De ses débuts en 1993 avec l’Acme Novelty Library, à Jimmy Corrigan (1995-2000), Building Stories (2002), et plus récemment Rusty Brown (2019), l’oeuvre de Chris Ware a été reconnue dans le monde entier. L’exposition "Building Chris Ware" retrace son travail dans les grandes lignes, mélangeant planches et objets. Les clés de son travail : histoires pathétiques d’une Amérique décadente et esthétique rythmée par le ragtime.
« On me demande souvent à quel point je planifie mes planches et le script, nous dit Chris Ware. Pour être honnête, je n’ai aucune idée de ce qu’il va se passer à partir du moment où je commence à dessiner. Je commence à travailler, et ce qu’il doit se passer se déplie devant moi. N’est-ce pas ça, la vie ? On a beau planifier autant qu’on veut, ce qu’on va manger le soir même, ou ce qu’on voudrait pour l’avenir flou et lointain, mais c’est tout. En somme, on avance et on espère survivre. Les complexités du labeur artistique doivent sortir naturellement de manière à coller avec cet esprit. »
L’exposition est un enchevêtrement de grandes planches, de maquettes et d’objets crées en lien avec ses livres, sculptures entre jouets et art contemporain.
« Faire de la bande-dessinée, c’est difficile. Ça prend du courage, de la souffrance, et beaucoup de temps. Alors, faire des choses matérielles avec ses mains, c’est une bonne distraction. Quand je dessine, il y a toujours une part de moi qui répète : ce n’est pas assez bien ! Mais ce n’est pas comme ça que je me sens quand je manie la 3D. »
Les tables font un parallèle intéressant entre son travail et ses références. Chris Ware, passionné d’histoire de la bande dessinée ? Pas seulement ça ; il rend hommage aux auteurs plus méconnus dont l’œuvre n’a pas toujours été reconnue, pour réinsérer leur héritage dans le sien. Une des plus légendaires : Krazy Kat et Ignatz de George Herriman, comic-strip paru de 1913 à 1944, dans le New York Evening Journal. Krazy Kat, parfait exemple selon lui d’une des premières BD qui illustre la tristesse d’une vie décousue, miroir d’une société aliénée, autant d’éléments qu’il reprend au fil de ses œuvres. Si Chris Ware s’inspire de ces strips des années 1940, c’est à la fois pour s’ancrer dans une indéniable tradition de la BD américaine et pour s’émanciper des conventions apparues dans les comics des années 50.
Grandes planches illustrant des architectures de Chicago, exposition architecturée comme une planche. Pour Chris Ware, si l’architecture est un thème-clé de ses livres, c’est parce qu’elle reflète l’espace même de l’esprit. « Une des choses qui m’a le plus interpellé enfant, c’était le fait de tout voir d’un seul coup d’œil sur une même planche. Je pense que la bande dessinée, c’est l’architecture de l’esprit. De la même façon qu’on voit une rafale de souvenirs apparaître sous nos yeux. »
Dans la mouvance récente de l’insertion de la bande dessinée au sein des galeries et des musées, l’œuvre de Chris Ware est souvent mise en avant : Rome, Paris, Londres… Mais Ware distingue cette expérience muséale, voire institutionnelle de la bande dessinée, à la lecture : « La BD, c’est bien dans un musée... mais au final, ça reste une expérience intime entre le lecteur et l’auteur. C’est une relation privée avec un livre qu’on tient dans ses mains. Quand on va au musée, on peut se sentir intimidé devant une œuvre qu’on ne comprend pas. Mais quand on lit un livre qu’on ne comprend pas, on dit - quel idiot ce dessinateur ! Et je préfère ça. »
C’est la quatrième fois que Chris Ware assiste au festival d’Angoulême, et sûrement pas la dernière. Son travail est sacralisé, mais l’auteur reste humble devant une œuvre qu’il ne cesse de poursuivre.
(par Marlene AGIUS)
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Espace Franquin - Salle Iribe
COMMISSAIRES
Benoît Peeters, Julien Misserey & Sonia Déchamps
SCÉNOGRAPHE
Atelier Maciej Fiszer
PRODUCTION
9e Art+/ FIBD
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