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Les BeKa et Munuera réalisent le prochain album des "Tuniques bleues"

Par Charles-Louis Detournay le 29 juin 2020                      Lien  
Petite révolution en même temps que passage de témoin chez Dupuis : le prochain album de l’une de leurs séries historiques les plus populaires du "Journal Spirou", « Les Tuniques bleues », ne sera désormais pas réalisé par Cauvin & Lambil, mais par une nouvelle équipe d'artistes. À quoi devons-nous attendre ?
Les BeKa et Munuera réalisent le prochain album des "Tuniques bleues"
Les intégrales des Tuniques bleues par Cauvin & Salvérius
Dupuis a compilé leur collaboration en deux intégrales introduits par de passionnants dossiers signés Patrick Gaumer.

On savait que cela arriverait, mais tout de même, quel choc ! Après 57 albums réalisés de concert, Lambil & Cauvin, les créateurs historiques des Tuniques bleues ne seront pas à la manœuvre du prochain album.

Mouais… Soyons plus précis, car en réalité, Lambil n’est pas le dessinateur original de la série, c’est Salvérius, Et si Cauvin en est bien le scénariste depuis le début, nous deux auteurs ont bien l’intention de réaliser le tome suivant des Tuniques bleues, mais pas le prochain !... Toujours pas clair ? Cela nécessite alors un petit retour en arrière.

Inattendue Sécession

Raoul Cauvin
Photo : Charles-Louis Detournay.

En 1968, les Éditions Dupuis doivent combler l’immense vide généré par le départ de Lucky Luke de Morris & Goscinny pour Pilote (Dargaud). Ils décident alors de faire confiance à un scénariste presque inconnu du grand public, Raoul Cauvin, issu du secteur audiovisuel de la boîte (les studios de création TVA), ensuite préposé à la photocopieuse, considéré comme de la haute technologie à l’époque, lequel Cauvin parvient à placer quelques petits récits dans le Journal Spirou depuis deux ans. L’autre créateur du duo est Salvé (alias Louis Salvérius) qui a déjà réalisé pas mal de planches de western depuis près de dix ans, dont la série Whamoka et Whikilowat.

Coup de génie du rédacteur en chef ou simple bouche trou en attendant de trouver LA vraie bonne série pour remplacer Lucky Luke ? Quoiqu’il en soit, ce pari audacieux remporte rapidement les suffrages des lecteurs. Pourquoi ? Sans doute car les auteurs osent aborder à travers le prisme du tragi-comique, la guerre incarnée par le zélé sergent et le finaud caporal. Raoul Cauvin a su rapidement dépasser la thématique de base, en passant du fort de la cavalerie vers la Guerre de Sécession, comme il nous l’expliquait lui-même, : « Face à Goscinny, je me serais cassé la figure directement. C’est un maître. J’ai choisi justement de ne pas faire du western pour ne pas avoir à l’affronter. »

Le duo Cauvin et Lambil tel qu’imaginé par le dessinateur.
© Lambil

Malheureusement, la belle aventure prend rapidement un tour tragique en 1972, avec le décès brusque de Louis Salvérius à l’âge de 38 ans. Pour sauver la série devenue l’un des classiques du journal, le rédacteur en chef se tourne vers Willy Lambil. Depuis 1959, ce dernier a déjà réalisé seul, au scénario et au dessin, l’équivalent de 24 tomes de sa série réaliste Sandy et Hoppy, mais elle ne décollait pas, faute d’albums, hormis un broché publié dans une collection mort-née en 1972, soit 13 ans après la création de la série !

Voilà donc Lambil non seulement contraint de travailler avec un scénariste, mais aussi d’adapter son style réaliste au registre humoristique de la série, dans la veine de celui de Salvérius. Et pourtant, la chose prend forme !

