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Florence Cestac, "Grande Trissoue" du Festival Delémont’BD [Interview]

Par Romain GARNIER le 27 juin 2022                      Lien  
Florence Cestac, 72 ans, est une grande autrice de la bande dessinée à la modestie et l’humilité intacte. "Le Démon de midi", la série "Harry Mickson" ou encore "Super Catho" figurent parmi ses classiques. Co-fondatrice des éditions Futuropolis, Grand Prix d’Angoulême en 2000, mais aussi promotrice des droits des femmes et des droits des auteurs de BD, Florence Cestac a accepté de répondre à nos questions sur son actualité éditoriale ("Ginette" dans la collection BDcul qui raconte la vie d’une prostituée), sa carrière, ainsi que son statut de "Grande Trissoue" au festival Delémon’BD qui a eu lieu en juin dernier.

Florence Cestac, vous êtes la Grande Trissoue pour l’année 2022 du Festival Delémont’BD [festival suisse]. Vous succédez à d’autres grands noms comme Boucq, Zep, mais aussi Loisel. Tels les machistes savoureusement mis en scène dans Ginette, votre dernier né, nous avons envie de vous poser la question : « Alors, heureuse » ?

Florence Cestac : (grand sourire) Mais oui, bien sûr ! C’est un peu comme le festival d’Angoulême. J’ai succédé à des grands noms de dessinateurs et là, ici, c’est pareil. C’est toujours flatteur. Je suis très contente. Il y a déjà eu une fille avant moi…

Oui. Lisa Mandel.

FC : Voilà, Lisa Mandel, qui le mérite amplement. Je suis très contente.

Florence Cestac, "Grande Trissoue" du Festival Delémont'BD [Interview]
© Affiche 2022 du festival Delémont’BD réalisée par Florence Cestac
Florence Cestac en dédicace - Delémont’BD (2022)
© Romain Garnier

Vous êtes une pionnière aux multiples combats, notamment féministes mais pas que. Vous êtes Grand Prix d’Angoulême, vous avez reçu à deux reprises l’Alph-Art de l’humour, vous êtes chevalière des arts et des lettres. Pensez-vous avoir encore quelque chose à prouver ? Est-ce que malgré votre grande modestie, vous êtes toujours à la recherche d’une reconnaissance du public et du métier ?

FC : Non. Ça ne m’inquiète pas. (rires) La reconnaissance c’est bon maintenant... au bout de tant d’années. J’ai toujours envie de faire des choses et je me dis : « Est-ce que j’aurais encore le temps de faire certaines choses » ? Je suis une vieille dame. L’âge avançant, je me dis « est-ce que je vais toujours pouvoir dessiner ? Est-ce que mes yeux ne vont pas me lâcher ? » C’est ça qui m’inquiète.

Comme Albert Uderzo qui a malheureusement dû arrêter du fait de ses difficultés physiques.

FC : Oui ! Comme Fred qui n’arrivait plus à tenir un crayon. Nous les dessinateurs avons ce problème-là. Tout ce qui m’angoisse, c’est ça. Ne plus pouvoir dessiner. Mais la reconnaissance ? Non, c’est bon, c’est fait.

Florence Cestac en interview - Festival Delémont’BD (Suisse)
© Romain Garnier

Pourtant, vous nous avez surpris hier, lors de la cérémonie d’ouverture, lorsque vous avez été longuement applaudie et que vous avez affirmé que vous n’étiez pas habituée.

FC : Non ! Mais non ! On n’est pas habitué. Enfin, ce n’est pas moi en particulier. Les dessinateurs de bande dessinée, on est toujours derrière notre œuvre, donc les gens ne nous connaissent pas. Ce n’est pas comme les rockstars. On les voit partout en photo. Personne ne nous connaît. Dans la rue, on se promène tranquille. C’est bien d’ailleurs. Donc non, on est pas habitué à être applaudi, qu’on nous fasse un hommage pareil. C’était émouvant, on n’a pas l’habitude.

