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Léo : « Antarès n’est qu’une projection réaliste du réchauffement climatique »

Par Nicolas Anspach Charles-Louis Detournay le 15 avril 2009                      Lien  
Cela fait une quinzaine d’année que {{Léo}} nous émerveille avec son bestiaire dans les {Monde d’Aldébaran}, une série développée en trois cycles qui compte douze albums. L’auteur brésilien qui a été révélé au grand public grâce à {{Rodolphe}} et à leur série {Trent}, développe une vision personnelle de la science-fiction : ses séries sont humanistes et écologiques.

Léo nous parle d’Antarès, le troisième cycle des Mondes d’Aldébaran, et de sa nouvelle série Terres Lointaines. L’auteur brésilien fourmille de projets. Avec Rodolphe, il s’apprête à publier une suite à Kenya et un one-shot qui sera dessiné par Antonio Parras. L’auteur ne se repose d’ailleurs pas sur ses lauriers, car il nous confie, en primeur, travailler sur un prélude aux Mondes d’Aldébaran.


Léo : « Antarès n'est qu'une projection réaliste du réchauffement climatique »

Comment vous viennent les idées de nouveaux cycles des Mondes d’Aldébaran ?

Pendant les six ou sept ans que je prends pour dessiner un cycle d’Aldébaran, ma tête commence à imaginer une suite. Par exemple, j’ai commencé à réfléchir au cycle d’Antarès lors du troisième album de Betelgeuse. Je me pose des questions : une autre planète ? Quelle planète ? Comment ? Pourquoi ? Quels problèmes vont-ils affronter ? Je savais que j’aurais terminé avec la Mantrisse. J’ai donc mis du temps pour élaborer ce nouveau cycle… Mon premier script demeure très ouvert : je sais là où je vais aller, mais j’ignore encore comment…

Dans le premier tome d’Antarès, on s’attarde enfin sur Terre, une vision plutôt pessimiste de son avenir !

Tout d’abord, je voulais donner de la consistance au récit. Il fallait que les lecteurs voient que les conditions sur Terre étaient dures, qu’il y fait froid et très pollué. En montrant les choses comme cela, cela renforce le concept de l’exode des humains. Je ne pense pas que ce soit une vision pessimiste, ce n’est qu’une projection réaliste du réchauffement climatique, du trou de la couche d’ozone et des autres phénomènes engendrés par l’homme !

La planche 1 de Antarès T2
(c) Léo & Dargaud.

Comment qualifieriez-vous la particularité de vos récits : plutôt écologique ou social ?

Le côté écologique vient sans doute des univers naturels que je crée, et du fait que mes personnages, dès qu’ils arrivent sur une nouvelle planète, reproduisent ce qu’ils ont fait sur Terre. Pour moi, le plus important dans mes histoires, ce sont les rapports humains et les bêtises des mes personnages.

À chaque fois, vous décrivez une société avec ses qualités et ses défauts. Une critique sous-jacente de notre actualité ?

J’ai commencé à réfléchir à Antarès lors la réélection du Bush aux États-Unis. J’ai été choqué et sidéré que ce mec, qui a fait tant de stupidités, soit réélu. Cela m’a effrayé, tout autant que l’aspect religieux qui l’entoure. De là provient l’influence des religieux, des rapports à la croyance et des dogmes dans Antarès. J’évoque d’ailleurs la guerre de religions sur Terre, dont la destruction de Notre-Dame de Paris en est le témoin.

La planche 2 de Antarès T2
(c) Léo & Dargaud

À la fin de vos cycles, vous donnez beaucoup d’explications. Y a-t-il une volonté de d’abord décrire la nouvelle planète, puis voir comment le petit groupe va interagir, pour enfin expliquer finalement le mystère de l’intrigue

C’est vrai que je donne des éléments épars pour rassembler le tout en fin de cycle, mais en réalité, lorsque j’écris, je ne planifie rien… Pourtant, j’aime apporter une réponse aux questions à la fin d’un long récit, car en tant que lecteur, je trouve que c’est frustrant de ne pas tout saisir en refermant un livre.

Le fait qu’Aldébaran, Betelgeuse et Kenya comportent cinq albums. Est-ce un hasard ?

Ni trop long, ni trop court, c’est le format idéal pour faire une histoire dense, sans mettre dix ans à la lire. C’est ce qu’on s’est également dit avec Rodolphe pour Kenya. Mais concernant Antarès, je préfère ne pas me donner de limite, car je me suis senti à l’étroit à la fin de Betelgeuse, et j’ai été obligé d’accélérer le rythme pour tout expliquer. Il manquait quelques planches. Je ne veux pas être obligé de refaire cela avec Antarès.

