Vous signez ces dernières années les reprises ou des albums parallèles de séries à succès. On vous a vu sur XIII Mystery (avec Henninot), Gastoon et à présent Thorgal. On vous annonce sur la Jeunesse de Thorgal. Vous signez également des œuvres plus sérieuses telles que Mezek (avec Juillard) ou le Sang des Porphyre. Avez-vous mûri ? On est loin du côté impertinent et provocateur des albums de vos débuts.
Oui et non ! J’ai commencé mon métier en étant provocateur et iconoclaste. Je me suis aperçu que cette posture ne marchait plus du tout ! Je n’arrivais plus à placer mes scénarios impertinents auprès des éditeurs, je n’arrivais plus à gagner convenablement ma vie ! Je me suis donc essayé au scénario réaliste. J’y ai pris du plaisir, même si j’ai dû gommer le ton impertinent qui me caractérisait, mais qui ne correspond pas du tout au genre. Autant l’impertinence convient à l’humoristique, autant l’humour iconoclaste ne porte pas dans une œuvre réaliste.
Qu’est-ce qui vous plaisait dans l’univers de Thorgal ?
J’ai adoré cette série lorsque j’étais enfant et adolescent. Pouvoir se glisser dans la peau de personnages que l’on a aimés est une proposition qui ne se refuse pas. Je n’ai pas scénarisé Louve pour l’argent. Ce n’est pas si bien payé que cela ! On m’a déjà proposé des reprises de série qui ne m’ont jamais remué les tripes. Je ne voyais pas l’utilité d’écrire et de me coller à un univers que je n’aimais pas. Si on me proposait demain de reprendre Ric Hochet, je signerais tout de suite. La série de Tibet et de Duchâteau n’a plus des ventes extraordinaires. Mais je suis un grand fan et l’exercice me paraîtrait extraordinaire.
Accepter une reprise est également un moyen de ne pas se répéter. Oui, cela me permet d’éviter d’être dans mon moule, de refaire du Yann ! Avec Louve, j’ai dû me glisser dans les codes de Jean Van Hamme et même dans le style de Rosinski pour penser d’une manière différente l’écriture d’un scénario. J’aurais très bien pu écrire cette même histoire dans mon style, mais cela aurait été du Yann, pas du Van Hamme ! La manière de construire les scènes, de les assembler et de les découper est totalement différente. Un peu comme quand un musicien interprète des morceaux composés par d’autres. On découvre alors de nouvelles formes de musique. Cela apporte un plaisir incroyable !
Qu’avez-vous appris en écrivant du Van Hamme ?
Ce n’était si douloureux pour moi que d’écrire une histoire sans faire de l’humour, sans avoir de contre-pied ou de posture légèrement ironique. On ne peut pas être dans la dérision et dans la provocation dans un scénario réaliste. Pratiquer le style Van Hamme, c’est se jeter pleinement dans le premier degré et prendre le risque d’être ridicule, de rater son scénario. Le contre-pied décalé que j’apportais à mes histoires était finalement un garde fou un peu lâche. Je découvre aujourd’hui un certain plaisir à écrire des histoires populaires. Je m’aperçois aussi que ce n’est pas si simple à faire.
Raïssa, le premier album de Louve, est un récit en deux mouvements…
On m’a demandé de réaliser un one-shot. J’ai relu les albums et noté mes idées. Il m’était impossible de présenter Louve et de la jeter dans une intrigue. Ce personnage n’avait pas encore eu un comportement mémorable et héroïque. Dans les albums de Thorgal, Louve était accrochée aux jupes de sa mère, et il me fallait un peu de temps pour la mettre à l’avant-plan, l’aguerrir, aborder sa relation avec les animaux, tout en rappelant ses liens avec Aaricia et Thorgal. Cela a nécessité deux, puis trois albums.
