ils s’entendent bien et je pense que cette formule n’a pas de raison de changer tant que les auteurs prendront du plaisir. »

Si nous n’avions pas beaucoup de doute sur l’avenir de La Nouvelle Saison de Michel Vaillant au sein de laquelle Dupuis s’était déjà considérablement investie, reste à savoir comment le pôle éditorial de Marcinelle va maintenant capitaliser au mieux l’univers dont ils viennent d’acquérir les droits.

Stéphane Beaujean, le nouveau directeur éditorial des éditions Dupuis
Photo : Céline Villegas / FIBD
Les derniers albums de la série se vendent à plus de cent euros/p.

Ainsi, nous appelons de nos vœux une intégrale des Labourdet, à savoir les aventures d’une famille scénarisée par Francine Graton, l’épouse de Jean Graton. En effet, ces derniers albums édités par Graton Éditeur se revendent à prix d’or chez les collectionneurs, au grand dam des passionnés. « C’est envisageable dans un avenir proche, mais pas encore au programme pour le moment », nous répond Stéphane Beaujean. En revanche, il envisage une exploitation plus ambitieuse de l’univers créé par Jean Graton, comme il nous l’a expliqué : « Nous avons beaucoup de projets sur lesquels nous réfléchissons en parallèle, mais rien n’est encore officiel. Assurément, nous espérons être capables de publier trois à quatre livres par an, dans un avenir proche, autour du sport mécanique, et autour de la Famille Vaillant. Nous réfléchissons également à des déclinaisons audiovisuelles et de nombreuses discussions vont dans ce sens. L’ambition est de pouvoir proposer des séries autour de Michel qui respectent les codes mis en place par Jean Graton, mais également de proposer des bandes dessinées aux langages, approches graphiques, et formats différents, afin d’initier de nouveaux publics à cet univers. Un exemple que je peux vous donner, de projet sur lequel nous réfléchissons sérieusement en ce moment, est celui d’un roman graphique sur les origines de l’entreprise Vaillant, et sur la jeunesse du père de Michel, Henri. Avec, en toile de fond, l’émergence et le développement des sports mécaniques en Europe. »

Philippe Graton, dans son studio à Bruxelles
Photo : DR.

Philippe Graton revient à la photo

Sans regret et en confiance, Philippe Graton a donc remis le destin des personnages de Michel Vaillant dans les mains de Dupuis. Qui ont après quelques mois de réflexion, envisagés déjà de belles pistes pour promouvoir cet univers. Quant à Philippe Graton, il nous explique ce qu’il va faire après s’être investi près de quarante ans auprès de son père et de ses créations : « Je vais continuer à raconter des histoires. Ce sera désormais avec des mots et des photos. Mon premier livre de photographie, "Carnets de la ZAD", est sorti fin de l’année dernière chez Filigranes Éditions et a déjà dû être réimprimé, ce qui est rare en photo et plutôt bon signe. J’ai exposé en Belgique, en France et au Japon où mes photos ont obtenu, cette année, un prix au "Tokyo Contemporary Art Center". Je continue donc à écrire et à photographier : deux prochains livres sont déjà en préparation, et mon "Wednesday Shot" est suivi par des abonnés de San Francisco à Moscou. »

« D’autre part, je vais enfin pouvoir m’occuper de la Fondation Jean Graton, que j’avais créée en 2009 pour protéger l’œuvre, les originaux, toute la documentation et les "outils" de mon père. Il faut maintenant que je trouve un lieu, de l’argent, des gens pour m’aider à organiser cela. Jean Graton a créé une œuvre qui nous dépasse, qui raconte l’aventure automobile du XXe siècle par l’ensemble de ses aspects (artistiques, techniques, industriels, sportifs, design, …). Michel Vaillant a inspiré leur vocation à des champions automobiles, des ingénieurs, des journalistes, des designers... Il n’existe pas d’équivalent. Cette œuvre prodigieuse doit être préservée et mise en valeur. Des passionnés comme Thierry Boutsen, Hervé Poulain, Luc Donckerwolke, Pierre Van Vliet et d’autres personnalités remarquables du monde automobile ont accepté de m’aider à cela et m’ont rejoint dans le conseil d’administration. J’ai donc peut-être pris mes distances avec la BD, mais je n’ai pas fini de courir ! »

Propos recueillis par Charles-Louis Detournay

(par Charles-Louis Detournay)

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Michel Vaillant Dupuis
 
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