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"Nicole" #11 (Éditions Cornélius) : la revue indispensable aux amateurs de bande dessinée alternative

Par Frédéric HOJLO le 9 mai 2022                      Lien  
Derrière son élégante et inquiétante couverture signée Shigeru Mizuki, la revue "Nicole" des Éditions Cornélius conserve une formule qui a fait ses preuves : proposer des histoires courtes inédites ou introuvables, en partie d'autrices et auteurs "maison". Principal changement en 2022 : le retour à une parution en début d'année, rendant plus pertinents l'éditorial et la rétrospective de l'année précédente proposés en début de volume.

La revue Nicole éditée en solo par Cornélius - après quelques numéros en collaboration avec Les Requins Marteaux - est tout simplement le meilleur support pour découvrir la bande dessinée alternative contemporaine. Chaque année, parmi la petite vingtaine d’autrices et auteurs invités, un panel représentatif aussi bien du catalogue des Éditions Cornélius que de la création alternative contemporaine est mis en avant.

Le lecteur peut ainsi trouver dans le numéro de 2022 de prestigieux « anciens » comme Nicole Claveloux et Willem, des signatures françaises connues et reconnues comme François Ayroles, Delphine Panique et Simon Roussin, des artistes à la réputation internationale comme le Sud-Africain Conrad Botes, l’Américain Sammy Harkham et le Japonais Shigeru Mizuki, dont la présence montre également l’attention de l’éditeur au patrimoine de la bande dessinée, et de « jeunes pousses » comme Marin Martinie et Maybelline Skvortzoff.

"Nicole" #11 (Éditions Cornélius) : la revue indispensable aux amateurs de bande dessinée alternative
© Auteurs / Cornélius 2022

La plus grande part des 300 pages de Nicole est consacrée à la bande dessinée. Mais l’illustration n’est pas dédaignée et le texte non plus, avec un éditorial toujours interpelant, une rétrospective de l’année précédente, rédigée cette fois par un Bill Franco moins cabotin qu’à l’accoutumée, et des chroniques plus ou moins humoristiques de Jean-Louis Capron - nom de plume de l’éditeur Jean-Louis Gauthey - donnant un aperçu caustique du monde de l’édition de bande dessinée et de la « chaîne du livre ».

L’ensemble est hétéroclite - ce qui n’est pas négatif quand l’objectif est de faire découvrir - et rythmé, mêlant inédits et raretés dans des styles et des tons particulièrement variés. Plus de 300 pages pour moins de quinze euros : cela ne permet pas à l’éditeur de rentrer dans ses frais. C’est délibéré : il s’agit d’une démarche éditoriale militante visant à la fois à faire vivre le fonds du catalogue de Cornélius, donner leur chance à de jeunes auteurs, offrir un espace d’expression libre à d’autres plus confirmés et permettre aux lecteurs de multiplier les découvertes à un coût relativement modeste.

© Auteurs / Cornélius 2022

Après plusieurs années de parution en début d’été, Nicole reprend ses quartiers d’hiver. La publication en février offre deux améliorations : donner davantage d’intérêt à la rétrospective de l’année précédente, qui ravive des souvenirs encore assez proches pour être familiers, et permettre une première présentation lors du Festival d’Angoulême. Son décalage cette année de la fin janvier à la mi-mars n’a d’ailleurs pas vraiment diminué la pertinence de ce choix.

D’Angoulême, il est justement question dans l’éditorial de ce onzième numéro. Les Éditions Cornélius plaident pour un changement de date définitif du FIBD. S’éloigner de l’hiver aurait plusieurs avantages. De meilleures conditions météorologiques que celles que l’on trouve généralement fin janvier sur les bords de la Charente ne pourraient que ravir le chaland et profiter aux restaurateurs de la ville. En permettant aux festivaliers d’opter pour un logement en camping, elle pallierait l’habituel manque de logements tout en freinant la flambée des coûts des nuitées.

Enfin, à l’heure où les conséquences du réchauffement climatique se font déjà sentir à travers le monde, l’énorme charge énergétique que constitue le chauffage des « bulles » devient une absurdité écologique, financière et même morale. Au-delà, et tout en soulignant l’importance du Festival dans le paysage culturel français, l’édito de Nicole argue du fait qu’un décalage au printemps pourrait avoir des répercussions sur toute l’édition de bande dessinée, en élargissant sa temporalité. Un FIBD en avril ou mai pourrait relancer un marché en perte de vitesse pendant une moitié de l’année s’étirant du mois de février à la fin août, quand débarquent les nouveautés de la rentrée avant celle de la fin d’année. L’argument est d’autant plus intéressant que la popularité et la médiatisation actuelle de la bande dessinée n’a rien à voir avec celles des années 1970, à la création du Festival, qui n’a donc plus besoin de se cantonner à une période de creux pour pouvoir se distinguer.