À bout de souffle

La suite est connue : en dépit parfois de quelques prises de becs entre Lambil et Cauvin, leur série traduite en 15 langues s’est vendue à plus de vingt millions d’exemplaires. Un succès qui pousse l’éditeur de Marcinelle à reconduire la confiance aux deux auteurs, même lorsque l’éditeur décide d’arrêter en 2019 trois autres séries de Raoul Cauvin. Un rude coup pour le scénariste de 80 ans. Surtout que la série pour laquelle il ressentait le plus de lassitude à scénariser était justement l’une des deux rescapées : Les Tuniques bleues.

Cauvin se remet donc au travail, mais décidément, le cœur et l’inspiration n’y sont plus. Aussi annonce-t-il un mois et demi avant la sortie du tome 63 La Bataille du cratère, que le 64e album qu’il vient de scénariser sera son dernier. En dépit des coups de semonce exprimés par le scénariste depuis quelques temps, le dessinateur Willy Lambil n’avait pas anticipé cette décision...

Raoul Cauvin et Willy Lambil, une longue complicité.
Photo : Didier Pasamonik (l’Agence BD)
Willy Lambil
Photo : Charles-Louis Detournay.

« J’ai encore un épisode des Tuniques bleues scénarisé par Raoul à réaliser, nous expliquait-il en octobre 2019 lors de la sortie du T. 63. Mais je suis encore tellement sous le choc des annonces qui m’ont été faites que je n’ai pas envie de le dessiner pour l’instant. » Ainsi, pour la première fois depuis 60 ans, Willy Lambil n’enchaîne pas directement la fin d’un album avec le début du suivant. Sans doute du sentiment que celui-ci serait sans doute son dernier. Car Lambil ne cesse de répéter depuis des années, tant à ActuaBD qu’à d’autres médias, qu’il mourra le jour où il ne pourra plus dessiner Les Tuniques bleues. Et quand on connait la passion du travail qui habite le fringant dessinateur de 84 ans, on est bien tenté de le croire sur parole.

Qu’est-ce qui pourrait bien l’empêcher de scénariser seul Les Tuniques bleues, dès lors ? Tout simplement parce que sans accord, il n’en a pas le droit. Rappelez-vous : même s’il dessine la série depuis près de cinquante ans, la plupart des lecteurs ayant même oublié Salvérius, Lambil n’en est techniquement que le repreneur. Ses créateurs sont toujours Raoul Cauvin et Louis Salvérius.

Lorsqu’il ne dessine pas les albums des Tuniques bleues, Lambil se repose en réalisant des aquarelles des... Tuniques bleues !
© Willy Lambil.

Or, Raoul Cauvin a revendu sa part des droits de la série à Dupuis, de même que les deux filles de Salvérius. Si Lambil détient donc les droits sur ses propres albums, rien n’empêche l’éditeur de prolonger la série sans lui. Une situation qui tétanise le dessinateur, même si Dupuis ne cesse de multiplier les attentions à son endroit.

23 octobre 2019 : Lambil offre un dessin au bar de l’Hotel Amigo à Bruxelles.
Photo : Charles-Louis Detournay.

Seul en selle

Willy Lambil, avec Benoît Fripiat, directeur éditorial adjoint de Dupuis
Photo : Charles-Louis Detournay.

Pour l’éditeur, la situation est tout aussi complexe : « Si après tant d’années de succès ininterrompu, [Raoul Cauvin] a bien mérité de se reposer, [Willy Lambil], lui, conserve la volonté farouche de rester en selle, explique-t-on chez Dupuis. Se séparer de son compagnon de travail après [presque 50 ans] de collaboration n’est pas chose aisée et le temps nécessaire à Lambil pour se faire à l’idée a réduit de façon sensible les chances de publier cette dernière histoire en 2020. Pour autant, manquer ce rendez-vous annuel avec les lecteurs était inconcevable. »

Les BeKa
Photo : Charles-Louis Detournay.

