Après l’exposition « Synoptique » qui revenait sur le travail et les différentes collaborations de l’autrice, Loo Hui Phang ne se voyait pas reitérer l’expérience d’une rétrospective axée uniquement sur ses livres. En conséquence, elle a décidé de faire la part belle au métier de scénariste par l’intermédiaire d’une exposition originale à la scénographie audacieuse qui se présente comme un plaidoyer pour ce métier méconnu. Pour cela, elle a mené 30 entretiens avec différents scénaristes. Certains sont des auteurs incontournables et reconnus, d’autres sont presque anonymes. Elle a choisi de les interroger sur leurs méthodes, leurs envies, leurs habitudes afin de sonder les différents processus créatifs qui animent ces créateurs méconnus et indispensables du neuvième art.
Nous déambulons avec plaisir entre les différents panneaux de bois, et appréhendons ainsi les méthodes de travail de Pierre Christin, de David B, ou Jean-David Morvan et la leçon que nous tirons de cette promenade est que la méthode n’est jamais la même pour chacun d’entre eux. Loo Hui Phang a constitué un olympe personnel avec toutes ces personnes qu’elle admire et qui, ensemble, constituent une série de portraits intimistes accentuant l’aspect sensible en renforçant le caractère indispensable de cette profession.
Loo Hui Phang s’intéresse à la notion hasardeuse « d’auteur complet », cela voudrait dire que les scénaristes sont incomplets ? À cette question elle répond par la création d’un mot valise de son fait et indique que « Les auteurs.autrices qui dessinent et écrivent sont des auteurs.autrices amphivalent.e.s. » De son côté, elle n’espère pas s’inscrire dans une démarche stylistique et espère bien pouvoir s’affranchir de ses tics et des récurrences qui formatent son œuvre.
Passé cette impressionnante galerie, nous nous retrouvons dans la seconde partie de cette exposition, laquelle est aussi militante et engagée. « Nous sommes la branche la plus fragile et la plus précaire de l’économie de la bande dessinée, j’ai donc conçu cette seconde partie avec l’appui de la Ligue des auteurs afin de rendre compte de la situation qui est la nôtre et de donner au public les clés pour la comprendre. » Nous la parcourons avec l’impression d’être à l’intérieur d’une tribune libre qui ne peut que susciter l’indignation quand on apprend que les scénaristes n’ont pas le statut d’auteur en France ou encore qu’ils et elles n’ont pas accès aux différentes prestations sociales pour lesquelles ils cotisent tout au long de leurs carrières.
Nous terminons cette exposition sur un point médian : la reproduction du bureau de la scénariste accompagnée par des allégories astucieuses sur l’inspiration, les dialogues, ou la documentation. Celle qui se décrit comme une paresseuse contrariée et qui ne peut commencer à travailler avant d’avoir fait son lit explique ainsi que « [son] côté structuré est contrebalancé par une totale improvisation au moment d’écrire. J’oublie ce que j’ai accumulé et je plonge. En réalité tout est enregistré dans mon inconscient. Ce qui compte, c’est la sensation de justesse. Ma pratique est très instinctive. Mon inconscient est mon collaborateur principal. Être auteur demande de la résistance, un bon mental, car nous travaillons sans parachute. Tout tient à notre force de travail. »
(par François RISSEL)
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