Vous exploitez ses liens avec les loups…
Oui. Ma manière de travailler pour une reprise n’est pas très inventive. J’ai relu la série, et j’ai relevé les pistes que je pouvais suivre. Aaricia a donné naissance à sa fille dans une grotte, en même temps qu’une louve. Il m’était évident d’utiliser ce moment-clef pour donner plus de personnalité à la fille de Thorgal. Les loups ont tout comme les chiens, ont une mémoire olfactive beaucoup plus développée que la mémoire cérébrale. Un loup peut se souvenir des années après d’une odeur. Il n’était donc pas illogique qu’un loup se souvienne de l’odeur d’une enfant née en même temps et au même endroit que lui. Louve est peut eux associé à leur mère, à leur naissance et ils la perçoivent comme n’étant pas humaine.
Quel était votre cahier des charges ?
Faire un bon Thorgal… version Louve ! Je devais respecter les codes de la série, tout simplement. Je m’entends à merveille avec Yves Sente, le scénariste de Thorgal. Il veille aussi à la cohérence des différentes séries qui sont associées à l’univers de Thorgal. Nous nous montrons nos scénarios et je n’ai pas peur qu’il critique les miens. On a établi des liens entre les différentes séries.
Le graphisme de Surzhenko est proche de celui de Rosinski.
Oui. C’est un dessinateur fabuleux. J’avais prévu une scène, découpée en une page, où Louve discute avec les loups. N’importe quel dessinateur aurait représenté la conversation avec une bulle de pensée sans vraiment animer et ressentir la scène. On pouvait facilement tomber dans le ridicule, le grotesque. J’ai envoyé la scène à Roman Surzhenko en lui disant que les loups devaient être expressifs, mais pas anthropomorphes. Ils ne devaient pas agiter leurs lèvres pour parler. Il m’a envoyé une page où les loups étaient admirablement bien campés. On ne pouvait pas rêver mieux pour cette scène. Du coup, j’ai développé un peu plus le lien entre Louve et les loups.
C’est l’une des raisons pour lesquelles l’histoire va être développée en deux albums ?
Oui. Nous l’annonçons à la fin du premier tome. Louve est coupée en deux, entre une part sauvageonne et une part gentille. La part sauvageonne va s’enfuir. Louve va devoir la récupérer, sinon elle restera une petite fille faible et craintive toute sa vie. Elle va devoir convaincre sa part sauvage de se réunifier avec elle. Cela me permet de mettre en scène une autre personnalité de Louve, qui est, elle, une gamine bien élevée.
Vous jouez sur les codes de la série : les objets venus des étoiles, les mondes parallèles !
Oui. L’objet en métal qu’a trouvé Louve sur la plage aura une utilité. Je respecte les codes…
On vous annonce sur la jeunesse de Thorgal.
Il paraît ! C’est un projet en cours qui risque d’être fort intéressant. Le premier cycle de Louve, quant à lui, sera développé en trois albums. Cela me laissera le temps de la présenter et de l’affranchir de ses parents. Il sera ensuite plus facile de lui faire vivre des aventures découpées en un seul tome.
Grzegorz Rosinski, pourquoi avez-vous souhaité que Kriss de Valnor et Louve soient mis en couleur par Graza ?
GR : Graza est l’épouse de Kas, le dessinateur polonais qui avait repris Hans, la série que j’avais créée avec André-Paul Duchâteau. Elle était une scénographe talentueuse en Pologne et a dû arrêter son métier pour suivre son mari en Belgique. Je lui donné avec Thorgal la possibilité de continuer son métier d’une manière différente. Tout comme au théâtre, elle crée une ambiance et un climat avec ses couleurs. Elle a mis en couleurs les derniers albums que j’ai faits avec la technique de l’encre de couleur. Aujourd’hui, je peins mes planches. Je ressens sa sensibilité féminine dans ses couleurs. Elle travaille d’une manière artisanale, toujours sur des bleus. J’ai d’ailleurs interdit aux personnes qui travaillent sur le graphisme des Mondes de Thorgal de travailler à l’ordinateur. Ce serait bizarre de réaliser une histoire de viking avec cette technique. Je souhaite que la série conserve un côté artisanal…
Rosinski et Yves Sente parleront prochainement du dernier tome de Thorgal, Le Bateau-Sabre dans les pages d’Actuabd.com.
(par Nicolas Anspach)
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Illustrations (c) Surzhenko, Yann, Rosinski & Le Lombard.
Photos : (c) Nicolas Anspach
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