© Auteurs / Cornélius 2022

Les Éditions Cornélius ne sont pas les seules à aller en ce sens. Bien des auteurs l’ont déjà exprimé et on imagine que d’autres éditeurs seraient intéressés. Mais il faut aussi faire avec les contraintes locales, institutionnelles notamment, et penser aux autres festivals français, dont beaucoup se déroulent entre le début et la fin du printemps : les Rencontres du 9e Art d’Aix-en-Provence, BD à Bastia, les Rencontres de l’illustration de Strasbourg, le Pulp Festival à Noisiel, le Lyon BD Festival, les Rendez-Vous de la Bande Dessinée d’Amiens... Pour ne citer que les plus connus, à l’ampleur nationale. Attention à l’embouteillage !

Réflexion inaboutie ou crainte d’aller plus loin dans le chamboulement alors que le FIBD va célébrer l’an prochain son cinquantenaire ? Nicole se limite au changement de calendrier. Pourtant, le contexte actuel - tension internationale, incertitude économique, risques sanitaires, révolution écologique indispensable - et les interrogations sur la marché de la bande dessinée, qui fait figure de colosse au pieds d’argile - un marché tiré par quelques best-sellers et par l’énorme croissance du manga alors que la majorité de la profession demeure précaire - devraient amener à réfléchir aux formes et aux fonctionnements des événements consacrés à la bande dessinée.

Quelquefois du fait de contraintes financières, parfois en réaction aux mesures sanitaires de ces deux dernières années, certains festivals ont commencé leur mutation. C’est le cas par exemple du festival d’Aix-en-Provence, qui se déroule dorénavant sur une période de deux mois, multipliant expositions et actions tout en évitant les rassemblements massifs ou les événements trop dispendieux. Le Festival d’Angoulême, avec ses milliers de visiteurs en un week-end, ses grandes expositions visibles une poignée de jours seulement et ses chapiteaux surchauffés ressemble à un mastodonte d’un autre temps. Un fonctionnement en réseau renforçant le rôle des associations et institutions - et pas uniquement des entreprises avides de sponsoring - et une attention aux enjeux contemporains telle que la sobriété énergétique pourraient être des pistes de renouvellement. Il y en aurait d’autres à trouver pour éviter l’essoufflement une fois fêtés les cinquante ans.

Certes Nicole ne va pas si loin ! Mais cela ne doit pas empêcher de lire cette revue parfois déconcertante, souvent étonnante, et toujours convaincante.

© Auteurs / Cornélius 2022

(par Frédéric HOJLO)

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Code EAN : 9782360811922

Nicole #11 - Collectif - Éditions Cornélius - direction éditoriale par Bill Franco - 17 x 24 cm - 304 pages en noir & blanc et couleurs - couverture souple - parution le 3 février 2022 - 14,50 €.

Autrices & auteurs au sommaire : François Ayroles, Conrad Botes, Jean-Louis Capron, Nicole Claveloux, Antoine Cossé, Mathieu Desjardins, François Fléché, Bill Franco, Sammy Harkham, Matthias Le Bihan, L.L. de Mars, Antoine Maillard, Marin Martinie, Shigeru Mizuki, Delphine Panique, Benoît Preteseille, Simon Roussin, Maybelline Skvortzoff, Olivier Texier & Willem.

Lire quelques pages de Nicole #11.

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4 Messages :
  • Cornélius est un admirable éditeur avec un très beau catalogue mais les rétrospectives et autres éditos dans lesquels le patron, sous divers pseudonymes, assassine l’ensemble de la production des autres éditeurs sont assez déplaisants. Quand on est trop petit pour permettre à ses auteurs de vivre de leur travail, il est assez malvenu de donner des leçons aux autres.

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    • Répondu par Frédéric HOJLO le 9 mai 2022 à  09:16 :

      L’édito et la rétrospective de cette année ne sont pas vindicatives. La rétro insiste particulièrement sur les coups de cœur, y compris en allant voir du côté des éditeurs « mainstream », et rend hommage à quelques grands auteurs décédés dans l’année. Le ton aurait tendance à s’adoucir avec les années...

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      • Répondu le 9 mai 2022 à  09:37 :

        Ah tant mieux alors, la sagesse vient parfois avec l’âge.

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        • Répondu par Frédéric HOJLO le 9 mai 2022 à  09:52 :

          Ah il y a bien un peu d’ironie et quelques pics, mais rien de vraiment malaisant.

          (Et j’aurais dû écrire « vindicatifs » dans mon message précédent.)

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