L’œuvre de Catherine Meurisse (qui sera reçue à l’Académie des beaux-arts le 30 novembre prochain) commence à être conséquente mais on peut d’ores et déjà identifier deux types de récits. Des albums plutôt autobiographiques, d’une part, et d’autres où l’autrice se met quelque peu en retrait pour nous transmettre sa passion de l’art, de la littérature ou ici de la philosophie. La frontière est malgré tout assez floue car dans l’autobiographie, Catherine Meurisse nous parle d’art et quand elle nous parle d’art, son personnage n’est jamais loin. C’est cette imbrication très réussie d’introspection et de volonté de vulgariser le savoir qui confère un style si particulier à l’autrice.
Dans Humaine trop humaine (l’allusion à Frédéric Nietzsche n’aura échappé à personne), Catherine Meurisse renoue en quelque sorte avec une veine plus documentaire qu’elle maîtrise à la perfection. Son principal talent dans ce domaine est de savoir croquer des personnages célèbres en seulement quelques traits avec une justesse de chaque instant. On sent la lectrice de Sempé, de Bretécher et même de Hergé car elle partage avec eux ce talent pour caractériser l’humain. Ses portraits de Deleuze, de Proust ou de Sartre sont vraiment hilarants, ils sont leur essence.
L’autre singularité délicieuse de cet album tient dans le choix des passages pertinents des œuvres des philosophes qu’il convoque. L’autrice n’essaye pas, comme c’est souvent le cas dans la vulgarisation en bande dessinée, d’être exhaustive mais plutôt de nous offrir une idée marquante de chacun de ses prestigieux invités prestigieux : Héraclite, Socrate, Kant... qu’elle aborde plupart du temps sur le mode de la dérision grâce à des saynètes très spirituelles et amusantes. On a aussi, en bas de la deuxième de chacune des doubles pages, un petit texte qui résume bien son intention et qui complète le gag. Cela crée souvent une envie de relire la page que l’on comprend parfois mieux après avoir lu l’explication.
Qu’est-ce qu’un bon album de vulgarisation ? C’est une bande dessinée qui nous donne envie d’approfondir le sujet après notre lecture. C’est le cas ici, Catherine Meurisse nous gratifie, comme elle l’avait déjà fait avec l’art et la littérature, d’une porte d’entrée parfaite dans le monde exigeant de la philosophie. Et comme Montaigne ou Gombrowicz, elle a raison de penser que la philosophie est une matière amusante et qu’elle aide à vivre.
(par Louis GROULT)
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