A chaque nouveau cycle, il y a de nouveaux instruments, de nouveaux moyens de locomotion que vous inventez … Vous vous creusez la tête pour les rendre le plus crédible possible ?

Oui, avec ma formation d’ingénieur, je recherche la crédibilité, mais parfois je me fais piéger par mes propres inventions ! Par exemple dans les communications : Aldébaran était une planète isolée et ne savait pas communiquer avec la terre, mais dans les autres cycles, ils arrivent à communiquer entre eux. Heureusement, j’ai trouvé une astuce : ils ne peuvent pas communiquer à longue distance sans l’assistance de satellites ou de relais. Au-delà de quelques kilomètres, ils ne peuvent plus compter que sur eux-mêmes, ce qui m’arrange.

Il y a une autre grande valeur qui sous-tend l’ensemble de la série, c’est la tolérance. A chaque fois que vos personnages sont dans des situations compliquées et ils sont obligés de devoir s’écouter et de rencontrer d’autres personnes qui ne partagent pas leurs avis, voire leurs valeurs. Est-ce dû à votre vécu ?

Oui, cela vient sans doute des épreuves que j’ai traversées [1], mais c’est tout à fait inconscient. J’essaie de faire réagir les personnages de manière naturelle selon leur caractère, tout en voulant leur donner quelques défauts, à Kim entre autres, afin de ne pas en faire des personnages trop parfaits.

Comment vous est venue l’envie de scénariser pour d’autres dessinateurs ?

Tout à fait par hasard avec Dexter London. Je connaissais Sergio Garcia, grâce à Géographie Martienne chez Dargaud. J’appréciais son dessin, mais son scénario posait problème. Rencontrant Yves Schlirf, je lui ai dit qu’il devrait lui trouver un bon scénariste et il m’a rétorqué que c’est moi qui devrait lui faire une histoire, et comme nous parlons tous deux espagnol, la communication n’en sera que plus aisée. J’ai répondu que je n’étais pas scénariste mais, face aux relances de Sergio, je me suis jeté à l’eau ! C’est alors devenu un réel plaisir d’écrire pour les autres, car c’est beaucoup plus rapide que de le dessiner.

Réalisez-vous des croquis pour donner des idées de ce que vous voulez décrire ?

Non. Le dessin et le texte doivent être séparés. D’ailleurs, c’est plus amusant et enrichissant de voir comment l’imaginaire de l’autre va prendre possession du récit. Sergio Garcia était par exemple plus fantasmagorique que moi, et partait dans tous les sens… Icar, pour sa part, en avait assez de travailler avec Froideval [2]. Comme on se connaît depuis longtemps, il m’a demandé d’écrire pour lui, tout en demeurant dans mon style, et j’ai accepté. En plus d’être une personnalité très attachante, cette collaboration est un réel plaisir car il travaille comme un forcené. C’est un peu le contraire de Sergio, qui doit composer avec sa chaire à la Fac. Or, faire un album demande de s’impliquer, par exemple en allant faire des dédicaces, etc.

Que raconte Terres Lointaines, votre série avec Icar ?

Dans un futur proche, une planète est en train d’être colonisée. Des gens viennent d’y arriver, résident dans de petites villes, où la violence règne. Nous nous focalisons sur une famille, une femme et ses deux enfants, qui rejoint leur père déjà sur place. Mais ce dernier ne vient pas les accueillir à l’arrivée de la navette. Le garçon, qui a seize ou dix-sept ans, décide de partir à sa recherche : il va faire des rencontres, découvrir des choses étranges car il semble que les anciens de la planète ont disparu, partis sans laisser de trace mis-à-part leurs anciennes villes…

La planche 1 de Terres Lointaines
(c) Icar, Léo & Dargaud.

Collaborant une fois de plus avec Rodolphe, vous écrivez également un one-shot pour Antonio Parras

Il n’était pas satisfait du Méridien des Brumes qu’il avait réalisé chez Dargaud, et je trouvais triste qu’un auteur dessinant comme un dieu se mette dans un tel état de dépression car il n’avait plus de projet ! Un de ses amis m’a demandé de lui écrire une histoire pour juguler cet état d’esprit. J’avais une idée, mais je ne me voyais pas la mener à terme seul et j’en ai parlé avec Rodolphe, qui a déjà travaillé avec Antonio Parras [3]. L’histoire a plu à Antonio et il est en train de la dessiner.

Et comment avance la suite de Kenya ?

Bertrand Marchal a un style assez semblable au mien. Il a déjà fait une quinzaine de planches, qui m’ont fort impressionné. Nous avions peur que les personnages paraissent trop différents du premier cycle, mais ce n’est pas du tout le cas, on les reconnaît bien. En deux mots, le cycle de Namibia se passera bien entendu en Namibie à la même époque. Un évènement étrange s’est produit dans la région et les services anglais vont envoyer leur agent, bien connue des lecteurs.