Fort de ce constat, l’éditeur prospecte auprès des auteurs qu’il publie actuellement. Et comme c’est souvent le cas, c’est autour d’un dîner que tout va se jouer, ainsi que l’expliquent les BeKa et Jose Luis Munuera, réalisant respectivement deux spin-off de Spirou avec Champignac et Zorglub et qui participaient à un atelier d’écriture organisé par Dupuis en novembre 2019 à Bruxelles : « Au cours de ce dîner, Sergio Honorez, alors directeur éditorial des Éditions Dupuis, nous avait expliqué chercher de nouveaux scénaristes pour « Les Tuniques Bleues », après que Raoul Cauvin avaiit décidé de passer la main. Par un curieux hasard, en faisant des recherches quelques mois plus tôt sur un tout autre sujet, nous étions tombés sur un article parlant de William Howard Russell (1820-1907), un journaliste considéré comme le premier correspondant de guerre de l’Histoire… Cet article prétendait que Russell avait notamment couvert... la Guerre de Sécession ! Entre deux bouchées, nous avions évoqué cette drôle de coïncidence. Après le restaurant, la conversation s’était poursuivie avec Munuera sur le chemin du retour. Puis, finalement bien plus tard, vers une heure du matin, nous avions les grandes lignes de « L’envoyé spécial ». Et dès le lendemain, nous faisions passer à Sergio Honorez le pitch et les premières scènes de l’album. » Bingo.

Jose Luis Munuera
Photo : Charles-Louis Detournay.

Séduit par ce synopsis et par la motivation des trois auteurs, Sergio Honorez leur donne son aval, non sans avoir bien entendu préalablement consulté Raoul Cauvin et Willy Lambil de cette initiative. Quant au dessin de cette nouvelle reprise, l’éditeur ne pouvait pas imaginer le demander à un autre que Willy Lambil ! Mais lorsque Sergio Honorez voit les planches storyboardées par Munuera, l’évidence lui saute alors aux yeux : « Disons que je me suis laissé emporter par le récit et que j’ai surjoué mon rôle, explique Munuera. Le problème, c’est que je visualisais si clairement les ambiances et les personnages de "L’Envoyé spécial" que ne pas le dessiner m’aurait trop frustré ! J’ai eu la chance que Dupuis soit séduit par l’idée. »

En 2016, pour célébrer le 60e album des Tuniques bleues, Dupuis publie un recueil d’hommages réalisés par un collectif d’auteurs. Munuera y figure... Pas les Beka !

« Graphiquement, le plus important pour moi était de rester dans le ton semi-réaliste de Lambil, continue-t-il, Mais d’une façon totalement honnête, avec toute la sincérité possible. Pas question donc d’essayer de faire un pastiche de son graphisme. J’ai en revanche veillé à bien reprendre ses codes, en essayant de rester plus neutre qu’à mon habitude, que ça soit dans la gestuelle de mes personnages ou les mouvements de caméra. »

Initialement programmée en avril 2020, la monographie que Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault consacre à Lambil sortira finalement le 6 novembre prochain.
Plus d’infos sur cette monographie - © Lambil - Dupuis, 2020.

Gageons que Lambil a envisagé tout cela lorsqu’il a lu cet Envoyé spécial. Quant à Raoul Cauvin, il a attendu que l’album soit imprimé pour le découvrir.

Le tome 65 avant le 64 !

Fallait-il que Willy Lambil apprenne qu’un album était en préparation pour que, piqué au vif, l’envie de dessiner lui reprenne ? C’est possible. Pendant que Munuera terminait son album, le dessinateur des 57 tomes précédents s’était remis à l’œuvre, mais trop tard pour le publier à l’heure, soit en octobre 2020. Dans le même temps, comment publier le dernier scénario de Cauvin sans qu’il paraisse naturellement sous le numéro 64 ? Que faire ?

Pour résoudre cette quadrature du cercle, Dupuis a donc innové ! Le tome 65 réalisé par Munuera & les BeKa paraîtra donc le 30 octobre 2020 (tirage de 105.000 exemplaires). Et il sera suivi du tome 64 avec le dernier scénario de Cauvin et dessiné par Lambil, qui paraîtra quant à lui, à l’automne 2021.