Illustration issue de la BD "Le Démon de midi" de Florence Cestac dans l’exposition de Delémont’BD
© Romain Garnier

Revenons à Ginette, votre dernière publication dans la collection BD.Cul aux Requins Marteaux. Vous avez très souvent abordé la question de la sexualité à travers vos bandes dessinées. Était-ce, par conséquent, dans la logique des choses que vous intégriez cette collection ?

FC : (sourire) Je ne sais pas. J’ai fait cet album pendant un confinement. Je venais de finir un album chez Dargaud, qui s’appelle Un papa, une maman, et je me suis dit « qu’est-ce que je vais faire maintenant ? Voilà, confinée ! Qu’est-ce que je fais ? ». Et je me suis dit, tiens ! Je vais faire un BD.Cul. Donc j’ai appelé Felder [Frédéric Felder, co-créateur de la collection], il a dit :« - Allez !, vas-y ! ». Et voilà, c’est né comme ça.

C’était aussi de vieilles histoires qui me trottaient dans la tête. Des Ginette, j’en ai connues dans les Halles à Paris, avant que les Halles soient branchées, chics et chères. J’ai connu les Halles populaires. Il y avait des restos où on allait dîner le soir qui n’étaient pas chers du tout. Des couples se retrouvaient. Ginette et son mac ou son mari. Lui faisait le taxi, elle faisait le tapin. Ils se racontaient, le soir, leurs histoires : « Alors ? Toi tu as eu combien de clients ? ». Ils parlaient boulot. J’ai le souvenir de ces couples qui vivaient comme tout le monde et qui se racontaient leurs histoires.

Ginette de Florence Cestac
© BD.Cul - Les requins marteaux

Donc Ginette, c’est plus du témoignage que de l’invention ?

FC : C’est les deux ! C’est parti de gens qu’ont vraiment existé. Des Ginette comme ça, rue Saint-Denis à Paris, il y en avait plein.

Justement, dans Ginette, vous créez des personnages forts, tant graphiquement que scénaristiquement. Vous déclinez une grande galerie de personnages grâce aux nombreux clients de Ginette. Comment êtes-vous parvenue à créer tous ces personnages ? Quel travail cela vous a-t-il demandé ?

FC : Pour un auteur de bande dessinée, ce qui est long à faire, c’est de créer un personnage, une identité graphique. Le personnage, une fois que vous l’avez dans le crayon, vous pouvez le décliner pour tout. Se le mettre dans le crayon, c’est long. On voit d’ailleurs les progrès que j’ai faits. Quand on voit mes albums, les premiers, le nez était encore plus gros. Il a diminué un peu. Une fois que que vous l’avez dans la main…

Dans le nez ?

FC : Oui !(rires) ...vous pouvez tout faire.

Est-ce qu’il y aurait des titres chez BD.cul à conseiller, que vous trouvez excellent ?

FC : Excellent ? C’est celui de Bouzard, La bibite à bon dieu. Olala ! Je lui ai d’ailleurs donné le prix Schlingo [Prix créé en marge du festival d’Angoulême par Florence Cestac et Yves Poinot en 2009]. Il est formidable. Il y a aussi Panpan culcul d’Annouck Ricard.

Exposition consacrée à Florence Cestac - Festival de Delémont’BD (Suisse)
@ Romain Garnier

Avez-vous lu ceux d’Aude Picault ? [Comtesse / Déesse]

FC : Bien sûr. C’est bien. Très bien. Les filles sont plus dans se raconter elles-mêmes, se mettre en scène, raconter leurs histoires de cul. Elles osent. Les hommes sont plus dans la fiction. Raconter leurs histoires de cul, c’est pas facile. Ils ont du mal à se mettre dedans.

Une Ginette 2 ?

FC : J’y reviendrai parce que c’est sympa à faire. C’est pas long. C’est très rigolo. On va vite. 2 ou 3 cases par page. Un jour ou l’autre il y aura une Ginette 2.

(par Romain GARNIER)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9791092775402

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