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Catel : « Entre Anne Goscinny et moi, cela a été un vrai coup de foudre d’amitié »

Par Charles-Louis Detournay le 7 octobre 2019                      Lien  
La Gallery du CBBD expose en ce moment un superbe ensemble de planches dédiées au « Roman des Goscinny » : un pendant à l'exposition rétrospective de Nérac qui fait mieux comprendre le travail de Catel, avec en prime des dessins originaux de... René Goscinny himself au début de sa carrière. Des documents qui valent le détour !

Dès le début du Roman des Goscinny, vous mettez en scène le tandem que vous formez avec Anne Goscinny, jusqu’à expliquer que vous avez débuté ce projet presque à reculons.

Oh, il ne faut pas exagérer ! Car qui n’aime pas René Goscinny ? Comme beaucoup, j’ai été biberonnée avec ses albums (Astérix, Lucky Luke, Le Petit Nicolas, etc.), mais lui dédier une biographie ne faisait tout simplement pas partie de mes préoccupations premières. Lui rendre hommage était nécessaire, voire indispensable, mais cela n’était tout simplement pas mon axe de travail. J’ai pourtant immédiatement été frappée par le charisme d’Anne dès notre rencontre ; on peut d’ailleurs parler de coup de foudre d’amitié en ce qui nous concerne. Mais comme le livre l’explique, j’ai effectivement refusé sa première proposition...

Puis j’ai été la revoir, mais en tant que fan, alors qu’elle dédicaçait son dernier ouvrage paru chez Grasset. Là, elle a commencé à me raconter son parcours, et je suis tombée de ma chaise, car sa vie était tout aussi romanesque que celle de son père. De retour chez moi, l’idée a germé très rapidement : ne pas réaliser le roman de Goscinny, mais des Goscinny. Et j’avais dès lors trouvé mon héroïne, d’ailleurs très moderne : une petite fille orpheline à neuf ans, qui perd ensuite sa mère après avoir perdu son père, et qui se retrouve à gérer toute seule un héritage colossal. Je lui ai alors proposé qu’elle devienne mon vecteur et donc la narratrice de la vie de son père. C’était un vrai défi, car je ne voulais pas réaliser une hagiographie, alors que dans le même temps, elle devrait s’ouvrir sans retenue à une inconnue. Mais cela s’est bien passé, et au fur et à mesure de nos rencontres, je me suis rendu compte que son père était réincarné en elle : Anne possède la même sensibilité, le même regard, et le même humour au fil du rasoir.

Catel : « Entre Anne Goscinny et moi, cela a été un vrai coup de foudre d'amitié »

Vous vous mettez en scène dans vos discussions avec Anne Goscinny, un peu comme l’aviez fait avec Benoîte Groult. Cela avait été d’emblée imaginé ainsi ?

Cela s’est produit empiriquement, car je ne savais pas du tout comment j’allais raconter cette histoire. Initialement, je voulais retracer chronologiquement la vie de René Goscinny en un tome, avec l’arrivée de Anne en 1968. Je me suis demandé comment parler à sa place et s’arranger pour que le lecteur ne s’endorme après deux pages. Très vite, j’ai demandé à Anne des interviews de son père afin que je puisse au moins placer ses propos dans des phylactères. Et voilà qu’elle me donne non seulement mille pages d’interviews, mais qu’elle m’ouvre aussi les portes l’Institut Goscinny, qui a rassemblé toutes ces documents, les tapuscrits, les dessins originaux, etc.

Face à cette corne d’abondance, j’ai repensé le projet en faisant parler Goscinny lui-même, en lisant des semaines et des mois ses interviews. J’ai pu « re-tricoter » ses mots avec ses propres paroles et de manière chronologique, comme s’il se racontait au lecteur. Il livre beaucoup de choses, mais il en occulte d’autres : des sujets difficiles comme la Shoah ou l’histoire du faux livre dont il ne pouvait se vanter, évidemment.

Dessins de René Goscinny

Vous vous êtes alors tourné vers Anne Goscinny pour traiter des sujets difficiles sur lesquels René Goscinny ne s’étaient pas étendu ?