Et quid pour le tome 66 ? Une collaboration inédite entre Lambil et les nouveaux scénaristes est-elle envisagée ? Il est assurément trop tôt pour le dire, car avec le tome 64 à paraître en 2021, Dupuis a le temps d’affiner sa stratégie avec le nouveau directeur éditorial, Stéphane Beaujean.

En dépit des années , le travail de Willy Lambil reste toujours autant précis que réussi.
Photo : Charles-Louis Detournay (2015)

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 979103474793

 
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10 Messages :
  • Pauvre Lampil !

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    • Répondu par Eric B. le 1er juillet 2020 à  08:06 :

      C’est clair que ça donne pas envie. Munuera a torpillé Spirou, maintenant il torpille les Tuniques Bleues... A sa décharge, Lambil et Cauvin auraient dû arrêter cette série depuis bien longtemps. Les tomes 5 à 28 sont un régal et bien suffisants pour les lecteurs...

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    • Répondu par Roche le 1er juillet 2020 à  08:43 :

      Perso, j’en peux plus des tuniques bleues. le scénarios tiennent sur un fil, les dessins n’ont jamais évolués, Lambil ne sait pas dessiner les femmes et les vêtements et se répète à longueur de pages. C’est d’une tristesse tout ça !!!
      et maintenant repris au dessin par Manuera dont je n’arrive pas à comprendre le graphisme alambiqué (il a failli bousiller Spirou, maintenant c’est Zorglub qui trinque)... ça devient de plus en plus cauchemardesque tout ça.

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  • Les BeKa et Munuera réalisent le prochain album des "Tuniques bleues"
    2 juillet 2020 09:34, par Riton les gamelles

    Bonjour
    L’âne de la couverture dessiné par Munuera ressemble plus à une bouée que l’on trouve dans les magasins Toupourien que ce noble et attachant compagnon. De nouveau une image dégradante de l’Equus asinus, une ânerie, quoi.
    Lorsque le dessinateur se retrouve plus bête que ce qu’il essaie de représenter, hi hi hi !

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  • En total désaccord avec les commentaires précédents sur le dessin de Munuera. Je trouve que c’est un très bon dessinateur. Son Spirou était bien dessiné (les scénarios n’étaient pas à la hauteur en revanche). Sa série Les Campbell était excellente ! Et j’ai eu beaucoup de plaisir avec les 3 albums de Zorglub.

    Les Tuniques Bleues, je lisais certains albums mais je ne retrouvais plus l’intérêt des premiers albums.

    Par contre, là, je suis très curieux de voir cet album 65 dans Spirou cet automne.

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    • Répondu par pierre le 3 juillet 2020 à  09:25 :

      Tout à fait de votre avis, Daniel. Personnellement, j’apprécie beaucoup le graphisme de Munuera.

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    • Répondu par Deliege le 26 novembre 2020 à  10:51 :

      J’ai tout les albums des tunique bleus mais les dessins ne se ressemblent plus en regardant bien de plus près même les personnages et les couleurs n’en parlons même pas ? C’est une vrai destruction en chaîne et depuis les années les personnages devraient un peut vieillir ici le dernier album on pourrait croire qu’on veut les rajeunir et les couleurs destruction total

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      • Répondu par Christophe Jayet-Gendrot le 26 décembre 2020 à  16:35 :

        Étant fan des tuniques bleues, je viens de recevoir ce nouvel album en cadeau (le 64 qui est en réalité le 65) et je suis franchement déçu.
        Je n’ai rien retrouvé de ce que j’aime tant !

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  • Quel prétentieux ce dessinateur lorsqu’on lit les propos qu’il tient dans le préambule de ce volume. Il rappelle ces personnes qui font partie du microcosme bien pensant, qui se prennent pour l’élite de la culture, alors qu’ils n’en sont que les fossoyeurs. Dessins agressifs et laids. Triste constatation.
    Adieu Sergent Chesterfield et Caporal Blutch.

    PS : les nouveaux auteurs d’Astérix par leur charismes ont su prendre le bon tournant.

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  • Ce n’est pas grave si vous ne publiez pas mon message ! Mais c’est ce que je pense de cette personne.
    Cordialement

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