Oserait-on encore vous demander si vous avez d’autres projets ?

Mais c’est bien le cas ! Le fait de ne plus dessiner Kenya me donne du temps libre pour réaliser une série en parallèle à Antarès. C’est une histoire qui sort des Cycles d’Aldébaran, mais qui se base sur ce qui est arrivé à Aldébaran. En effet, lors de la découverte d’Aldébaran, la Terre a laissé les premiers colons sur place, afin d’en amener d’autres, mais au cours du voyage, ce second contingent a disparu, ce qui explique le long isolement d’Aldébaran. Mais qu’est il arrivé à ce vaisseau ? Une petite navette avec douze jeunes gens a survécu et elle va chercher une planète habitable la plus proche. Les jeunes gens, en hibernation dans le vaisseau, vont se réveiller et apprendre ce qui s’est passé. ..
À la différence d’Aldébaran, cela ne va pas être une planète inhabitée et sauvage. Il y aura un tas de gens, de peuples différents, qui sont tombés là aussi par hasard à travers les siècles. Il y a une myriade de peuples, qui ont chacun leur propre degré d’évolution.

Concernant Trent, à part les intégrales, c’est fini ?

Oui. Trop de temps a passé depuis le dernier. La troisième intégrale contiendra un texte et des illustrations inédits. Nous présenterons un reporter imaginaire interviewant un agent de la police montée, dans les années 1930. Je vais faire des illustrations dans des tons sépias.

Vous n’avez toujours pas envie d’écrire sur votre pays, le Brésil ?

Pour le moment, non. Je préfère faire de la science fiction, c’est plus amusant, et cela me vient naturellement.

(par Nicolas Anspach)

(par Charles-Louis Detournay)

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Code EAN :

Lire les chroniques :
- Antarès T1 et T2
- Bételgeuse T5
- Terres Lointaines (avec Icar) T1
- Kenya (avec Rodolphe) T4
- Trent (avec Rodolphe) Intégrale 1/3

Lire un extrait du tome 2 d’Antares

Voir aussi l’interview vidéo de Leo sur le site BD de notre partenaire France Télévisions

Voir la bande-annonce du tome 1 d’Antares


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Photo (c) Nicolas Anspach - Reproduction interdite sans autorisation préalable.

[1Brésilien d’origine, Léo a fui la dictature militaire de son pays pour réfugier au Chili, qu’il a également quitté suite au coup d’état. Après un passage en Argentine, il rejoint son pays avant de partir pour l’Europe afin de concrétiser son rêve : faire de la bande dessinée.

[2Sous le pseudonyme de Francard, Franck Picard, alias Icar, a collaboré avec Froideval sur la série Fatum. Ils avaient également lancé Anamorphose chez Dargaud, dans la collection Fictions, une série interrompue après son premier tome.

[3La dernière lune, chez Dargaud, en collaboration avec Serge Le Tendre.

 
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3 Messages :
  • aaaaaaaargh
    1er mars 2010 14:23, par solene

    Quel suplice a la fin de chaque tome d’attendre pres d’un an pour avoir la suite. Nous somme oubliger de lire relire et rerelire toute la serie pour que l’attente ne soit pas trop cruelle. Le tome 3 d’antares est, comme les autres, genial.
    a bientot pour le tome 4

    Répondre à ce message

    • Répondu par snoopy le 29 juin 2011 à  23:13 :

      Je ne partage pas cette opinion. Le récit tire en longueur. Il semble qu’il y aura plus de cinq tomes, cela ralentit le rythme de l’histoire et la rend ennuyeuse.
      D’autre part, pourquoi commencer une nouvelle série alors que celle-ci n’est pas terminée.
      Donc j’ai décidé d’arrêter d’acheter les albums, je préfère rester sur une bonne impression avec les deux premiers cycles.

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      • Répondu par zorrro le 14 septembre 2012 à  05:05 :

        Je les relie chaque fois que j’ai besoin d’imaginer que parmi les humains il y en a suffisament de censés pour créer une ambiance propice à la vie en paix et autant que faire se peut en harmonie avec son environnement.
        Merci Leo pour la claque à Busch, je n’avais pas vraiment fait le rapprochement mais j’ai apprécié en tout cas la position "équilibrée" de la plus grande partie du groupe d’Antarès qui me laisse un peu d’espoir pour toutes les décisions stupides ou au contraire les positives qui tardent à être prises dans le monde et je me dis que peut être ça va encore s’améliorer de grè avant de l’être brutalement de force quand les conséquences imposeront leurs conséquences...
        Merci aussi pour la diversité annoncée de senarios bd.

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