Oui, et le livre grossissant, j’ai décidé de le diviser en deux, avec cette première partie qui traite des ses origines jusqu’à la naissance d’Astérix en 1959, et dont on fête d’ailleurs le soixantième anniversaire. Ici, Anne est une narratrice objective extérieure, qui m’apporte des éléments d’informations complémentaires. Anne n’interviendra activement dans le récit historique que dans le second tome, qu’on pourrait déjà appeler L’Héritage d’Astérix.

Ces discussions-interviews créent beaucoup d’empathie et d’émotions avec le lecteur.

Je ne voulais pas qu’Anne s’adresse directement au lecteur. Il lui fallait donc un interlocuteur et je me suis transformée en « Catel Reporte r ». Autre imprévu : l’amitié extraordinaire qui s’est nouée entre nous. Initialement, je pensais boucler le livre sur base des premières interviews accordées le premier été. Puis, nous nous sommes revues dès le lendemain du retour à Paris, on s’est rappelé, puis on est reparties en vacances ensemble... Finalement, le livre est le fruit de plusieurs années de discussions, dont je n’ai retiré que l’essentiel. À côté de cela, on a beaucoup ri ensemble, et parfois pleuré, car nous avons partagé plein de choses de nos vies, dont certaines difficultés traversées. Bien entendu, cet aspect privé n’est pas retranscrite dans le livre, mais nous avons vraiment vécu ensemble, ce qui apporte peut-être cette émotion que vous évoquez. Anne m’a d’ailleurs touchée aux larmes en me disant que depuis qu’elle était petite, elle ne se souvenait plus de la voix de son père, et que depuis cette bande dessinée que l’on a réalisée ensemble, elle a retrouvé son père à nouveau.

Cette complicité a d’ailleurs généré cet autre projet en commun : Lucrèce.

René Goscinny était l’homme des duos : avec Morris ou avec Uderzo parmi tant d’autres. Cela m’a entraîné vers une réflexion finalement assez évidente : Je dessine, Anne écrit, et elle est tellement drôle dans la vie, que je lui ai proposé qu’on travaille ensemble en dehors cette biographie. D’emblée, elle a refusé en m’expliquant : « Quand on est la fille de Mozart, on ne se lance pas dans l’opéra. » Bref, elle m’a renvoyé le râteau que je lui avais adressé lors de notre rencontre (rires).

Mais, il ne faut pas oublier que l’adage préféré d’Anne reste : « Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis ». Et donc elle est revenue vers moi avec un premier texte de Lucrèce, un personnage dont les ventes ont maintenant dépassé les cent mille exemplaires vendus, et qui est devenu l’égérie de l’opération pièces jaunes présidée par Brigitte Macron cette année. Ce que nous pensions être un petit livre rigolo et confidentiel nous a complètement dépassé, surtout que la presse qualifie Lucrèce de « grande sœur » du Petit Nicolas. Anne a d’ailleurs le sentiment que son père s’est penché sur nous pendant quand nous travaillions, ce qui m’a poussé à réaliser ce dessin où l’on nous voit tous les trois.

Placer les dessins du jeune René Goscinny dans le livre,dessins que l’on retrouve d’ailleurs dans cette expo au CBBD, cela revêtait une grande importance pour vous ?

Il était fondamental de restituer ces œuvres dans leur contexte, car ils témoignent de son ressenti : ils sont tout d’abord très rigolos, empreints de la timidité et de la légèreté qui le caractérisaient, presque pour faire le pitre. Puis la grande Histoire s’en est mêlée et ses dessins sont devenus plus politiques pour le sortir de sa torpeur. Avec le poids d’une famille qui a été déportée par les nazis, l’humour devient alors une arme.

Pour ma part, j’ai ressenti au même moment de ma vie les mêmes envies de dessin, à mon humble niveau, et nos styles de dessins sont d’ailleurs assez proches. J’étais donc en totale empathie avec le personnage. Bien entendu, pour ma part, l’Histoire ne m’a pas rattrapée, avec l’horrible destin qui fut celui de sa famille. Hormis cette partie très sombre et dure, j’ai vraiment retrouvé beaucoup de points communs dans nos deux parcours, nos dessins assez faussement naïfs dans un réalisme simplifié sans trop de décors. Et puis, il y a cette confrontation avec le « mètre-étalon » du graphisme de son époque : lui avec Morris, moi avec Blutch, qui est un ami d’enfance. Bien entendu, nos réponses ont été différentes, il a arrêté le dessin pour devenir ce génie du scénario, tandis que je me suis acharnée. Quoiqu’il en soit, j’ai pu m’identifier avec lui sur le plan du dessin et de la sensibilité générale.

