Si pendant le confinement vous êtes devenus accro à Animal Crossing, avez fait un stock de PQ, ou que vous avez commencé à mesurer le temps en canettes de bières, c’est peut-être que vous êtes un personnage de Zone de Crise de Simon Hanselmann.
Il se peut aussi que, bloqué déjà depuis un mois dans votre salon à l’abri du virus, vous ayez procrastiné votre télétravail en lisant sa BD-feuilleton sur Instagram. Peut-être même que vous aviez voté pour le webcomic lors de sa nomination aux Eisner Awards puis été profondément ému en apprenant sa victoire, en repensant à toutes ces fois où ses strips quotidiens vous ont permis de fuir la réalité entre deux émissions de TV.
Du 13 mars au 22 décembre 2020, Hanselmann entreprit lui aussi de procrastiner un nouveau tome sa série, Megg’s Coven, et créa un contenu de quelques cases par jour qu’il partagea gratuitement sur Instagram, riche de ses 100 000 abonnés. Zone de Crise n’était censé être qu’un fanzine de quelques pages publié à la fin d’un confinement estimé à quelques semaines.
« Les zines ne constituaient plus un gagne-pain viable. Alors comment partager mes productions grivoises avec les masses affamées ? Le temps était venu pour moi de faire un webcomic. J’avais résisté à cette pratique détestable depuis des années », écrit l’auteur. Il eut alors l’idée de dessiner deux cases « secrètes » par planche qui deviendraient un bonus pour les futurs acheteurs de l’objet physique.
Des mois de confinement, 300 pages et un Eisner plus tard, Simon Hanselmann publia son album chez Fantagraphics.
Auteur australien vivant à Seattle, Hanselmann avait débuté sa série Megg, Mogg & Owl dès 2013, tournant en dérision les célèbres protagonistes de la série anglaise de livres pour enfants des années 1970 Meg and Mog. Dérision reste un faible mot pour décrire certains épisodes de tuerie scatologique ; profane serait plus adéquat. C’est cette profanité qu’il lui a valut le Fauve de la meilleure série à Angoulême, en 2018, et plusieurs nominations aux Ignatz.
Si 2020 était un livre, ce serait Zone de Crise. Subtil mélange de crises d’angoisse, de cocaïne et de pornographie, le New York Times l’appelle « la première grande œuvre sur la pandémie ». Vous y verrez Mogg qui se défonce la gueule à coup de désinfectant pour mains, Megg qui fuit dans les jeux vidéo, Werewolf Jones qui accède à la célébrité sur Youtube, TikTok et Netflix, et Owl qui surmonte sa placidité pour reprendre le contrôle de sa maison détruite. Tout ça sur le fond politique d’une Amérique trumpiste face aux émeutes antifas.
En postface, l’auteur de 40 ans procède à une explication de chaque planche à visée carrément encyclopédique, détaillant jour après jour le calendrier de la débauche. 500 panels dans un « Director’s Commentary » par le d’Alembert de la crasse.
C’est clair, pour faire un bon album de Megg & Mogg, il faut une bonne dose de burlesque associée à une perte de foi certaine en l’humanité. Certains grands noms d’Hollywood avaient d’ailleurs essayé d’en récupérer les droits pour une adaptation à l’écran bien plus politiquement correct. Les aventures de Megg, Mogg, Owl et Werewolf Jones continueront donc sur papier dans les années à venir. C’est le destin provisoire d’une série qui ne cesse d’être la chronique horripilante « de nos vies à tous ».
(par Marlene AGIUS)
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Zone de crise - Par Simon Hanselmann - Dupuis/Seuil
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