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Les Éditions Cornélius : 30 ans d’exigence et d’indépendance

Par Frédéric HOJLO le 8 avril 2021                      Lien  
Fondée en 1991 par Jean-Louis Gauthey, la maison d'édition Cornélius a su durer et se faire un nom dans le champ de la bande dessinée. Créations originales, traductions, œuvres patrimoniales : son catalogue est l'espace d'une grande diversité, toujours mise en valeur par une esthétique et une fabrication reconnaissables en un coup d'œil. Le tout en restant éloigné des grands groupes éditoriaux.

La vie d’une maison d’édition est rarement un long fleuve tranquille. Il y a celles qui changent de mains et d’actionnaires au gré des évolutions de marché, celles qui luttent mois après mois pour survivre, et celles qui ont su, patiemment, avec détermination et fidélité à une ligne de conduite, trouver un équilibre. C’est le cas de Cornélius, qui fête cette année ses trente ans.

On peut facilement imaginer que malgré sa passion et son engagement, Jean-Louis Gauthey, fondateur de Cornélius en 1991, n’osait rêver tenir aussi longtemps et construire un catalogue aussi remarquable, rassemblant parmi les plus grands noms de la bande dessinée mondiale dans des livres d’une rare qualité. Quelques exemples - en évitant la liste vaine et prétentieuse - pour se faire une idée : Robert Crumb et Charles Burns pour les États-Unis, Shigeru Mizuki et Yoshiharu Tsuge pour le Japon, Blutch et Nicole Claveloux pour la France. Et ce n’est que la partie émergée !

Les Éditions Cornélius : 30 ans d'exigence et d'indépendance

L’entreprise était au départ artisanale, et elle l’est en partie restée. J.-L. Gauthey, qui a signé quelques ouvrages sous le nom de Jean-Louis Capron, proche notamment des fondateurs de L’Association, est rejoint par Bernard Granger, plus connu sous son nom d’auteur, Blexbolex. Leurs regards et leurs compétences sont complémentaires. De la sérigraphie, privilégiée au départ pour l’autonomie qu’elle permet, ils passent à la fin des années 1990 à l’impression offset, qui ouvre sur un changement d’échelle. Concomitamment, ils éditent des auteurs français de ce qui fut un temps nommée la « nouvelle bande dessinée », tout en parvenant à convaincre des dessinateurs depuis longtemps renommés, comme Willem, et en commençant à prospecter à travers le monde, en particulier en Amérique du Nord.

Peu à peu, le catalogue s’étoffe, et la ligne éditoriale s’affirme. Elle n’est pas prédéfinie et encore moins inscrite dans le marbre, mais les années permettent d’en cerner les contours, au moins en creux. Il s’agit d’abord de rester indépendant financièrement : hors de question évidemment de se vendre à un grand groupe commercial, à un « publieur » selon le terme de J.-L. Gauthey [1]. Cette indépendance signifie avant tout une liberté totale dans le choix des autrices et auteurs, des projets soutenus et des formats proposés.

Concrètement, elle se traduit par l’éclectisme des auteurs, venus du monde entier, et la diversité des collections, qui se distinguent par des prénoms - Blaise, Pierre, Solange, Paul, Delphine... - et ne correspondent pas forcément à un format stable. Le soin apporté au design des couvertures, à la « charte graphique », très sobre, et à la fabrication, résultat d’une exigence jamais démentie [2], apporte une unité à un ensemble qui pourrait paraître de prime abord disparate.

© Anouk Ricard 2021

En trente ans d’édition, des tendances ont pris corps. L’approche géographique est une clé, insuffisante cependant. Cornélius regroupe des auteurs venus des trois aires majeures de la bande dessinée : Japon, Europe de l’Ouest, Amérique du Nord. Mais c’est davantage une conséquence de choix successifs que le résultat d’une stratégie par segments. Si l’on cherche une tripartition, elle serait plutôt la suivante : traductions d’œuvres récentes d’auteurs de bande dessinée alternative, restaurations d’œuvres du patrimoine de la bande dessinée mondiale, créations originales d’auteurs reconnus ou, souvent, émergents.

Cette ligne éditoriale patinée par le temps permet d’offrir une diversité d’approches d’auteur tout en s’affranchissant des genres. Éditer Daniel Clowes, Ludovic Debeurme et Pierre La Police notamment ouvre aussi bien à la science-fiction qu’à l’introspection et à l’absurde. L’autobiographie, avec Lewis Trondheim, le polar, avec Antoine Maillard, l’érotisme, avec Toshio Saeki, ont été abordés, sans que cela soit exhaustif.

Longévité, indépendance, exigence, diversité : une histoire de trente ans qui méritait d’être soulignée, d’autant plus qu’elle n’est pas terminée et réserve sans doute quelques surprises. Et en attendant de nouvelles découvertes, Cornélius propose une sélection de trente titres représentatifs de son catalogue [3], entre références patrimoniales incontournables - Gus Bofa, Luciano Bottaro, Yoshihiro Tatsumi - et pépites héritées de l’underground - Chester Brown, Ted Stearn, Winshluss. Idéal pour les néophytes comme pour les habitués.

Une sélection, proposée par l’éditeur, de 30 livres représentatifs du catalogue de Cornélius

(par Frédéric HOJLO)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782360811793

Consulter le site des Éditions Cornélius & la sélection, proposée par l’éditeur, de 30 livres représentatifs de son catalogue.

Écouter sur France Culture l’émission Le Rayon BD consacrée aux 30 ans de Cornélius (par Victor Macé de Lépinay, 4 avril 2021).

Lire également sur ActuaBD à propos de quelques-unes des parutions récentes de Cornélius :
- "Les Nouvelles Aventures de l’art" (Cornélius) : l’histoire de l’art moderne et contemporain selon Willem
- Les Fleurs rouges - Par Yoshiharu Tsuge - Cornélius
- "Zone Z" de Renaud Thomas (Cornélius) : une promenade dans la décrépitude
- Nicole #8 : la revue des Éditions Cornélius à son meilleur
- Toshio Saeki, héros et gourou de l’ero guro
- "Dédales" (Éditions Cornélius) : Charles Burns à l’entrée d’un nouveau récit labyrinthique
- Angoulême 2020 : Les Jardins Sauvages de Nicole Claveloux
- "Nicole" #9 : le concentré d’inédits des Éditions Cornélius
- "Citéville" / "Citéruine" : le don de double vue de Jérôme Dubois
- "L’Entaille" d’Antoine Maillard (Cornélius) : un tueur peut en cacher un autre

[1Voir son chapitre « Éditeurs ou publieurs, la face cachée de la crise » in L’état de la bande dessinée : Vive la crise ?, Les Impressions Nouvelles / CIBDI, 2009, p. 47-58.

[2Anecdote de rédacteur débutant : je me souviens avoir reçu, au début de l’année 2017, un coup de téléphone de Jean-Louis Gauthey à propos d’un tout petit texte portant sur le bilan de l’année 2016 de Cornélius. Il m’a fallu expliquer le pourquoi de ce bref écrit évoquant justement la ligne éditoriale de la maison. Mais à aucun moment il ne m’a été demandé de modifier ou amender ce texte.

[3L’éditeur offre pour l’achat en librairie de deux livres tirés de cette sélection un exemplaire de sa revue Nicole, dont trois numéros sont disponibles.

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