Même chose pour cette famille aux origines bigarrées : j’avais appris auparavant que j’avais moi aussi des origines juives, par mon arrière-grand-père Aaron qui avait abandonné son fils, lequel prit le nom de sa mère, Muller. Je me suis aussi trouvée d’autres origines juives du côté de ma grand-mère. Or, je n’avais jamais utilisé que mon prénom pour signer, comme Anne qui ne peut pas s’appeler Goscinny.

Enfin, les femmes ont toujours joué un très grand rôle dans la vie de René Goscinny : sa grand-mère, sa mère et sa fille comme nous l’expliquons dans le livre, sans oublier tous les hommages que cet homme délicat a rendu aux femmes. Anne était donc aussi contente que ce soit une femme qui lui rende hommage. Au départ, mon intérêt pour réaliser cette biographie ne m’avait pas du tout paru évident, et au final, j’ai vraiment trouvé que ma place dans ce projet était légitime.

Vous avez aussi dû affronter un autre défi : évoquer Astérix pour ce titre Naissance d’un Gaulois, mais sans le dessiner ?

Astérix appartient effectivement à Hachette, et comme notre album paraissait chez Grasset, il fallait que je contourne le problème. J’ai donc pensé au casque gaulois, ce qui semblait bien fonctionner d’après le marketing. Restait à savoir ce que je devais dessiner : un casque, avec des ailes… mais quelles ailes ? De pigeon ? Dans le doute, je suis remontée à l’origine de ce casque, qui vient du fameux paquet de gauloises Gitanes, réalisé à l’époque par le graphiste Marcel Jacno. Je continue à trouver étrange qu’on dessine des ailes sur ce casque, surtout que cela ne tient pas très bien sur la tête, et je comprends que Jacno se soit inspiré de Bartholdi. En effet, après avoir réalisé la statue de la liberté, cet Alsacien (comme moi) devait réaliser la statue d’un Vercingétorix vainqueur. Et quand Bartholdi doit en dessiner la tête, il n’a aucune idée de ce qu’est un casque gaulois. Ils demandent alors à des archéologues de lui envoyer les croquis d’un exemplaire retrouvé. Mais Bartholdi tient le croquis à l’envers, et réalise ces deux ailes alors qu’il s’agissait à la base de deux protèges-joues, qui sont effectivement bien plus pratiques pour le combat et l’assise du casque. Parfois, des recherches curieuses m’entraînent dans des territoires inconnus… et livrent de bonnes histoires !

Comment avez-vous eu l’idée de confronter les dessins de Goscinny aux vôtres dans cette exposition ?

Tout le mérite de cette réussite revient à Mélanie Andrieu, la commissaire d’exposition du CBBD. Je n’aurais jamais osé montrer ainsi mes dessins, car ce sont des work in progress. Je dessine très vite mes bandes dessinées : quand je dois faire tomber trois cent pages, je n’ai pas le temps de fignoler chaque dessin. Mes originaux sont souvent un premier jet, retravaillés ensuite à l’ordinateur, avant qu’on n’en réalise les couleurs. Je trouvais qu’il n’y avait donc aucun intérêt à les présenter, même les roughs d’illustration. Mais Mélanie a tenu à ce qu’on explique ma méthode de travail par cette exposition. On peut donc voir ce décalage entre les originaux, et les planches finales, puisque les mêmes pages sont parfois présentées à différents stades de leur réalisation.

Puis on découvre les dessins de Goscinny qui, eux, sont aboutis, car ils n’étaient pas destinés à la bande dessinée, mais bien à l’illustration, imprimés comme tel, sans retouche. On admire son trait affirmé et à la fois très fin, la qualité de ses couleurs à l’aquarelle. On se rend compte que c’était un très bon dessinateur, et pas un médiocre tel qu’il est encore souvent décrit avec injustice. Il aurait pu devenir un très honorable dessinateur de bande dessinée, et Mélanie a eu cette intelligence d’exposer cette facette méconnue du génie qu’était René Goscinny.

Propos recueillis par Charles-Louis Detournay.

Dessins de René Goscinny

(par Charles-Louis Detournay)

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