Cet ultime tome s’ouvre sur une proposition de Marie-Josèphe à Marie-Antoinette : si cette dernière accepte de boire une bouteille entière d’eau souillée de la Seine, elle se chargera de la faire s’évader et lui permettra ainsi d’échapper à la guillotine. Au terme d’une séquence onirique dont Shin’ichi Sakamoto a le secret, dans laquelle il transpose le monde de l’ancienne reine de France dans un lycée japonais moderne, "l’autrichienne" décline cette offre.
Sur l’échafaud, assumant son statut de reine et de noble au sang bleu, elle fait face à la foule venue assister à sa mise à mort, à la guillotine elle-même, mais aussi à Marie-Josèphe en charge de son exécution. Symétrie quasi-parfaite avec la scène entre Louis XVI et Charles-Henri : c’est le deuxième grand adieu de la série, qui conclut une relation ambiguë, riche en attirance et en répulsion.
Cependant, la mort des deux souverains ne marque pas particulièrement l’avènement d’un monde plus juste et égalitaire. En effet, la Terreur souffle sur la France, et Marie-Josèphe, bien que bras armé de Robespierre, voit celui-ci se retourner contre elle : la désignant ennemie de la Révolution, comme beaucoup d’autres.
Le grand final met ainsi en scène l’exécution de Marie-Josèphe par Charles-Henri, un Sanson ôtant la vie d’un autre Sanson. Sans dévoiler le dénouement, celui-ci cristallise évidemment les enjeux de l’œuvre et le destin de la célèbre famille de bourreaux. D’un côté, Charles-Henri l’idéaliste qui n’a cessé de chercher un moyen d’échapper à son destin, mais deviendra ironiquement le plus sanglant membre de sa lignée par la Révolution. Et de l’autre, Marie-Josèphe l’impitoyable, refusant sa condition de femme, et qui, au contraire, embrassa avec ferveur, le destin des Sanson avec l’idée de changer le monde, en optant pour les intrigues et la violence.
Mêlant grande et petite histoire, ainsi que réalité et fiction dans une ambiance relevant à la fois du sacré et d’une sorte de « punk-rock » irrévérencieux, Shin’ichi Sakamoto a cherché à sublimer par la beauté les tragédies sanglantes et macabres d’une époque de grands changements. Le résultat fut aussi fascinant et troublant que les événements qu’il narra, en particulier grâce au point de vue de cette famille maudite des exécuteurs des hautes œuvres, les Sanson.
Très librement inspiré des faits historiques, Innocent tire donc sa révérence et se conclut en restant fidèle à ce qu’il a été : baroque, flamboyant et cherchant à percer le voile sanglant recouvrant le monde. Prisonniers de leur destin et des événements de leur temps, les différents personnages ont lutté jusqu’à leur dernier souffle sans jamais perdre la foi en un monde meilleur, bien que l’issue tragique soit inéluctable. Une œuvre puissante, singulière et incontournable.
(par Guillaume Boutet)
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Innocent Rouge T. 12. Par Shin’ichi Sakamoto. Traduction Sylvain Chollet. Delcourt/Tonkam, collection "Seinen". Sortie le 29 décembre 2021. 288 pages. 7,99 euros.
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