Interviews

Entrevue avec Aaron Trites, juge des Eisner’s Awards [INTERVIEW]

Par Marlene AGIUS le 7 mai 2022                      Lien  
Aaron Trites est libraire le jour, juge des Eisner la nuit. Il dévie de son interdiction formelle de répondre aux journalistes et nous parle Eisner, BD Californienne, différences culturelles, et de l’importance de créer une communauté à San Diego, la ville du ComicCon.

La sélection vient à peine d’être achevée. Et Aaron Trites est clair : il ne peut PAS PARLER DU PRIX EISNER OU DU PROCESSUS DE SÉLECTION PAR INTERDICTION ABSOLUE du comité, mais grâce au fourbe talent investigateur de votre journaliste, vous pourrez savoir quelques infos à NE DIVULGUER SOUS AUCUN PRÉTEXTE.

Aaron Trites s’est récemment installé à San Diego. Auparavant, il avait travaillé pendant près de quinze ans à la librairie Comicazi à Boston qui avait reçu le Eisner du meilleur « Comics Retailer » en 2017. Il ouvre le magasin Now Or Never en centre-ville de San Diego il y a trois ans, immédiatement nominé pour le même prix.

Six juges (californiens cette année, par peur du Covid) sont sélectionnés tous les ans pour représenter les secteurs de l’industrie de la BD : critique, auteur, artiste, distributeur, éditeur, et libraire, pour Aaron Trites.

Cette année, il a donc été choisi pour constituer la sélection officielle sur laquelle se basera la communauté de professionnels de la bande dessinée pour primer les meilleures œuvres dans chacune des trente catégories, en Juillet prochain à la ComicCon.

Interview réalisée dans les locaux aux comics rares et nouveautés prisées :

Entrevue avec Aaron Trites, juge des Eisner's Awards [INTERVIEW]

Ressentez-vous une différence entre la scène des comics ici, à San Diego, et à Boston ?

Boston est une vieille ville, et la Côte Est est chargée d’histoire. Il y a la librairie Million Year Picnic, un des plus vieux magasins de tout le pays ; il y a une meilleure notion du passé qu’à San Diego qui n’a vraiment commencé à s’étendre qu’après 1945. On pourrait dire que 300 ans les séparent. À Boston, c’était facile de trouver des comics du Golden Age (1930-1940), de dénicher des pépites introuvables dans des greniers, de tomber par hasard sur des collections rares ; alors qu’ici, la modernité l’emporte. Un vrai choc culturel !

La Californie est gigantesque. San Francisco est plutôt le lieu de naissance de l’Underground. Mais j’aime le fait que chaque région ait sa personnalité, que les librairies changent de ville en ville. À Boston, par exemple, on ne voyait jamais de livres exclusifs de ComicCon, catalogues, programmes, ni même certains éditeurs ou distributeurs comme Pacific Comics des années 1980. Au contraire, la côte Est avait énormément de ces petites maisons d’édition inconnues de la côte Ouest.

C’est important de garder ces différences ?

Oui, je pense : ça évite que ce soit partout pareil, une production identique à la McDonald’s. Mais cela implique aussi qu’il y aient des régions qui ne soient pas soutenues, et d’autres qui ont trop d’offre. Pour moi, c’est important de mettre l’accent sur la production locale pour garder la diversité des lieux de création.
Je crois à l’importance de construire une communauté, une base de fidélité avec des lecteurs et une entraide dans le réseau de librairies sans compétition, et de cette manière encourager les créateurs locaux à s’autoproduire et a être distribués. L’existence de ce magasin est basé sur ces relations de confiance, et on voit de plus en plus de magasins différents ouvrir, aussi tenus par femmes ou des minorités. C’est très encourageant.

Quelles sont les différences notables que vous avez remarquées par rapport à la France ?

L’Amérique est très particulière en ce qui concerne les comics : je ne trouve jamais de backissues [fond de catalogue. NDLR] en France, et vice-versa. Mais l’approche européenne de la distribution m’a fasciné : j’étais choqué de voir parfois des bandes dessinées dans les supermarchés. C’était commun ici dans les années 1970, dans les petits commerces, les cafés ou les salons de coiffure. Mais dans les années 1980, l’idée d’un réseau de libraires spécialisés a fait disparaître cette idée de BD accessible. J’adore le fait de pouvoir trouver des BD dans les kiosques de journaux ; dans les supermarchés, c’est un autre type de public, et la BD profite de cette diversité.

En France, on commence à étudier les bandes dessinées dès les plus jeunes classes. Ça existe ici ?

Je ne suis pas du tout habitué à ça. Quand j’étais gosse, la seule BD accessible à l’école étaient les comic-strips de Calvin & Hobbes, ou rarement les BD éducatives de Scholastic. Maintenant, j’essaye d’engager le plus de profs et d’éducateurs autour de moi. J’ai vu qu’en France, le gouvernement encourage l’industrie de la BD et fait la promotion de certains prix, et ça profite au genre en général d’être affilié entièrement à la culture et non pas un sous-genre comme les comics sont vus en Amérique.

Alors, qu’est ce que ça fait d’être un juge aux Eisner ?

C’est absolument crevant. Entre 30 et 40 heures par semaine ! C’était comme avoir un second boulot. Je ne regrette pas d’y avoir participé, mais je sais que je ne le referai plus jamais de ma vie. Et justement : c’est une occasion qui ne se représentera pas. Je pense que tous les autres se sentent comme moi. N’importe qui peut soumettre sa publication pourvu qu’elle soit traduite, et ça accumule une masse énorme à lire. Je dirais qu’il y a 20% de merde, 20% de génies, et 60% de choses OK.

Mais la meilleure partie était clairement de découvrir de nouvelles maisons d’édition, de nouveaux talents, pas seulement des États-Unis mais aussi de l’Europe. Je pense à Magnetic Press, à Quindrie Press, que je viens de découvrir. C’est vrai que c’est un prix largement dominé par les USA - ce sont les Oscars de la BD. Mais on peut être largement dépassés : pour la catégorie meilleur artiste, je crois qu’il n’y a pas un seul Américain. Et à propos du Hall of Fame Américano-centré, on n’accepte que les bédéastes avec plus de 35 ans d’expérience. Maintenant, on regarde donc les candidats des années 1980, mais les auteurs internationaux, qui se multiplient à vue d’œil, s’allonge. Ils ne sauraient tarder.

Propos recueillis de l’Anglais par Marlene Agius

(par Marlene AGIUS)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

🛒 Acheter


Code EAN :

CONTENUS SPONSORISÉS  
PAR Marlene AGIUS  
A LIRE AUSSI  
Interviews  
Derniers commentaires  
Abonnement ne pouvait pas être enregistré. Essayez à nouveau.
Abonnement newsletter confirmé.

Newsletter ActuaBD